La Presse Anarchiste

La Commune

Le massacre

L’on ne rap­pel­le­ra jamais assez cet entre­tien qu’eut Alfred Naquet dans les cou­loirs de l’As­sem­blée Natio­nale avec son col­lègue Bar­thé­le­my-Saint-Hilaire se répan­dant en furieuses récri­mi­na­tions contre Mac-Mahon. Qu’y a‑t-il donc ? lui deman­dait Naquet.

Il y a que cet imbé­cile nous fait le plus grand tort. Thiers se conten­tait de trois jours de mas­sacre ; le maré­chal en a vou­lu huit.

De fait, la répres­sion fut non seule­ment ter­rible, mais d’une stu­pi­di­té à nulle autre pareille. La sol­da­tesque sou­vent ivre, tuait pour tuer au point que par­fois les offi­ciers eux-mêmes devaient s’interposer.

À Mont­martre, les dénon­cia­tions se firent si nom­breuses dans les pre­miers jours que les Ver­saillais en vinrent à éta­blir une sorte de contrôle.

Le colo­nel qui en était char­gé n’é­tait pas inhu­main. Il ne tar­da pas à s’a­per­ce­voir qu’un mou­chard ne ten­tait rien moins qu’à assou­vir d’as­sez basses ven­geances. À quelque igno­mi­nie nou­velle le colo­nel s’y oppo­sa, et le lâche dut quit­ter les lieux car il aurait pu lui en cuire.

Un employé de la mai­rie de Mont­martre qui a lais­sé quelques sou­ve­nirs mal­heu­reu­se­ment incom­plets — il avait lui-même ser­vi la Com­mune cite ce fait :

« Au bout de trois jours, les exé­cu­tions som­maires avaient ces­sé dans le quar­tier, le colo­nel fai­sait arrê­ter dénon­cés et dénon­cia­teurs, les confron­taient ; quand ceux-ci avaient men­ti, il les rete­nait pri­son­niers et ren­voyait ceux-là.

Pour qu’il en ait été ain­si, l’on convien­dra que la situa­tion des mal­heu­reux pari­siens était des plus tra­giques. Un offi­cier char­gé de la répres­sion mis dans l’o­bli­ga­tion d’y mettre un frein, l’on a peine à le conce­voir et n’é­tait que les faits sont ici rap­por­tés par un homme qui a pris part à la Com­mune, qui s’est bat­tu pour elle aus­si bien dans les sor­ties qu’aux bar­ri­cades — ses notes éparses ne laissent aucun doute sur sa conduite — il faut bien avouer qu’un vent de folie dû à la peur des uns et à la lâche­té des autres, s’é­tait empa­ré de pas mal de Parisiens.

Voi­ci par­mi beau­coup d’autres, quelques frag­ments de « Scènes vécues » que nous emprun­tons à des lettres, des sou­ve­nirs, des mémoires mal­heu­reu­se­ment incom­plets et jamais ter­mi­nés. Ils n’en sont pas moins révé­la­teurs. On ren­dait les com­mu­neux res­pon­sables de tous les incen­dies, alors que le feu avait été mis, en maints endroits, par les obus de l’ar­mée régulière.

Les arres­ta­tions à domi­cile avaient lieu le matin à l’aube ; à six heures, je m’é­veillais en sur­saut, sous le coup de l’i­dée fixe qu’un jour ou l’autre j’al­lais voir appa­raître les agents. J’é­tais très com­pro­mis, puisque j’a­vais com­bat­tu aux avan­cées et dans les rues ; des por­tières aux­quelles j’a­vais joué de méchants tours dans mon ado­les­cence, avaient fait cou­rir le bruit que j’a­vais contri­bué à faire fusiller le curé de Notre-Dame-de-Lorette.

C’est dans ces jours de mal­heur qu’un soir en tra­ver­sant la place Pigalle, je fus témoin de la scène suivante :

Un gigan­tesque sol­dat de la ligne, un sapeur, qui tenait par le bras un mal­heu­reux « pékin », il le condui­sit au poste, car l’autre criait à tue-tête qu’il n’a­vait rien fait. Mais le sol­dat le fai­sait val­ser, comme une marion­nette, à grands coups de pied et de poing. Un ras­sem­ble­ment se forme ; quelques pas­sants, indi­gnés, font entendre des pro­tes­ta­tions. Je m’ap­proche et je crie :

—C’est ignoble de voir des choses comme ça !

—Qu’est-ce qui est ignoble, mon­sieur ? entends-je der­rière moi.

Je me retourne et je me trouve en pré­sence d’un jeune sous-lieu­te­nant qui avait tout au plus vingt ans. Inso­lem­ment cam­pé, le poing sur la hanche, le képi sur l’o­reille, il cin­glait de sa cra­vache le bout de ses bottes ver­nies, et me regar­dait d’un air de défi qui me fit bouillon­ner le sang dans les veines. Néan­moins sous ce regard insul­tant, je ne bron­chai pas, sachant trop ce qu’il m’en aurait coûté.

