La Presse Anarchiste

La Fontaine et sa philosophie

L’INGRATITUDE est illus­trée par « La Lice et sa com­pagne », « Le Loup et la Cigogne » et « Le Vil­la­geois et le Serpent ». 

Le loup délivré par la cigogne qui lui retire un os du gosier dit à cette dernière qui lui demande un salaire : 

Votre salaire ? dit le loup,

Vous riez ma bonne commère.

Quoi ! ce n’est pas encor beaucoup

D’avoir de mon gosier retiré votre cou !

Allez vous n’êtes qu’une ingrate

Ne tombez jamais sous ma patte.

Je passe sur la DUPERIE et la CORRUPTION. Les asso­ci­a­tions désa­van­tageuses sont mis­es en évi­dence par « Le pot de terre et le pot de fer » où il est dit : 

Ne nous asso­cions qu’avec nos égaux

Ou bien il nous fau­dra craindre

Le des­tin d’un de ces pots.

Les deux fables se rap­por­tant à « Cha­cun son méti­er » sont ici moins sig­ni­fica­tives que celle de Flo­ri­an « Le Vach­er et le Garde-chas­se » se ter­mi­nant par la for­mule célèbre : 

Cha­cun son métier
Les vach­es seront bien gardées. 

Dans « Les pois­sons et l’homme qui joue de la flûte », La Fontaine arrive à la con­clu­sion que : la puis­sance fait tout et non pas la rai­son, ce qui ne l’empêche pas dans « Phébus et Borée » de nous dire que : 

Plus fait douceur que violence. 

Aban­don­nant ses con­seils de pru­dence dans « Les deux aven­turi­ers et le tal­is­man », voici ce qu’il écrit : 

For­tune aveu­gle suit aveu­gle hardiesse.

Le sage quelque­fois fait bien d’exécuter

Avant que de don­ner le temps à la sagesse

D’en­vis­ager le fait et sans la consulter. 

Mais « L’homme qui court après la for­tune et l’homme qui l’at­tend dans son lit » nous mon­tre un autre aven­turi­er, malchanceux, renonçant à la for­tune et 

En raison­nant de cette sorte

Et con­tre la For­tune ayant pris ce conseil

Il la trou­ve assise à la porte

De son ami plongé dans un pro­fond sommeil.

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L’ENTR’AIDE et L’AMITIÉ ont trou­vé en La Fontaine un élo­quent défenseur. « Le lion et le rat », « La colombe et la four­mi » sont uni­verselle­ment con­nus. « Le vieil­lard et ses enfants » com­mence ainsi : 

Toute puis­sance est faible à moins que d’être unie. 

« Le cheval et l’âne » démon­tre que : 

En ce monde il se faut l’un l’autre secourir.
Si ton voisin vient à mourir
C’est sur toi que le fardeau tombe. 

« L’âne et le chien » con­firme cette morale : 

Il se faut entraider : c’est la loi de nature. 

L’âne refuse au chien son dîn­er et celui-ci refuse de le défendre con­tre un loup : 

…Pen­dant ce beau discours,

Seigneur loup étrangla le baudet sans remède.

Je con­clus qu’il faut qu’on s’entr’aide. 

« L’aigle et l’escar­got » nous enseigne le prix d’une ami­tié fidèle et « Les deux amis » nous mon­tre les beautés d’une pro­fonde amitié. 

Deux vrais amis Vivaient au Monomotapa.

L’un ne pos­sé­dait rien qui n’ap­partînt à l’autre.

L’un d’eux fait un mau­vais rêve et court au domi­cile de l’autre qui lui dit 

Il vous arrive peu

De courir quand on dort ; vous me parais­sez homme

A mieux user du temps des­tiné pour le somme.

N’au­riez point per­du tout votre argent au jeu ?

En voici. S’il vous est venu quelque que querelle,

J’ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point

De couch­er tou­jours seul ? Une esclave assez belle

Etait à mes côtés : voulez-vous qu’on l’appelle ?

Non, dit l’a­mi, ce n’est ni l’un ni l’autre point.

Je vous rends grâce de ce zèle.

Vous m’êtes en dor­mant un peu triste apparu ;

J’ai craint qu’il ne fût vrai, je suis vite accouru.

