La Presse Anarchiste

Économie troublée

Après les immenses trans­for­ma­tions que nous a appor­tées une guerre comme celle dont nous venons de subir l’hor­rible ravage, peut-on recher­cher quel a été le mou­ve­ment des valeurs éco­no­miques et, par voie de déduc­tion, recher­cher les pôles d’at­trac­tion des grands cou­rants qui s’o­rientent dans le monde.

En 1939, un éco­no­miste amé­ri­cain décla­rait ceci :

« À la fin de la guerre, si les U.S.A. veulent prendre la tête de l’é­co­no­mie mon­diale, il leur fau­dra non seule­ment four­nir une grande par­tie des matières pre­mières aux pays bel­li­gé­rants, mais encore four­nir l’or néces­saire à ces pays pour pou­voir acqué­rir les moyens de pro­duc­tion ou les pro­duits néces­saires à leur éco­no­mie, faute de quoi notre situa­tion éco­no­mique sera aus­si dan­ge­reuse qu’elle l’é­tait ces quelques der­nières années. »

Il faut consi­dé­rer que cet éco­no­miste, influen­cé par la posi­tion poli­tique des États-Unis, à l’é­poque, n’en­vi­sa­geait pas une guerre aus­si longue, qu’il se basait sur la défaite des nations fas­cistes, grâce à l’aide que les États-Unis appor­te­raient aux démo­cra­ties, qu’il n’en­vi­sa­geait donc pas, à cette date, l’en­trée en guerre des États-Unis, qui eut pour consé­quence la loi prêt-bail. En échange, sachant la ran­cœur lais­sée par le non-paie­ment des dettes de guerre 1914 – 18 par les Alliés à l’é­gard de l’A­mé­rique, il appa­rais­sait que la grande répu­blique ne prê­te­rait plus désor­mais à fonds per­dus, mais qu’elle se garan­ti­rait soit par des trai­tés com­mer­ciaux, soit par des gages colo­niaux, de toute façon l’A­mé­rique mène­rait la guerre même en res­tant non bel­li­gé­rante, comme un homme d’af­faires mène une entre­prise com­mer­ciale en pre­nant des garan­ties et en pesant minu­tieu­se­ment le résul­tat pro­bable de l’o­pé­ra­tion. La loi « cash and car­ry » étant appli­quée, les bel­li­gé­rants se trou­vaient dans la situa­tion sui­vante : 1° tout achat de maté­riel de guerre aux U,.S.A. était payable comp­tant en or ; 2° l’a­che­teur devait prendre avec ses propres moyens livrai­son de son achat sur quai amé­ri­cain. Ce sys­tème garan­tis­sait le paie­ment et le risque mari­time que la guerre sous-marine pou­vait faire cou­rir aux trans­ports se limi­tait aux pays bel­li­gé­rants, la flotte amé­ri­caine conser­vait sa puis­sance, alors que celle des autres nations irait en dimi­nuant ; l’A­mé­rique se trou­ve­rait donc, à une époque don­née, déten­trice de l’or mon­dial, de la plus grande flotte com­mer­ciale du monde, ce qui lui per­met­trait de se pas­ser des ser­vices de la marine anglaise ; d’autre part, l’a­né­mie des indus­tries ou la des­truc­tion même des indus­tries chez les bel­li­gé­rants met­taient l’A­mé­rique en pleine courbe ascen­sion­nelle de pro­duc­tion, à pied d’œuvre, pour remettre debout et en état de marche les dif­fé­rents États rui­nés par la guerre.

