La Presse Anarchiste

L’affaire Guilbeaux

Notre ami Hen­ri Guil­beaux, direc­teur de la revue Demain, s’est atti­ré par son ardeur révo­lu­tion­naire, et haine des enne­mis de la liber­té et de la jus­tice ; cette haine triomphe aujourd’­hui : les mal­heu­reux hommes qui se sont fait les pour­voyeurs pour les basses œuvres des Beren­ger et des Dau­det ont incul­pé Guil­beaux d’in­tel­li­gence avec l’en­ne­mi. Ce n’est pas à cette heure que nous le renierons.

C’est l’in­tré­pi­di­té de Guil­beaux, sa téna­ci­té, son dés­in­té­res­se­ment, son dévoue­ment à la cause du peuple qui lui ont valu notre ami­tié et notre estime ; elles ne lui man­que­ront pas. Et pour moi, je m’ho­nore d’a­voir col­la­bo­ré à Demain, où le socia­lisme zimer­wal­dien, seul espoir dans notre nuit san­glante, a tou­jours été défen­du sans compromission.

Demain a atta­qué sans ména­ge­ments les enne­mis mor­tels de la Révo­lu­tion, la guerre et ceux qui engendrent et nour­rissent la guerre, tous les impé­ria­lismes, tous les mili­ta­rismes. L’argent est l’ar­ma­ture de ces puis­sances de mort ; il n’est pas notre allié. L’argent louche, on soit où le trou­ver : au Jour­nal, au Rap­pel,

[(cen­su­ré sur 15 lignes)]

Mar­cel Martinet

Dans la consi­dé­rable His­toire des Faus­saires d’o­pi­nion durant la guerre du Droit, l’«affaire Guil­beaux » consti­tue­ra un cha­pitre ins­truc­tif. Indi­quons-en pour aujourd’­hui, le prologue.

Elle a été offi­ciel­le­ment amor­cée par une espèce de com­mu­ni­qué poli­cier que les jour­naux « patriotes » ont repro­duit en le démar­quant plus ou moins. Ce texte offi­cieux était assez ori­gi­nal : les seuls faits qu’il conte­nait étaient tous faux.

Plu­sieurs de nos amis avaient rédi­gé à ce pro­pos une rec­tion qu’ils avaient adres­sée au Temps. Ce jour­nal pas­sait avant la guerre pour être probe dans sa docu­men­ta­tion, mais c’é­tait avant la guerre, et le Temps s’est, bien enten­du, gar­dé d’in­sé­rer cette lettre, que nous publions ci-dessous :

Paris, mer­cre­di 27 février 1918.

À M. le Direc­teur du Temps.

Mon­sieur le Directeur,

Vous avez publié dans votre numé­ro du 22 février der­nier, sous le titre « Le défai­tiste Guil­beaux », une note rela­tive à l’ins­truc­tion pour « intel­li­gences avec l’en­ne­mi », ouverte contre M. Hen­ri Guilbeaux.

Cette note, dont les termes se retrouvent dans dif­fé­rents jour­naux, paraît vous avoir été com­mu­ni­quée. Il ne nous appar­tient pas de rele­ver ici, la pré­sen­ta­tion et l’in­ter­pré­ta­tion ten­dan­cieuses des faits rele­vés contre M. Guil­beaux, mais ces faits eus-mêmes étant inexacts, nous ne dou­tons pas que vous n’in­sé­riez les rec­ti­fi­ca­tions maté­rielles qu’en l’ab­sence de l’in­té­res­sé nous croyons devoir vous adresser.

1° Il est dit que M. Guil­beaux « se ren­dit à Genève où il rejoi­gnit notam­ment Lénine et Hart­mann ». M. Guil­beaux, char­gé d’un emploi à l’A­gence inter­na­tio­nale des pri­son­niers, bien connue de vos lec­teurs, se ren­dit, en effet à Genève, mais il n’y rejoi­gnit ni Lénine ni Hart­mann, ne connais­sant à cette époque ni l’un ni l’autre.

2° Il est par­lé des rela­tions de M. Guil­beaux avec « Alme­rey­da et autres liber­taires notoires ». M. Guil­beaux avait fort peu connu Alme­rey­da avant la guerre. Depuis la guerre il pro­fes­sait pour ce der­nier, qui ne se dise plus liber­taire et n’é­tait plus consi­dé­ré comme tel par aucun de ses anciens com­pa­gnons de lutte, des sen­ti­ments qui lui étaient com­muns avec tous les Zim­mer­wal­diens fran­çais. Nous pou­vons dire, sans char­ger en rien la mémoire d’un mort, que ces sen­ti­ments ne com­por­taient ni ami­tié ni estime. Guil­beaux, qui n’a entre­te­nu aucune rela­tion avec Alr­ne­rey­da, a par­lé de lui avec une dure­té extrême, toutes les fois qu’il en a eu l’occasion.

3° La note ajoute qu’«en avril 1917, il créa, en com­pli­ci­té avec Lénine et le condam­né anglais Edmund Morel, une revue défai­tiste, Demain…» Pour la rai­son expo­sée au début de notre lettre, nous ne rele­vons dans cette phrase que les faits. Ils sont faux, M. Guilleaux a créé Demain en jan­vier 1916 et il l’a créé seul. Lénine et M. Morel, qui alors n’é­tait pas « condam­né », ont figu­ré par­mi les col­la­bo­ra­teurs, mais n’ont jamais pris part à la direc­tion de la revue.

4° En ce qui concerne Paris-Genève, et dans la mesure où la gène appor­tée actuel­le­ment à la cor­res­pon­dance nous a per­mis d’être ren­sei­gnés, nous croyons savoir que M. Guil­beaux a ces­sé de col­la­bo­rer au bout de peu de temps à ce jour­nal, s’é­tant aper­çu qu’il ne cor­res­pon­dait pas à l’i­dée qu’on s’en était faite d’abord.

Veuillez agréer, etc. 

La Presse Anarchiste