Ce mau­dit songe en est la cause. 

Qui d’eux aimait le mieux ? que t’en sem­ble lecteur ?

Cette dif­fi­culté vaut bien qu’on la propose.

Qu’un véri­ta­ble ami est une douce chose !

Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;

Il vous épargne la pudeur

De les lui décou­vrir vous-même.

Un songe, un, rien, tout lui fait peur

Quand il s’ag­it de ce qu’il aime.

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La Fontaine a beau­coup insisté sur la SAGESSE. Nous con­nais­sons celle que définit « Le renard et les raisins » : 

Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. 

« Le char­la­tan » qui doit, en dix ans, appren­dre à lire à un âne, déclare fort philosophiquement : 

…avant l’af­faire

Le roi, l’âne ou moi, nous mourrons.

Il avait rai­son. C’est folie

De compter sur dix ans de vie.

Soyons bien buvants, bien mangeants.

Nous devons à la mort de trois l’un en dix ans. 

Dans « Les deux chiens et l’âne mort » il observe ceci : 

L’homme est ain­si bâti : quand un sujet l’enflamme

L’im­pos­si­bil­ité dis­paraît de son cime.

Com­bi­en fait-il de voeux, com­bi­en perd-il de pas

S’outrant pour acquérir ses biens ou de la gloire !

Si j’ar­rondis­sais mes états !

Si je pou­vais rem­plir mes cof­fres de ducats !

Si j’ap­pre­nais l’hébreu, les sci­ences, l’histoire !

Tout cela c’est la mer à boire ;

Mais rien à l’homme ne suffit :

Pour fournir aux pro­jets que forme un seul esprit

Il faudrait qua­tre corps ; encor loin, d’y suffire

A mi-chemin je crois tous demeureraient.

Qua­tre Math­usalem bout à bout ne pourraient

Met­tre fin à ce qu’un seul désire. 

La belle fable « Le saveti­er et le financier », celle du « Héron » sont par­faites et dans « Rien de trop », il démon­tre que : 

Rien de trop est un point

Dont on par­le sans cesse et qu’on n’ob­serve point. 

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LA VANITÉ, L’ORGUEIL, L’ENTETEMENT sont illus­trés par « Le cor­beau et le renard », « La grenouille », « Les deux mulets », « Les deux chiens », etc. 

L’hos­til­ité aux grands est égale­ment bien exprimée par « Les deux tau­reaux et les grenouilles » qui se ter­mine ainsi : 

Hélas ! on voit que de tous temps

Les petits ont pâti des sot­tis­es des grands. 

L’AVARICE lui four­nit une source inépuis­able de cri­tiques. « L’avare qui a per­du son tré­sor » s’at­tire cette réflexion : 

Puisque vous ne touch­iez jamais à cet argent

Met­tez une pierre à la place.

Elle vous vau­dra tout autant. 

Même obser­va­tion pour « Le tré­sor et les deux hommes » : 

L’avare rarement finit ses jours sans pleurs :

Il a le moins de part au tré­sor qu’il enserre.

Thésaurisant pour les voleurs,

Pour ses par­ents ou pour la terre. 

Si La Fontaine aima les femmes, on sait qu’il ne fut pas le mod­èle des maris et qu’il fut quelque peu adverse au mariage, sinon à l’amour. Dans « La dis­corde », il nous mon­tre que cette déesse ne trou­vant asile nulle part, finit par en trou­ver un lui con­venant parfaitement : 

L’auberge enfin de l’Hyménée.

Lui fut pour mai­son assignée. 

« Le mal mar­ié » dit à sa femme : 

Retournez au vil­lage : adieu ; si de ma vie

Je vous rap­pelle, et qu’il m’en prenne envie,

Puis­sé-je chez les morts avoir, pour mes péchés

Deux femmes comme vous sans cesse à mes côtés. 

« Le lion amoureux » finir tout aus­si mal et le fab­u­liste s’écrié : 

Amour, amour, quand tu nous tiens

On peut bien dire : adieu prudence. 

« L’amour et la folie » nous explique qu’en jouant ensem­ble la Folie cre­va les yeux à l’Amour et que celui-ci n’eût désor­mais pour guide que la Folie. 

