La Presse Anarchiste

Eugénie, puericulture

Il y a quelques semaines, l’A­ca­dé­mie de méde­cine a consa­cré plu­sieurs séances à l’exa­men du pro­blème de la popu­la­tion. Bien que nos savants méde­cins aient pour but avoué la recherche des moyens des­ti­nés à accroître, coûte que coûte, le nombre des Fran­çais, il leur a fal­lu, inci­dem­ment, effleu­rer les ques­tions d’eu­gé­nie et de puériculture.

La fré­né­sie repeu­plante de l’A­ca­dé­mie a été quelque peu conte­nue par les remarques du pro­fes­seur Pinard. Il a rap­pe­lé que, sans la qua­li­té, la quan­ti­té des hommes était de peu de valeur et qu’il était néces­saire d’as­su­rer l’é­le­vage des petits avant de les appe­ler au monde. Si la concep­tion n’a pas lieu dans les meilleures dis­po­si­tions, pro­créa­trices, si la ges­ta­tion et rele­vage ne s’ef­fec­tuent pas dans les condi­tions sani­taires et éco­no­miques les plus favo­rables, mul­ti­plier peut deve­nir nui­sible aux indi­vi­dus, à la socié­té et à l’espèce.

On a fait remar­quer mille fois que l’homme qui veille, pour les ani­maux domes­tiques, à la repro­duc­tion des seuls sujets répu­tés les meilleurs, qui pra­tique, pour les bœufs, les che­vaux, etc., la sélec­tion arti­fi­cielle scien­ti­fique, a négli­gé com­plè­te­ment, jus­qu’a­lors, d’a­gir pour amé­lio­rer et per­fec­tion­ner sa propre espèce. Le pro­blème n’est même pas exa­mi­né. C’est plu­tôt à rebours que, dans la socié­té humaine, la sélec­tion se mani­feste. Les bons, les sains sont détruits, les mau­vais, les tarés, pré­cieu­se­ment entre­te­nus et conser­vés. Contrac­tées à l’a­ven­ture, les unions donnent à l’a­veu­glette des enfants qui s’é­lèvent n’im­porte com­ment. Et les guerres, les luttes indus­trielles et la cha­ri­té sup­priment les meilleurs ou les laissent déchoir, et cultivent les infé­rieurs. L’or­ga­ni­sa­tion de l’as­sis­tance publique est aus­si celle de la dégé­né­res­cence publique.

Si l’on n’a pas exclu­si­ve­ment en vue les motifs guer­riers, le prin­cipe du nombre à appo­ser au nombre pour la des­truc­tion réci­proque est tout à fait inopé­rant ; et même dans ce cas, il est très loin d’a­voir la por­tée qu’on se plaît à lui accorder.

Mais la ques­tion n’est pas là.

La ques­tion est celle-ci : vou­lons-nous consti­tuer une race robuste, intel­li­gente belle et heureuse ?

Si oui, il faut que l’homme, jus­qu’a­lors ani­mal sau­vage au point de vue sexuel, devienne, comme repro­duc­teur, ani­mal domes­tique. La mul­ti­pli­ca­tion de notre espèce doit, comme toute autre entre­prise, être sou­mise à l’exa­men, à la rai­son, subor­don­née à des consi­dé­ra­tions phy­sio­lo­giques, morales, esthé­tiques, de façon à ne trans­mettre aux géné­ra­tions suc­ces­sives que des carac­tères qui les ren­dront moins mal­heu­reuses que les nôtres.

En par­tant d’une base eugé­nique, il y a, semble-t-il, pour mettre l’hu­ma­ni­té en état de se per­fec­tion­ner à tous points de vue, quelques mesures prin­ci­pales à prendre.

Il faut d’a­bord lais­ser s’é­teindre la foule des dégé­né­rés, des tarés, des idiots, des fous, des alcoo­liques, des vicieux cri­mi­nels. Leur sté­ri­li­sa­tion s’im­pose d’au­tant plus qu’elle ne leur crée­rait, au contraire, aucune gêne. Des opé­ra­tions très simples, comme la vasec­to­mie, per­mettent de sup­pri­mer sans dou­leur la des­cen­dance des défi­cients phy­siques ou intel­lec­tuels de toutes sortes.

Il faut aus­si empê­cher, entra­ver tout au moins, la repro­duc­tion des ché­tifs, des malades atteints d’af­fec­tions trans­mis­sibles (syphi­lis, tuber­cu­lose, etc.). La plu­part d’entre eux ne tiennent pas aux abon­dantes pro­gé­ni­tures et la per­sua­sion, autant et plus que la contrainte, pour­rait agir.

Ces deux mesures consti­tuent ce qu’on peut appe­ler l’eu­gé­nisme répres­sif. Ils favo­risent l’eu­gé­nisme posi­tif, puisque, seuls, les sains ont licence de faire souche.

Mais il faut encore ne point lais­ser s’é­tio­ler les fruits des unions saines. Il est néces­saire de se confor­mer aux don­nées pué­ri­coles pour les entre­te­nir en par­fait état.

Il faut le repos, le soleil, la bonne nour­ri­ture, l’ha­bi­ta­tion large et propre, aux femmes enceintes, aux mères qui allaitent, aux enfants en bas âge. Par une péda­go­gie scien­ti­fique, par une viri­cul­ture atten­tive, il faut veiller au déve­lop­pe­ment com­plet, à l’é­pa­nouis­se­ment inté­gral des facul­tés de l’a­do­les­cent, du futur membre de la cité.

Eugé­nie, pué­ri­cul­ture, viri­cul­ture se tiennent, se complètent.

[(cen­sure sur 12 lignes)]

Sans doute la pru­de­rie ambiante, l’hy­po­cri­sie géné­rale, plus pro­fonde encore sur ces ques­tions que sur les autres, taxe­ront ces idées d’im­mo­ra­li­té. Et pour­tant aucune mesure, mieux que celles que nous indi­quons ne pro­cu­re­rait plus posi­ti­ve­ment et plus immé­dia­te­ment l’ai­sance à la foule humaine aucune ne contri­bue­rait plus rapi­de­ment à la diri­ger vers le pro­grès, vers l’é­man­ci­pa­tion, vers le bonheur.

G. Har­dy

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