La Presse Anarchiste

Dans l’internationale

Allemagne

L’heure suprême de Brest-Litovsk a été tra­gique pour la révo­lu­tion mondiale.

La diplo­ma­tie ger­ma­nique avait d’a­bord ten­té de suivre les bol­che­vi­ki sur leur franc et solide ter­rain du droit. Elle pen­sait amu­ser le tapis, mais le jeu en se pro­lon­geant tour­nait contre elle. Les mili­taires inter­vinrent et Brest fut ouver­te­ment la paix de l’é­pée. Annexions et indem­ni­tés. Aux appels déchi­rants de Trots­ky, en Alle­magne rien ne parut répondre.

Situa­tion ter­rible pour les révo­lu­tion­naires de Rus­sie, d’Al­le­magne, de par­tout. Les Alle­mands ne ten­te­raient-ils rien ? Il sem­blait que, dussent-ils même ne sau­ver que l’hon­neur, les posi­tions réci­proques étaient si claires qu’ils devaient se lever.

Pour­quoi leur abs­ten­tion ? Pour­quoi, de la part de leurs gou­ver­nants, cette vio­lence presque avouée ?

On peut d’a­bord remar­quer que la paix de Brest a été signée dans la période qui a sui­vi les grèves alle­mandes, grèves qui semblent avoir été très sérieuses. Mais plus elles auront été graves, plus pro­fonde a dû être la dépres­sion qui les a sui­vies. Cir­cons­tances néfastes à un mou­ve­ment. Il paraît bien par ailleurs, et c’est très vrai­sem­blable, que les forces d’É­tat aient mis tout en œuvre, sur­veillance poli­cière et arres­ta­tions, cam­pagne de men­songes sur les atro­ci­tés bol­che­vi­kistes, etc., pour pré­ve­nir toute action.

Mais il est d’autres expli­ca­tions, plus essen­tielles, pour ce grand épi­sode de la lutte.

Comme tous les gou­ver­ne­ments, les gou­ver­ne­ments des empires cen­traux sont aux prises, chez eux, avec deux forces contra­dic­toires sur cha­cune des­quelles ils sont contraints de s’ap­puyer suc­ces­si­ve­ment ; presque depuis les pre­miers mois de la guerre, cette poli­tique de bas­cule a été celle de tous les états belligérants.

D’une part ils ont devant eux leurs élé­ments impé­ria­listes, tenants du régime capi­ta­liste et vrais res­pon­sables de la guerre, avec les com­plices incons­cients et dupés de ceux-ci. En face il y a la misère, toute la misère, la mort des hommes, la ruine, l’af­fais­se­ment des éner­gies, la démo­ra­li­sa­tion, tout le sombre nuage qui obs­cur­cit l’ho­ri­zon du monde.

C’est à cette seconde force que s’a­dres­sait en Alle­magne avec suc­cès, la pro­pa­gande bol­che­vik, et c’est pour la ména­ger que les auto­ri­tés impé­riales ont simu­lé, à la colère des pan­ger­ma­nistes, leur pre­mière atti­tude de conci­lia­tion à Brest-Litovsk. Mais elles ont dû recon­naître qu’elles ne pou­vaient tenir dans ce rôle, qu’on ne fait pas sa part à l’es­prit de révo­lu­tion, et que fina­le­ment elle cou­rait grand risque d’al­ler contre leur propre salut. Per­sonne ne se dis­si­mule que l’an­gois­sant sou­ci de tous les gou­ver­nants, c’est l’é­chéance : Com­ment en sor­ti­rons-nous ? En com­po­sant avec la Révo­lu­tion, des Alle­mands n’en sor­ti­raient pas sans lais­ser des plumes, et ils s’en sont bien­tôt aper­çus. D’où le ren­ver­se­ment de leur poli­tique russe.

Pour cette nou­velle atti­tude de contre-révo­lu­tion et de vio­lence, bien plus conforme à la nature de l’É­tat, ils se sont appuyés, de tout leur poids sur leurs vraies troupes. Et pour en obte­nir un plein appui, il ne pou­vait être ques­tion de leur mar­chan­der les satis­fac­tions. Aus­si y est-on allé carrément.

« Le peuple d’une nation vic­to­rieuse ne fait pas de révo­lu­tion. » Ce lieu com­mun de l’his­toire est peut-être faux comme bien d’autres. Mais il est sûr que lors­qu’un gou­ver­ne­ment peut jeter à son peuple des pro­fits, même spé­cieux, l’arme est bonne. La misère même s’y trompe, crois que l’a­ve­nir sera meilleur. C’est ce qui s’est pas­sé. Les Renau­del et les Jou­haux de là-bas ont pu pro­tes­ter. Trop tard. Leurs ouvriers, leurs pay­sans, natio­na­li­sés, démo­ra­li­sés par eux, ont escomp­té les pré­ten­dus béné­fices de la vic­toire. Ils ont été momen­ta­né­ment per­dus pour la Révolution.

