La Presse Anarchiste

Où en est la radio ? Quel est son avenir ?

Pour par­ler de l’a­ve­nir de la radio, il me semble néces­saire tout d’a­bord de faire le point de son état actuel en France, tant au point de vue des émet­teurs que des pro­grammes et des récepteurs.

Depuis la « libé­ra­tion », chaque ama­teur peut consta­ter que la radio est mau­vaise, elle est plus mau­vaise qu’a­vant la guerre, et pour­tant à cette époque la radio fran­çaise n’é­tait pas par­ve­nue au niveau de cer­taines radios étran­gères. Actuel­le­ment, la radio est mau­vaise au point de vue de la qua­li­té des émis­sions, mau­vaise au point de vue des pro­grammes, et aus­si mau­vaise à cause de la qua­li­té de nos récep­teurs qui, à part quelques rares excep­tions, ne per­mettent pas d’au­di­tions, vrai­sem­bla­ble­ment artistiques.

Pour ce qui est de la qua­li­té tech­nique des émet­teurs, une petite expli­ca­tion est néces­saire ; en effet, lors de la retraite alle­mande de 1944, la Wehr­macht a détruit la presque tota­li­té de nos sta­tions d’é­mis­sions. Seule, la sta­tion de Limoges est res­tée intacte.

Pour don­ner une idée des pos­si­bi­li­tés d’é­mis­sion, je veux vous indi­quer qu’a­vant la guerre nous dis­po­sions, pour la tota­li­té des émet­teurs fran­çais, de 2.700 kilo­watts antenne ; après la retraite alle­mande il ne nous res­tait que 179 kilo­watts antenne. Il y a quelques mois, par suite des recons­truc­tions pro­vi­soires, nous étions remon­tés à 600 kilo­watts antenne ; on pré­voit que dans le cou­rant de l’é­té 1946 nous aurons à peu près la moi­tié de la puis­sance d’a­vant guerre.

Vous vous deman­de­rez peut-être pour­quoi cette ques­tion de puis­sance réduit les qua­li­tés des audi­tions ? Cela est très simple à com­prendre, car pour avoir une bonne édi­tion, il faut avoir une audi­tion sans para­site ; les para­sites se mêlant à une audi­tion musi­cale enlèvent for­cé­ment l’illu­sion de l’au­di­tion directe et, par leur brouillage, gâtent tout le plai­sir qu’un musi­cien peut avoir à écou­ter une œuvre.

Pour avoir peu de para­sites, il faut que l’é­mis­sion que l’on écoute soit plus puis­sante que le niveau moyen des para­sites. Le meilleur remède contre les para­sites est donc d’aug­men­ter la puis­sance des émis­sions de façon que l’au­di­tion des para­sites devienne négli­geable par rap­port à l’au­di­tion de la musique.

La dimi­nu­tion de la puis­sance des émet­teurs nous conduit donc à une récep­tion plus para­si­tée, sauf pour les audi­teurs très rap­pro­chés des sta­tions d’émission.

D’autre part, la qua­li­té de la modu­la­tion des sta­tions d’é­mis­sion a bais­sé. En d’autres termes, la fidé­li­té de la trans­mis­sion de la musique depuis le micro jus­qu’à l’an­tenne est, pour la plu­part des sta­tions, moins bonne qu’a­vant guerre ; cela vient de ce que les émet­teurs ont été recons­truits avec les seuls moyens de for­tune dont nous dis­po­sions et que, sans mettre en doute les capa­ci­tés tech­niques des per­sonnes char­gées de la recons­truc­tion, il a été impos­sible de faire les choses très rapi­de­ment et par­fai­te­ment bien.

Vous com­pren­drez ain­si qu’il va nous fal­loir peut-être plu­sieurs années pour avoir une radio qui atteigne un niveau au moins aus­si éle­vé que celui de 1939.

Au point de vue de la qua­li­té des pro­grammes, il se pose un pro­blème non moins grave, mais pour lequel je suis beau­coup moins compétent.