Le point dou­lou­reux, c’est que le régime capi­ta­liste ne sub­sis­tant que s’il y a pro­fit, les États bel­li­gé­rants d’Eu­rope, ache­teurs réels, clients cer­tains de l’A­mé­rique, devaient par ce sys­tème se refu­ser à tout achat paci­fique faute d’or, qu’ils avaient dila­pi­dé pour leurs achats de guerre. En échange, l’A­mé­rique, gor­gée d’or et de matières pre­mières, ris­quait de mou­rir de conges­tion, avec un pro­lé­ta­riat aux prises avec une crise mon­diale incom­pa­rable. La solu­tion pou­vait se trou­ver en accor­dant aux pays appau­vris par la guerre des cré­dits à long terme et à taux pas trop oné­reux afin de faire démar­rer leur éco­no­mie, c’est là que la posi­tion impé­ria­liste des États-Unis s’af­firme. Le drai­nage des capi­taux mon­diaux, la déten­tion des matières lui donnent, au point de vue poli­tique inté­rieure, une situa­tion qui pour­rait deve­nir dan­ge­reuse et même ame­ner des remous dans la popu­la­tion ouvrière amé­ri­caine, mais du point de vue exté­rieur, l’A­mé­rique reste maî­tresse incon­tes­table du mar­ché. Une revue rapide des forces éco­no­miques mon­diales avant 1936 (période quin­quen­nale 1931 – 1935) per­met­tra à nos amis de se rendre compte que la dic­ta­ture mon­diale entraî­ne­ra soit la sou­mis­sion poli­tique en échange d’une aide éco­no­mique, soit, si l’on opte pour la poli­tique de puis­sance ou pour une orien­ta­tion défa­vo­rable aux cou­rants nou­veaux du capi­ta­lisme, à une misère éco­no­mique inté­rieure telle que, pour la sur­mon­ter, seules des mesures éner­giques, telles que les plans quin­quen­naux russes, alle­mands ou turcs per­met­tront à la longue une éco­no­mie amé­lio­rée, mais dans laquelle le bien-être de l’in­di­vi­du ne sera plus qu’un sou­ve­nir, l’au­tar­cie et le fas­cisme qui devaient dis­pa­raître avec la fin vic­to­rieuse de la guerre par les démo­cra­ties se pré­sente sous la forme éco­no­mique la plus monstrueuse.

En 1936, la pro­duc­tion de l’or était entre les mains des Sud-Afri­cains et des Russes, les États-Unis ne venant qu’au qua­trième rang ; pour l’argent, c’est à la deuxième place que les États-Unis se trouvent ; ils sont exclus pour le pla­tine, que se par­tagent le Cana­da et l’U.R.S.S.; mais tous ces métaux pré­cieux n’ont qu’une valeur rela­tive, puisque les États qui les pos­sèdent n’en sont pas pour cela les plus puis­sants, éco­no­mi­que­ment par­lant ; tou­te­fois, pre­mière consta­ta­tion : l’U.R.S.S. et les U.S.A. se trouvent face à face dans l’en­semble de cette production.

Dans le domaine de la puis­sance réelle, les consta­ta­tions sont intéressantes :

Houille : les U.S.A. Pro­duisent 35% de la quan­ti­té mon­diale, la Grande-Bre­tagne 20%, l’Al­le­magne 12%.

Pétrole : 60% de la pro­duc­tion va aux U.S.A., 12% à l’U.R.S.S.

Fer : la France pro­dui­sait 30% de la consom­ma­tion, sui­vie des U.S.A., 22%, et de l’U.R.S.S., 18%.