Mais dans « Les deux pigeons » le fab­u­liste arrive à une autre conclusion : 

Amants, heureux amants, voulez voyager ?

Que ce soit aux rives prochaines.

Voyez-vous l’un à l’autre un monde tou­jours beau

Tou­jours divers, tou­jours nouveau,

Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste. 

Il ren­force cette pen­sée dans « Le Mari, la femme et le voleur » car la femme apeurée, jusque là désagréable, se réfugie entre les bras de son époux ; il développe encore son point de vue : 

J’en ai pour preuve cet amant

Qui brûla sa mai­son pour embrass­er sa dame

L’emportant à tra­vers la flamme.

J’aime assez cet emportement ;

Le con­te m’en a plu tou­jours infiniment.

Il est bien d’une âme espagnole

Et plus grande encore que folle. 

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LA LIBERTÉ inspi­ra à La Fontaine de judi­cieuses réflex­ions. « Le loup et le chien » se ter­mine par un dia­logue savoureux. le loup se félicite de la bonne chère promise par le chien, mais : 

Chemin faisant il vit le col du chien pelé.

« Qu’est-ce là ? lui dit-il — Rien. — Quoi rien ? — Peu de chose.

Quoi encor ? Le col­lier dont je suis attaché

De ce que vous voyez est peut-être la cause.

Attaché ? dit le loup ; vous ne cour­rez donc pas

Où vous voulez ? — Pas tou­jours mais qu’importe ?

Il importe si bien que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.

Cela dit, maître loup s’en­fuit, et court encor. 

Nous con­nais­sons tous « Le rat des villes et le rat des champs » et l’ad­mirable fable : « Le meu­nier, son fils et l’âne ». Le brave meu­nier cri­tiqué par les pas­sants essaie de les sat­is­faire sans y parvenir : 

Par­bleu, dit le meu­nier, est bien fou du cerveau

Qui pré­tend con­tenter tout le monde et son père.

Essayons toute­fois si par quelque manière

Nous en vien­drons à bout. 

Un dernier insuc­cès lui indique enfin le vrai par­ti à prendre : 

Le meu­nier répartit :
« Je suis âne, il est vrai, j’en conviens,

Mais que doré­na­vant on me blâme, on me loue ;

Qu’on dise quelque chose, ou qu’on ne dise rien ;

J ‘en veux faire à ma tête ». Il le fit et fit bien. 

Cette sagesse ressort dans « Le cheval s’é­tant voulu venger du cerf ». Ne pou­vant vain­cre le cerf à la course, le cheval fait appel à l’homme qui le domestique : 

Hélas ! que sert la bonne chère,

Quand on n’a pas la liberté !

Le cheval s’aperçut qu’il avait fait folie.

Mais il n’é­tait plus temps : déjà son écurie

Etait prête et toute bâtie.

Il y mou­rut en traî­nant son lien.

Sage s’il eût remis une légère offense.

Quel que soit le plaisir que cause la vengeance

C’est l’a­cheter trop cher que l’a­cheter d’un bien

Sans qui les autres ne sont rien. 

Enfin la célèbre fable « Le vieil­lard et l’âne » a fait pass­er dans la langue la sagesse du bourricot : 

Et que m’im­porte donc, dit l’âne, à qui je sois

Sauvez-vous et me lais­sez paître

Notre enne­mi c’est notre maître

Je vous le dis en bon françois. 

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Notre poète-philosophe ne pou­vait être qu’op­ti­miste, mal­gré son pes­simisme appar­ent et « La mort et le bûcheron » fait ressor­tir notre attache­ment à la vie : 

Le tré­pas vient tout guérir

Mais ne bougeons d’où nous sommes.

Plutôt souf­frir que mourir

C’est la devise des hommes. 

« La mort et le mourant » démon­tre égale­ment cet amour de la vie. « Le vieil­lard et les trois jeunes hommes » est d’un opti­misme réjouis­sant et dans « Le philosophe scythe » il s’élève con­tre un cer­tain stoï­cisme desséchant : 

Con­tre de telles gens, quant à moi, je réclame.

Ils ôtent à nos coeurs le prin­ci­pal ressort

Ils font cess­er de vivre avant que l’on soit mort.

Ixi­grec


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