La Presse Anarchiste

Nouvelles du front

Hongrie

L’op­po­si­tion en Hon­grie est en pleine expan­sion. Après le vide de près de 20 ans causé par la répres­sion qui a suivi 1956, une oppo­si­tion poli­tique de plus en plus active se développe depuis le milieu des années 70. Si elle est tra­di­tion­nelle par de nom­breux côtés (légal­isme, samiz­dat, man­i­fes­ta­tions et tracts, uni­ver­sité par­al­lèle…), cer­tains sont très orig­in­aux par rap­port à ses homo­logues sovié­tique, polon­aise ou tché­coslo­vaque (par ex. la SZETA, asso­ci­a­tion non offi­cielle d’aide aux pau­vres). Dans un arti­cle décrivant cette oppo­si­tion hon­groise (L’Al­ter­na­tive nº19), Bill Lomax nous apprend qu’elle con­tient un courant lib­er­taire. Il sig­nale en effet la paru­tion en samiz­dat d’une « analyse de la poli­tique hon­groise actuelle à la lumière de l’his­toire » inti­t­ulée « Hon­grie 1984 ?» et signée Lib­er­tar­ius. Il men­tionne aus­si qu’en décem­bre 1981 est sor­ti un jour­nal poly­copié inti­t­ulé Kisúgó (L’ex­for­ma­teur par oppo­si­tion à Infor­ma­teur) voulant, « sur un ton acéré et sans com­pro­mis, met­tre à nu la rhé­torique libérale du régime de Kadar et inciter l’op­po­si­tion à mon­tr­er moins de timid­ité ». Au som­maire, des extraits de la Let­tre Ouverte de Kuron et Modzelews­ki datant de 1964, et plusieurs textes de Malatesta.

URSS

Si de nom­breux samiz­dats sont parus et parais­sent en URSS, peu d’en­tre eux font allu­sion ou citent l’a­n­ar­chisme ou les anar­chistes. Jusqu’à présent, à notre con­nais­sance, aucun n’é­tait con­sacré exclu­sive­ment à ce sujet. Nous venons d’obtenir un texte inti­t­ulé « Nestor Makhno et la ques­tion juive » et pub­lié en samiz­dat à Moscou en juin 1982. L’au­teur, V. Litvi­nov, démon­tre en 20 pages de texte ser­ré que Makhno et le mou­ve­ment makhno­viste sont calom­niés lorsqu’on les accuse d’an­tisémitisme et d’avoir fait des pogroms. Il démonte tout d’abord les mécan­ismes de la pro­pa­gande sovié­tique et les raisons de ces calom­nies (le pro­jet social réelle­ment révo­lu­tion­naire des makhno­vistes et leur oppo­si­tion au bolchevisme), puis il décrit au tra­vers de la vie de Makhno le mou­ve­ment anar­cho-com­mu­niste en Ukraine de 1905 à 1921 et ses rap­ports étroits avec la com­mu­nauté juive. Il cite de nom­breux faits pré­cis infir­mant ces accu­sa­tions d’an­tisémitisme, et il donne en pas­sant de nom­breux ren­seigne­ments sur le véri­ta­ble vis­age du mou­ve­ment makhno­viste. Pour don­ner un bon aperçu de l’e­sprit de ce samiz­dat, il suf­fit d’en citer quelques lignes : « La véri­ta­ble his­toire du mou­ve­ment anar­cho-com­mu­niste en Ukraine du Sud est étroite­ment liée au nom de Makhno et au mou­ve­ment pour l’é­man­ci­pa­tion juive. Par con­séquent, elle n’a stricte­ment rien à voir avec les réc­its calom­nieux qui pro­lifèrent dans l’his­to­ri­ogra­phie d’É­tat con­tem­po­raine. Pour cette rai­son, le tra­vail de recherche sur l’his­toire de l’a­n­ar­cho-com­mu­nisme devrait com­mencer avant tout par sup­primer les effets de ces calom­nies qui entourent le nom de Makhno et par rétablir les faits his­toriques dans leur authen­tic­ité.» Une édi­tion en français de ce texte impor­tant est prévue, et nous espérons qu’elle paraî­tra le plus rapi­de­ment possible.

Vladimir Skobov était en 1978 le prin­ci­pal ani­ma­teur de l’« Oppo­si­tion de Gauche » de Leningrad avec Arka­di Tsourkov, et fai­sait par­tie de sa frac­tion marx­iste-lib­er­taire. Con­damné en avril 1979 à l’in­terne­ment en hôpi­tal psy­chi­a­trique pour une durée indéter­minée à la suite de cette affaire, il y ren­con­tre en 1980 Vladimir Borissov, fon­da­teur du SMOT et interné comme lui. En 1980, il annonce depuis l’hôpi­tal psy­chi­a­trique nº3 de Leningrad son adhé­sion au SMOT. Libéré en juin 1981, il devient mem­bre du Con­seil des Représen­tants du SMOT (les seuls mem­bres du syn­di­cat dont les noms sont divul­gués publique­ment). Le 20 décem­bre 1982, il est de nou­veau arrêté, ain­si qu’ Iri­na Lopo­toukhi­na-Tsourko­va, anci­enne mem­bre de l’« Oppo­si­tion de Gauche » elle aus­si, et femme d’Arka­di Tsourkov qui est tou­jours en prison à la suite de cette affaire. L’ar­resta­tion de V. Skobov et de I. Tsourko­va se situe dans une vague de répres­sion qui touche le SMOT (perqui­si­tions, con­fis­ca­tion du matériel ser­vant à éditer le Bul­letin, provo­ca­tions, arresta­tions et con­damna­tions en série de ses membres).