Nous rap­pel­le­rons pour mémoire que la ques­tion des tex­tiles et du caou­tchouc se débat entre les U.S.A. et la Grande-Bre­tagne, que pour l’é­le­vage des bovins et des ovins l’An­gle­terre et les U.S.A. se dis­putent les deux pre­mières places, en tenant compte des domi­nions, et que le blé mon­dial est à rai­son de 26% pro­duit par l’U.R.S.S. Nous insis­tons sur le fait que ces chiffres sont ceux publiés en 1936 pour la période 1931 – 1935, que depuis le drame 1939 – 45 les pays ayant subi les des­truc­tions les plus mas­sives sont l’U.R.S.S. (Donetz, Dnie­pro­pe­trovsk, Ukraine, etc.), l’An­gle­terre dans ses bas­sins miniers et dans sa flotte mar­chande, l’Al­le­magne (40% envi­ron) dans son bas­sin rhé­nan-west­pha­lien, objet d’at­ten­tions par­ti­cu­lières des vain­queurs, la France dans son indus­trie lourde et sa flotte mar­chande. On constate que tous les pays sus­cep­tibles de concur­ren­cer l’é­co­no­mie amé­ri­caine dans un seul sec­teur d’ac­ti­vi­té sont éli­mi­nés, soit momen­ta­né­ment, soit défi­ni­ti­ve­ment. Nous devons tenir compte que le grand concur­rent des U.SA. c’est l’U.R.S.S., mais que la Rus­sie de 1939 venait seule­ment de mettre sur pied son indus­trie lourde et que les des­truc­tions l’o­bligent à reprendre dans cer­tains sec­teurs avec beau­coup d’â­pre­té un départ à zéro, que d’autre part l’U.R.S.S. est appe­lée à deve­nir une puis­sance mari­time, tant com­mer­ciale que mili­taire, et que dans le pas­sé elle fai­sait des com­mandes de car­gos de Gênes, ce qui prouve que sur cette indus­trie elle n’é­tait pas au point. Si donc c’est une créa­tion, les Russes en sont capables, car ils ont éton­né les plus scep­tiques, mais il n’empêche qu’ils ont un retard à com­bler et que les États capi­ta­listes n’ai­de­ront en rien au relè­ve­ment d’une puis­sance éco­no­mique telle qu’elle devien­drait le plus grand four­nis­seur de toute l’Eu­rope et fer­me­rait la porte aux com­mis-voya­geurs de John Bull ou de Jona­than, Les États-Unis sont donc actuel­le­ment, en matière éco­no­mique, le fac­teur déter­mi­nant mon­dial, le pôle d’at­trac­tion est tel que l’é­mi­gra­tion de nos contrées par trop rudes à l’in­di­vi­du attire de plus en plus les forces pro­duc­tives vers la Metro­po­lis moderne ; sur les cin­quante der­nières années d’é­mi­gra­tion mon­diale, le pour­cen­tage vers les U.S.A. varie de 58% maxi­mum en 1910 pour pas­ser à 42% en 1924, consi­dé­rons qu’il y a eu les années de guerre et les lois contre l’im­mi­gra­tion aux U.S.A., le chiffre est tout de même édi­fiant. Une consta­ta­tion éga­le­ment inté­res­sante est celle de la com­pa­rai­son des flottes mar­chandes et de l’a­via­tion com­mer­ciale. Dès 1936, la Grande-Bre­tagne pro­té­geait de son pavillon 17 mil­lions de tonnes, chiffre en baisse de 15% par rap­port à 1914, les U.S.A. ne cou­vraient que 9 mil­lions de tonnes, mais ce chiffre repré­sen­tait déjà une aug­men­ta­tion de 10% pour la période 1914 – 1936. D’a­près des ren­sei­gne­ments non contrô­lés, les pertes mari­times de la Grande Bre­tagne en 1939 – 45 sont supé­rieures à celles de 1914 – 18, elles dépas­se­raient donc 15%, la maî­trise de la mer chan­ge­ra de mains et pour l’é­co­no­mie anglaise c’est une ques­tion abso­lu­ment vitale. Quant à l’a­via­tion com­mer­ciale, les U.S.A. Repré­sen­taient 21% du tra­fic mon­dial, ils étaient la pre­mière flotte aérienne du monde.

Dans cette étude nous avons vou­lu recher­cher com­ment les richesses mon­diales étaient par­ta­gées, pour­quoi la grande cita­delle du capi­tal se cris­tal­lise de plus en plus et pour­quoi notre pro­fonde convic­tion de la pri­mau­té de l’é­co­no­mique sur le poli­tique s’af­firme tous les jours avec une vio­lence tou­jours plus puissante.

Une source nou­velle d’éner­gie vient de faire ses preuves, la dés­in­té­gra­tion de la matière ; la course à la cap­ta­tion des secrets de la nature est ouverte, pour­quoi ? Est-ce pour libé­rer l’homme de sa géhenne et ouvrir enfin les portes édé­niques d’une exis­tence que jus­qu’i­ci l’on nous pro­met­tait après notre tré­pas… ou au contraire sa science va-t-elle don­ner en holo­causte aux dieux modernes de nou­veaux Hiroshima ?

Loriot

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