Et après  Après, c’est l’of­fen­sive sur le front anglo-fran­çais. Et cette offen­sive, si les impé­riaux l’ont faite, c’est qu’ils y ont été contraints. Ils n’i­gnorent pas en effet les périls qu’elle com­porte pour eux. On voit ain­si le peu que vaut la vic­toire mili­taire. C’est le gouffre non com­blé, mais qui se creuse encore, devant tous, vain­cus et vainqueurs.

Le mili­ta­risme est comme le che­val for­mi­dable de la légende. Son cava­lier le flatte, rit de joie et de force. Mais enfin il vou­drait s’ar­rê­ter. Non, non. La che­vau­chée s’ac­cé­lère. Et avec son cava­lier, qui n’est plus main­te­nant qu’un spectre misé­rable, trem­blant de froid et de peur, le monstre ne s’ar­rê­te­ra qu’à son terme : dans l’a­bîme et les reins cassés.

J.D.

Russie

Jamais sans doute on n’a vu gou­ver­ne­ment plus libé­ral que celui des bol­che­vi­ki. En effet, les com­mis­saires du peuple de Petro­grad ont lais­sé les cor­res­pon­dants étran­gers les traî­ner dans la boue, déna­tu­rer leurs faits et gestes, men­tir avec une fan­tai­sie et une fré­né­sie incon­nues jus­qu’a­lors. La presse fran­çaise s’est désho­no­rée par la façon dont elle a infor­mé ses lec­teurs sur les évé­ne­ments de Rus­sie. Au pre­mier rang des impos­teurs brillent Claude Anet du Petit Pari­sien, et Paul Erio du Jour­nal. Si adver­saire que l’on soit de toute coer­ci­tion, comme on aurait com­pris Lénine et Trots­ky som­mant ces impu­dents jour­na­listes de rec­ti­fier leurs dires, ou de quit­ter le sol de la répu­blique russe ! Vrai­ment, le pou­voir socia­liste des bol­che­vi­ki a fait preuve d’une tolé­rance excessive…

On com­mence, dans la grande, presse, à juger avec plus d’é­qui­té les révo­lu­tion­naires mos­co­vites. Citons l’o­pi­nion de M. Fran­çois, ex-cor­res­pon­dant du Matin, qui écrit dans l’Éclair :

« J’ai eu l’oc­ca­sion, à Petro­grad, de voir de très près quelques com­mis­saires du peuple. La plu­part me parurent des tra­vailleurs éner­giques, dési­reux de bien faire, intel­li­gents et rem­plis de courtoisie. »

Cette opi­nion favo­rable ne sau­rait nous faire oublier les insultes vipé­rines des jour­naux capi­ta­listes fran­çais à qui la haine aveugle du socia­lisme a fait com­mettre les pires vilenies.

Mort d’un ploutocrate

Le mois der­nier, Mar­seille a vu les funé­railles de l’illustre Jules Charles-Roux, com­man­deur de la Légion d’hon­neur ; ancien débu­té ; vices-pré­sident de la Com­pa­gnie de Suez ; admi­nis­tra­teur du P.L.M.; pré­sident de la Socié­té Mar­seillaise de Cré­dit indus­triel et com­mer­cial com­mer­cial et de dépôts ; pré­sident de l’U­nion Colo­niale Fran­çaise ; pré­sident du Comi­té des Arma­teurs de France ; pré­sident de la Com­pa­gnie Géné­rale Trans­at­lan­tique ; pré­sident des Chan­tiers et Ate­liers de Saint-Nazaire ; admi­nis­tra­teur du Comp­toir d’Es­compte de Paris ; pré­sident, des Chan­tiers et Ate­liers de Pro­vence ; pré­sident du Conseil de Sur­veillance de la Com­pa­gnie de Navi­ga­tion Frais­si­net ; admi­nis­tra­teur des Raf­fi­ne­ries de Sucre de Saint-Louis ; admi­nis­tra­teur de la Socié­té Fran­co- Afri­caine ; pré­sident de la Land Bank of Egypt, etc.

Ce capi­ta­liste était un de ces poten­tats dont aucune révo­lu­tion n’a jus­qu’i­ci ren­ver­sé la puissance.

L’af­faire Durand qui revient sur l’eau et qui est une des plus grandes canaille­ries que le monde ait vues, en est une fla­grante démons­tra­tion. Les deux pôles : J. Ch. Roux―Durand la plou­to­cra­tie finan­cière et l’es­cla­vage du tra­vail, sym­bo­lisent toute l’i­gno­mi­nie sociale, guerre com­prise, et montrent que tout, tout est encore a faire. 

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