—Ah, ah ! mes­sieurs les Pari­siens, fit enfin le jeune mata­more, vous n’a­vez pas vou­lu de la police ! Eh bien, nous, nous la ferons, et raide, soyez tranquilles.

Et il en est de même par­tout. les sol­dats triomphent et mettent en action les huit jours de mas­sacre ordon­nés par Mac-Mahon. Coûte que coûte il faut que ces Pari­siens qui les ont tant fait trem­bler épient.

Pré­cé­dés de leurs chefs, ils entrent dans les mai­sons, visitent les uns après les autres les misé­rables loge­ments où il ne reste à peu près rien,. tout ayant été ven­du pen­dant le siège.

Ils fusillent des mal­heu­reux qui d’au­cune manière n’a­vaient pris part à l’ac­tion. Mais qu’importe.

Il suf­fit d’a­voir des « godillots » aux pieds, les mains noires et c’en est fait.

Tout homme revê­tu d’un uni­forme de fédé­ré — et beau­coup n’a­vaient pas les moyens d’a­voir d’autre cos­tume — était col­lé au mur et fusillé.

Les dénon­cia­tions s’é­le­vaient à un chiffre effrayant, inima­gi­nable, tout suait la peur. Des com­mères se tenaient sur le pas de leur porte et signa­laient aux sol­dats et aux ser­gents de ville qu’on voyait sabre au côté et revol­ver à la cein­ture, les jeunes gens qu’elles pou­vaient connaître : « Tenez ! disaient-elles, en voi­là encore un qui a ser­vi la Commune ! »

Les cadavres des fédé­rés fusillés gisaient des jour­nées entières sur les trot­toirs — celui de Raoul Rigault res­ta près de 24 heures rue Gay-Lusac et le des­si­na­teur Pilo­tell put en prendre un cro­quis. Les mares de sang ne se comp­taient plus. Il y en avait par­tout. Cer­taines casernes étaient bon­dées de pri­son­niers qu’on fusillait par dix après un simple interrogatoire..

Au parc Mon­ceau c’é­tait encore pire. On exé­cu­tait au hasard, tous ceux que la sol­da­tesque ver­saillaise avait pu sai­sir, par four­nées et à coups de mitrailleuses.

Rue de Cichy rele­vons-nous dans une lettre à laquelle nous emprun­tons par­tie de ces hor­reurs — j’ai vu pas­ser un convoi de pri­son­niers par­mi les­quels il se trou­vait des femmes ayant des enfants à la mamelle. Les mal­heu­reux qui ne pou­vaient mar­cher assez vite étaient frap­pés à coup de plat de sabre ou piqués avec la pointe.

La bataille dans Paris avait pris fin. C’é­tait un énorme sou­la­ge­ment de ne plus entendre la canon­nade de la bat­te­rie des Buttes qui fou­droyait les bat­te­ries fédé­rées des But­tés-Chau­mont et du Père-Lachaise ; c’en était un aus­si de ne plus voir la troupe cam­per dans les rues et de ne plus ren­con­trer les tapis­sières recou­vertes de bâches, d’où s’é­chap­paient des filets de sang, car elles étaient bon­dées de morts qu’on allait enter­rer pêle-mêle dans les cime­tières. Mais les cours mar­tiales fonc­tion­naient tou­jours ; les jour­naux exci­taient les auto­ri­tés à la chasse aux vain­cus, et des hommes de grand talent, des écri­vains aimés ne crai­gnaient pas de jouer le rôle de dénon­cia­teurs, trou­vant qu’on n’a­vait pas assez fusillé, exter­mi­né… C’é­tait un affo­le­ment de réaction.

« Tous les sol­dats qui ont pris part à ces exé­cu­tions et que j’ai ques­tion­nés ont été una­nimes dans leurs récits.

« L’un d’eux me disait : «— Nous avons fusillé à Pas­sy une qua­ran­taine de ces canailles. Ils sont tous morts en sol­dats. Les uns croi­saient les bras et gar­daient la tête haute. Les autres ouvraient leurs tuniques et nous criaient : « Faites feu ! Nous n’a­vons pas peur de la mort ! »

Et le comte de Mun, qui avait pris part à l’in­ves­tis­se­ment de Paris par l’ar­mée de Ver­sailles, répon­dait à la Com­mis­sion d’en­quête sur la Commune :

Les hommes que j’ai vu fusiller après la bataille, sans juge­ment — c’est hor­rible à pen­ser — ils mou­raient avec insolence.

Inca­pable sans doute de com­prendre, le « comte » prend le défi qui n’est en la cir­cons­tance qu’une forme du cou­rage pour ce qu’il qua­li­fie « d’insolence ».

Les hommes de sa classe ne savent jamais juger les ouvriers qu’à leur aune.

Certes, l’on pour­rait ajou­ter des faits aus­si pré­cis à l’in­fi­ni, les docu­ments ne manquent pas, mais à quoi bon ?

La Com­mune de 1871 res­te­ra un des faits les plus élo­quents de l’his­toire de la France. Les bour­geois ont mon­tré là toute la haine qu’ils ont en réserve pour la classe ouvrière.

Nous n’a­jou­te­rons rien de plus. 

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