La sup­pres­sion des sta­tions pri­vées (qui nous a déli­vré de la publi­ci­té radio­pho­nique) a l’in­con­vé­nient de nous don­ner une radio fonc­tion­naire et elle n’a pas l’a­van­tage de plaire à toutes les caté­go­ries d’au­di­teurs .Il est cer­tain que le trust des sta­tions pri­vées était un des plus anti­pa­thiques ; avec des appuis poli­tiques, il était par­ve­nu à une situa­tion com­mer­ciale consi­dé­rable parce que sans concur­rence, l’é­mis­sion n’é­tant pas libre, seul le gou­ver­ne­ment pou­vant don­ner licence à ceux qui avaient la chance de lui plaire.

Il y aurait peut-être un moyen d’a­voir de meilleurs pro­grammes en don­nant une plus grande part aux ini­tia­tives indi­vi­duelles, car, pour que la Radio soit variée, il ne faut pas avoir comme point de vue « de déplaire au plus petit nombre pos­sible d’au­di­teurs » (ce qui est for­cé­ment un point de vue de fonc­tion­naire), mais, au contraire, il faut vou­loir satis­faire les caté­go­ries les plus variées d’au­di­teurs sans se pré­oc­cu­per si cela déplaît à ceux qui ont un goût opposé.

Pour ce qui est de la qua­li­té des récep­teurs, les meilleurs récep­teurs actuels sont au niveau de ceux de 1939. Ils pour­raient cer­tai­ne­ment se per­fec­tion­ner par l’emploi de lampes et de cir­cuits plus pous­sés, par l’emploi de matières pre­mières meilleures et sur­tout par l’emploi de haut-par­leurs de beau­coup plus grande qua­li­té qui devraient alors être adap­tés à une caisse de réso­nance étu­diée au point de vue acoustique.

Le récep­teur de l’a­ve­nir aura : soit le haut-par­leur mon­té sur une « baffle » (planche de grandes dimen­sions), ou sera un meuble com­pre­nant une caisse de réso­nance, car il est impos­sible d’ob­te­nir avec de petites dimen­sions une repro­duc­tion musi­cale de qualité.

Si nous vou­lons main­te­nant nous tour­ner vers l’a­ve­nir de la radio, il se pré­sente deux pos­si­bi­li­tés, deux sys­tèmes de radio entiè­re­ment différents :

Pre­miè­re­ment, la radio modu­lée en ampli­tude, celle que nous avons connue jus­qu’à main­te­nant, qui a été mise au point par les Amé­ri­cains depuis 1940, et deuxiè­me­ment la radio modu­lée en fré­quence. Notons tout de suite que ce deuxième sys­tème n’est pas une inven­tion nou­velle, car les deux pos­si­bi­li­tés de modu­la­tion (en ampli­tude ou en fré­quence) sont connues depuis l’o­ri­gine de la radio.

Au début, lors­qu’il a fal­lu se déci­der pour l’un ou l’autre sys­tème, les tech­ni­ciens d’a­lors, jugeant d’a­près les pos­si­bi­li­tés tech­niques du moment, ont cru que la radio modu­lée en ampli­tude était pré­fé­rable. Ils avaient d’ailleurs rai­son, car, à cette époque, on ne pou­vait pas pré­voir toutes les décou­vertes qui ont ren­du réa­li­sable pra­ti­que­ment le deuxième sys­tème, c’est-à-dire la modu­la­tion en fréquence.

Ain­si que je le men­tionne plus haut, tous les postes que vous avez enten­dus jus­qu’à pré­sent sont des postes qui reçoivent la radio modu­lée en ampli­tude (il n’y a pas encore pour les ama­teurs d’é­met­teurs modu­lés en fré­quence en France).

Dans la modu­la­tion en ampli­tude, les ondes émises sont de fré­quence fixe (ou, si vous pré­fé­rez, de lon­gueur d’onde fixe) et c’est seule­ment l’am­pli­tude ou, en d’autres termes, la puis­sance ins­tan­ta­née de l’onde, qui varie pério­di­que­ment. Cette varia­tion d’am­pli­tude suit exac­te­ment les fré­quences musi­cales de la modu­la­tion qui par­viennent du micro ou du disque.

Par contre, dans le sys­tème modu­lé en fré­quence, la fré­quence de l’onde émise est variable (c’est-à-dire la lon­gueur d’onde variable) et l’am­pli­tude reste constante. Cette varia­tion de fré­quence autour d’une fré­quence moyenne suit exac­te­ment les fré­quences musi­cales de la modulation.

