La Presse Anarchiste

Le devoir de l’homm

L’homme est un ani­mal, mais il est le plus éle­vé de tous les ani­maux. C’est un ani­mal, parce que ses organes essen­tiels se retrouvent dans toutes les espèces, quelles qu’elles soient, et aus­si parce que les sciences géo­lo­giques nous le montrent des­cen­dant d’une lente pro­gres­sion des espèces pri­mor­diales. La rai­son même, qu’on a pré­ten­du être son propre, appar­tient à tous les êtres vivants, mais à des degrés plus ou moins éle­vés ; c’est ain­si qu’elle gran­dit à mesure que l’on monte l’é­chelle vitale et que la sépa­ra­tion des fonc­tions est de plus en plus manifeste.

Il semble très ration­nel de sup­po­ser que l’homme n’est lui-même qu’un éche­lon de l’é­chelle vivante et que de même qu’il est né d’es­pèces infé­rieures, de même il doit don­ner nais­sance à des espèces supé­rieures. Cette hypo­thèse étant sup­po­sée rai­son­nable, nous nous aper­ce­vrons immé­dia­te­ment que nous avons un grand devoir à rem­plir si nous vou­lons que notre espèce s’é­lève au lieu de s’a­bais­ser. Ce devoir est d’aug­men­ter de plus en plus notre capa­ci­té intel­lec­tuelle et de débar­ras­ser notre esprit de ces faux sen­ti­ments de patrie et de reli­gion que l’on a l’o­dieuse habi­tude de lui ino­cu­ler dès notre jeune âge.

Plus nous appren­drons, plus nous cher­che­rons à com­prendre le méca­nisme de ce qui nous entoure et de ce que nous sommes, et plus notre capa­ci­té intel­lec­tuelle s’a­gran­di­ra, c’est-à-dire que nous devien­drons de plus en plus aptes à com­prendre des choses nou­velles. Mais ce qui est impor­tant dans cette assi­mi­la­tion intel­lec­tuelle, c’est que non seule­ment nous tra­vaillons pour nous, mais encore pour l’a­ve­nir : — c’est-à-dire que si nous nais­sions avec une intel­li­gence que je repré­sen­te­rai par 10 sur 100, la plu­part de nos enfants naî­tront avec une capa­ci­té intel­lec­tuelle que je repré­sen­te­rai par 11 sur 100 et ain­si de suite. Il est donc bien impor­tant que nous cher­chions à com­prendre les phé­no­mènes natu­rels et les causes des consti­tu­tions mau­vaises, parce que nous tra­vaillons pour nous et pour ceux qui vien­dront après nous. Il est presque aus­si utile que nous nous débar­ras­sions de deux acqui­si­tions dan­ge­reuses ; je veux par­ler des idées de patrie et de reli­gion. Rien n’est plus capable d’ar­rê­ter l’es­sor intel­lec­tuel que ces deux mythes.

Lorsque nous arri­vons pour la pre­mière fois à l’é­cole, ce qui frappe d’a­bord nos yeux, ce sont des tableaux repré­sen­tant des com­bats, c’est-à-dire la chose la plus odieuse qui soit en usage dans les espèces ani­males. Les pre­miers livres dans les­quels nous appre­nons à épe­ler sont des œuvres rela­tant les détails de ces batailles, et qui, à l’aide de phrases excla­ma­tives et heu­reu­se­ment com­bi­nées, cherchent à éveiller en notre cer­veau cette fibre qu’une lente assi­mi­la­tion d’i­dées patrio­tiques par les esprits de nos pères a ren­due héré­di­taire par­mi nous. Avec le temps et une culture adroite, on arrive à gros­sir cette fibre jus­qu’à ce qu’elle marque d’un sceau tous nos rai­son­ne­ments et toutes nos aspirations.

Les édu­ca­teurs trouvent aus­si un grand moyen de frap­per les jeunes ima­gi­na­tions à l’aide de cos­tumes et autres arle­qui­nades militaires.

Les idées reli­gieuses se pro­pagent avec le même suc­cès dans les écoles spé­ciales, mais leur résul­tat est encore plus déplo­rable que celui de l’é­du­ca­tion patriotique.

Il faut avant tout nous débar­ras­ser de ces deux théo­ries et acqué­rir une liber­té d’es­prit et de rai­son­ne­ment. qui nous per­mette de consi­dé­rer les choses sous leur aspect ration­nel et de dis­tin­guer la véri­té d’entre les fic­tions et les sophismes. Alors, nous pour­rons son­ger à tra­vailler pour l’a­nar­chie et à poser les pre­miers jalons de notre tâche à venir.

Sou­ve­nons-nous que nous ne pour­rons vaincre nos innom­brables enne­mis qu’à force de savoir.

Georges Enger­rand (étu­diant en sciences) 

La Presse Anarchiste