Vous hommes ! Vous prolétaires !
Pourquoi labourer la terre ?
Pourquoi tisser, tisserands,
Au profit de vos tyrans ?
Pourquoi priver, si farouches,
De sommeil vos fronts, vos bouches
De pain, vos veines de sang
Pour en gaver les puissants ?
Pourquoi portez-vous, abeilles,
La cire à pleines corbeilles,
Le nectar et le miel blond
Au ventre de ces frelons ?
Et pourquoi forger ces chaînes,
Ces châtiments pour vos peines,
Ces carcans pour vos amis,
Ces armes pour l’ennemi ?
Avez-vous repos, pitance,
Abri, amour, espérance ?
Paye-t-on, de quel bonheur,
Votre peine et votre peur ?
Vous semez — un autre engrange ;
Vous cueillez — un autre mange ;
Vous le faites vêtu d’or ;
Vous forgez — son fer vous mord.
Semez — mais le pain des frères !
Tirez les trésors de terre !
Pour ne plus être à genoux,
Forgez des armes — pour vous !
Le toit qu’on bâtit et couvre
Pour vous se ferme, et ne s’ouvre
Plus qu’au riche. Vous maudits,
Vous rentrez dans vos taudis…
Vous ne creusez, bêche et houe,
Qu’une tombe dans la boue ;
Le métier tisse un linceul
Pour l’enfant et pour l’aïeul !
Shelley