Pologne

Ces derniers temps, de nom­breuses infor­ma­tions sont par­v­enues à l’Ouest sur les activ­ités anar­chistes en Pologne depuis août 80. Out­re l’in­ter­view de Piotr Chruszczyn­s­ki dans ce numéro et l’ar­ti­cle de Nowa Gaze­ta Mazowiec­ka du précé­dent numéro d’Iz­tok, on peut citer « L’ap­pel au mou­ve­ment lib­er­taire occi­den­tal » du groupe SIGMA de Varso­vie paru dans Direk­te Aktion (paru en français en décem­bre 1982 dans Le Monde Lib­er­taire) et le dossier sur l’a­n­ar­cho-syn­di­cal­isme en Pologne paru dans Le Com­bat Syn­di­cal­iste nº2 de jan­vi­er 1983 qui com­prend une inter­view d’un ancien mem­bre de SIGMA. Toutes ces infor­ma­tions tour­nent essen­tielle­ment autour de ce club SIGMA. Voilà ce que nous pou­vons en dire actuelle­ment : SIGMA est lié au SZSP, l’or­gan­i­sa­tion du Par­ti pour les étu­di­ants. Après août 80, il a été pris en main par un groupe de ten­dance gauchiste qui s’est servi de ses struc­tures pour éditer un cer­tain nom­bre de livres, brochures et revues. Ce groupe était de ten­dance très net­te­ment marx­iste-révo­lu­tion­naire trot­skysante, avec une petite influ­ence anar­chiste. Le 13 décem­bre, une par­tie de ses mem­bres s’est ral­liée au pou­voir, l’autre est entrée dans la clan­des­tinité. Leurs revues, dont la Nowa Gaze­ta Mazowiec­ka, ne pou­vant plus paraître, le groupe clan­des­tin s’al­lie avec d’autres gauchistes et ils créent le Comité d’Ac­cord de la Gauche Révo­lu­tion­naire (ce point n’est pas sûr, mais ils col­la­borent apparem­ment) et il par­ticipe à une nou­velle revue clan­des­tine de la gauche révo­lu­tion­naire Rowność (Égal­ité). En sep­tem­bre il scis­sionne. Une par­tie s’en va avec le pro­jet de con­tin­uer la revue Rowność (dont un mem­bre a été inter­viewé dans le Com­bat syn­di­cal­iste). L’autre par­tie est sem­ble-t-il à orig­ine de l’ap­pel paru dans Direk­te Aktion. Aucune action clan­des­tine n’a été signée SIGMA, sauf cet appel…

La sit­u­a­tion est donc on ne peut plus con­fuse. SIGMA a tou­jours eu mau­vaise répu­ta­tion, car avant août 80, il ser­vait à divers­es bass­es besognes comme la per­tur­ba­tion des cours de l’U­ni­ver­sité Volante organ­isés par l’op­po­si­tion. Les gauchistes d’après août 80 étaient con­sid­érés comme hon­nêtes dans leur majorité, mais leur appar­te­nance à l’or­gan­i­sa­tion étu­di­ante offi­cielle et leur idéolo­gie com­mu­niste cri­tique, mais com­mu­niste tout de même, étaient mal perçus. Les dif­férentes infor­ma­tions et les dif­férents avis sur eux con­ver­gent : ils ont été en par­tie util­isés et en par­tie manip­ulés par le pou­voir. La scis­sion de sep­tem­bre est due sem­ble-t-il à la volon­té d’une par­tie du groupe de ne plus se laiss­er manipuler.

On ne peut pas dire que ces gens soient anar­chistes. Pour ceux d’en­tre eux qui étaient hon­nêtes et que nous avons pu ren­con­tr­er, nous pou­vons les qual­i­fi­er de marx­istes cri­tiques en pleine recherche et sans dogme bien défi­ni. Ils en étaient à se réclamer de Marx, Bak­ou­nine, Kropotkine, Mar­tov, Trot­sky, Lux­em­bourg, Gram­sci, Korsch et Lukacs, dans l’or­dre de cita­tion. La pen­sée anar­chiste les intéres­sant, ils ont con­tribué à sa dif­fu­sion par la pub­li­ca­tion d’ar­ti­cles (sur l’a­n­ar­chisme russe par ex) ou de brochures (« Mon Cre­do Social » de Max­i­mov). Le prof­it qu’ils en ont retiré pour leurs pro­pres idées poli­tiques est moins évi­dent, bien qu’on prisse les qual­i­fi­er d’an­ti­au­tori­taires au sens large. Mais ils nous ont appris par leurs textes et leurs inter­views que d’autres groupes et revues anar­chistes et anar­cho-syn­di­cal­istes exis­taient. Il reste à pren­dre con­nais­sance des posi­tions et des activ­ités de ces autres groupes pour pou­voir con­naître réelle­ment le vis­age du mou­ve­ment lib­er­taire polon­ais con­tem­po­rain. (dernière minute, nous venons d’obtenir un appel au sou­tien du mou­ve­ment lib­er­taire inter­na­tion­al signé Rowność et dont un mem­bre inter­viewé ce même mois ne sem­blait pas avoir con­nais­sance : tout se complique). 


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