La Presse Anarchiste

Le surréalisme en Yougoslavie

Le sur­réal­isme fait son appari­tion très tôt à Bel­grade. Dès 1924 paraît la revue Témoignages ani­mée par Mar­co Ris­tic, où l’on trou­ve les pre­miers textes automa­tiques en serbe et des comptes-ren­dus des pub­li­ca­tions sur­réal­istes de Paris, notam­ment du Man­i­feste. En retour l’ac­tiv­ité sur­réal­iste en Yougoslavie laisse une trace en français dans le numéro 5 de la Révo­lu­tion sur­réal­iste avec le roman en images Vam­pir traduit par Mon­ny de Boul­ly. Pen­dant une dizaine d’an­nées s’in­stau­rent des rela­tions étroites entre sur­réal­istes yougoslaves et français, qui trou­veront leur expres­sion con­crète avec la paru­tion de l’al­manach L’Im­pos­si­ble en mai 1930 à Bel­grade. Mêlés aux textes du groupe serbe, se lisent en français des poèmes de Bre­ton, Elu­ard, Peret, etc. Pen­dant deux ans l’ac­tiv­ité col­lec­tive se pour­suiv­ra à Bel­grade avec les trois numéros de la revue Le sur­réal­isme aujour­d’hui et ici. À la fin de 1932, plusieurs mem­bres du groupe sont arrêtés pour activ­ités communistes.

Retenons de cette péri­ode le texte paru sous le titre « Bel­grade, 23 décem­bre 1930 » et repro­duit dans le nº3 du Sur­réal­isme au ser­vice de la Révo­lu­tion :

« Tout un monde con­tre tout un monde.

Le monde de la dialec­tique infinie et de la con­créti­sa­tion dynamique con­tre le monde de la méta­physique mor­tu­aire et de l’ab­strac­tion sta­tique et empâtée. Le monde de la libéra­tion de l’homme et de l’ir­ré­ductibil­ité de l’e­sprit con­tre le monde de la con­trainte, de la réduc­tion, de la cas­tra­tion morale et autre. Le monde du dés­in­téresse­ment irré­sistible con­tre le monde de la pos­ses­sion, du con­fort et du con­formisme, du piteux bon­heur per­son­nel, de l’é­goïsme médiocre, de tous les compromis…

Il est grande­ment temps pour l’homme de s’oc­troy­er ses droits et non pas de les deman­der. Sur la voie de la con­créti­sa­tion de l’homme, cette inté­gra­tion idéale de notre insis­tance totale, il nous appa­raît claire­ment qu’en présence de tout ce qui sur cette voie sig­ni­fie un obsta­cle ou un empêche­ment, notre révolte ne peut que pren­dre le car­ac­tère d’une action inces­sante, vio­lente et destruc­trice… Et tout cela nous cite finale­ment devant la néces­sité d’un boule­verse­ment général du monde, auquel seul aujour­d’hui nous nous sen­tons appelés à col­la­bor­er. Et sur cette voie de la total­i­sa­tion du des­tin de l’homme ou de sa perdi­tion, nous sommes prêts à accepter les uniques direc­tives réelles dic­tées par les con­di­tions don­nées et matérielles de cette per­tur­ba­tion, qui exclu­ent tout arbi­traire, toute labil­ité morale et tout chas­sé-croisé intellectuel. »

Hélas!, bien peu des sig­nataires de cette déc­la­ra­tion se sont main­tenus à la hau­teur de la révolte sans con­di­tions qui s’y trou­ve exprimée. Dès 1933, sous l’in­flu­ence de Miroslav Krleza, écrivain pro­lifique, proche du par­ti com­mu­niste, mais opposé aux thès­es jdanovistes sur la cul­ture, Mar­co Ris­tic se détache pro­gres­sive­ment de Bre­ton, et par­ticipera à la revue Pecat à Zagreb. Après la guerre, ral­lié au régime titiste, il devien­dra ambas­sadeur à Paris tout en pour­suiv­ant une car­rière de poète offi­ciel. Un Kotcha Popovic devien­dra chef d’é­tat-major et vice-prési­dent de la république… Aragon et Elu­ard, on le voit, ont fait école…

Ain­si, du fait essen­tielle­ment de la récupéra­tion par le par­ti de ses anciens ini­ti­a­teurs, il n’y a plus en Yougoslavie de mou­ve­ment sur­réal­iste authen­tique après la guerre. L’in­flu­ence sur­réal­iste n’en con­tin­uera pas moins de s’ex­ercer souter­raine­ment sur des indi­vid­u­al­ités isolées. Ain­si le poète et auteur dra­ma­tique Radovan Ivsic, né en 1921, dont nous présen­tons ci-dessous une inter­ven­tion, devra renon­cer en 1948 à pour­suiv­re son activ­ité théâ­trale dans son pays et rejoin­dra le groupe sur­réal­iste de Paris en 1959.

Joel G.

Élé­ments bibliographiques :

Hormis les revues sur­réal­istes serbes citées plus haut, et qui sont introu­vables, on peut se référ­er aux textes suivants :
— « Le Vam­pire » présen­té par Mon­ny de Boul­ly in La révo­lu­tion sur­réal­iste no5.
— « Bel­grade, 23 décem­bre 1930 » in Le sur­réal­isme au ser­vice de la Révo­lu­tion no3.
— Mar­co Ris­tic, « L’hu­mour atti­tude morale » in S.A.S.D.L.R. no6.
— Dusan Mat­ic, « La pêche trou­ble dans l’eau claire », ibidem.
— Vane Bor, « Let­tre à Sal­vador Dali », ibidem.

Sig­nalons en out­re : le livre de Dusan Mat­ic, « André Bre­ton oblique », et son échange de cor­re­spon­dance avec le stal­in­ien Jouf­froy, paru dans la revue Opus nº19–20 ; la notice sur le sur­réal­isme serbe et croate paru dans « Le domaine poé­tique inter­na­tion­al du sur­réal­isme » (no29–30-31 de la revue Le puits de l’er­mite); la thèse de Han­i­fa Kapidz­ic-Osman­ag­ic, Le sur­réal­isme serbe et ses rap­ports avec le sur­réal­isme français, éd. Les belles let­tres, 1968. 


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