En pra­tique, un récep­teur qui est fait pour rece­voir la radio modu­lée en ampli­tude ne peut pas rece­voir l’autre radio en fré­quence, et vice ver­sa, sauf, bien enten­du, dans le cas où l’on com­bi­ne­rait dans un meuble les deux récep­teurs, ce qui a déjà été réa­li­sé aux États-Unis.

Les avan­tages de cette nou­velle radio modu­lée en fré­quence viennent beau­coup plus du point de vue dif­fé­rent que l’on s’est fixé lors de la réa­li­sa­tion des émet­teurs et des récep­teurs que de la dif­fé­rence de principe.

Pour cette nou­velle radio on emploie exclu­si­ve­ment les ondes très courtes qui ne se pro­pagent à la sur­face de la terre qu’a une dis­tance rela­ti­ve­ment réduite. Il fau­dra donc éta­blir des émet­teurs dans toutes les villes de quelque impor­tance pour pou­voir cou­vrir une grande par­tie du territoire.

On pré­voit déjà des émet­teurs dans la capi­tale et des relais en pro­vince. On pré­co­nise, pour ces relais, l’emploi d’a­vions qui, à très haute alti­tude, pour­raient être enten­dus dans une beau­coup plus grande région qu’un relais se trou­vant à terre.

Les nou­velles pos­si­bi­li­tés don­nées par la dés­in­té­gra­tion ato­mique laissent éga­le­ment pré­voir que l’on pour­ra lan­cer des satel­lites de la terre qui, res­tant à très haute alti­tude dans la stra­to­sphère, pour­ront ser­vir, soit de relais, soit de réflec­teurs pour ces ondes très courtes.

La radio modu­lée en fré­quence per­met par son prin­cipe la sup­pres­sion com­plète des para­sites à la récep­tion et les réa­li­sa­tions amé­ri­caines faites dans un tout autre esprit que la radio ordi­naire, per­mettent des audi­tions de très haute fidé­li­té qui viennent de la qua­li­té tech­nique des récep­teurs (prin­ci­pa­le­ment de la qua­li­té du haut-par­leur et de l’amplification).
Nous nous trou­vons donc devant un poste de radio qui, conscien­cieu­se­ment réa­li­sé, per­met­tra des récep­tions de haute qua­li­té sans para­site. Je dis « conscien­cieu­se­ment », car si l’on réa­lise en modu­la­tion de fré­quence des récep­teurs de la même qua­li­té que ceux réa­li­sés actuel­le­ment en modu­la­tion d’am­pli­tude, l’on n’au­ra pas un résul­tat très différent.

Pour l’a­ve­nir, il est bien dif­fi­cile de dire quel sys­tème de radio s’im­plan­te­ra définitivement.

Le sys­tème actuel, modu­lé en ampli­tude, lors­qu’il aura été très per­fec­tion­né, per­met­tra peut-être des récep­tions bonnes, en ayant l’a­van­tage de pou­voir écou­ter des postes éloignés.

Le sys­tème modu­lé en fré­quence per­met déjà des audi­tions d’une qua­li­té insoup­çon­née, mais s’il n’y a pas pos­si­bi­li­té d’é­ta­blir plu­sieurs chaînes d’é­met­teurs, le pro­gramme unique risque de ne pas plaire à tous les auditeurs.

Pro­ba­ble­ment les deux sys­tèmes res­te­ront concur­rem­ment et, dans une dizaine d’an­nées, nous aurons peut-être chez nous trois récep­teurs : celui pour la modu­la­tion en ampli­tude, celui pour la modu­la­tion en fré­quence et le récep­teur de télévision.

On voit par là tout le mieux que pour­rait appor­ter la radio aux habi­tants des cam­pagnes, pri­vés de tant de choses dont il est pos­sible de jouir à la ville. Mais cette exten­sion des béné­fices des grandes décou­vertes à toute une popu­la­tion sup­pose une trans­for­ma­tion préa­lable de la struc­ture sociale. À défaut de cette trans­for­ma­tion, la radio, comme bien des décou­vertes, ne sera plei­ne­ment pro­fi­table qu’à ceux que la for­tune aura servis.

Mar­cel Bernyer 

La Presse Anarchiste