La Presse Anarchiste

Mouvement social

Un cor­res­pon­dant du Cla­rion, jour­nal socia­liste de Londres, écrit de Bue­nos-Ayres : « Les ouvriers n’ont pas d’or­ga­ni­sa­tion dans le pays. Cette cir­cons­tance, l’ex­ploi­ta­tion sans ver­gogne pra­ti­quée par les riches, jointe à la cor­rup­tion du gou­ver­ne­ment et de ses fonc­tion­naires, les font aller aux théo­ries anar­chistes plus qu’aux leçons des socia­listes. Les envois de Bue­nos-Ayres montrent com­bien les idées liber­taires se déve­loppent dans l’Ar­gen­tine. Il ne se passe pas de semaine que nous n’ayons à signa­ler des articles ou quelques bro­chures. Como no diez man (Comme on nous exploite), la troi­sième publi­ca­tion de l’Ex­pro­pria­tion, groupe de pro­pa­gande com­mu­niste-anar­chiste, est un expo­sé métho­dique des maux que nous font les gou­ver­nants et les diri­geants. Voi­ci les titres de quelques cha­pitres : Aux champs ; Dans les mines ; Dans les fabriques ; À l’a­te­lier ; Dans la bou­tique ; Le salaire, etc. Ce sont de très bons cadres, par­fois insuf­fi­sam­ment rem­plis. Les réflexions géné­rales prennent trop sou­vent la place des faits pré­cis. Tou­te­fois il faut louer les auteurs d’a­voir ten­té d’é­crire une étude posi­tive et d’a­voir fait des­cendre la cri­tique liber­taire du ciel sur la terre. Nos adver­saires nous reprochent sou­vent de nous tenir dans la méta­phy­sique, de cri­ti­quer l’au­to­ri­té, de récla­mer la liber­té, sans les défi­nir, presque comme des divi­ni­tés dont le nom seul est bien­fai­sant. Mon­trons-leur que nous ne sommes pas embar­ras­sés pour fon­der nos rai­son­ne­ments sur la réalité.

De Bue­nos-Ayres éga­le­ment nous vient une bonne feuille cor­po­ra­tive, El Obre­ro pana­de­ro (L’ou­vrier bou­lan­ger), organe de la Socié­té cos­mo­po­lite de résis­tance et de pla­ce­ment des bou­lan­gers, Calle Cuyo, 1327. Le jour­nal a été fon­dé à la suite d’une grève faite par les ouvriers bou­lan­gers de Bue­nos-Ayres, de la Pla­ta et de plu­sieurs autres villes pour obte­nir la sup­pres­sion du tra­vail de nuit, l’aug­men­ta­tion des salaires de 30% pour tous les ouvriers bou­lan­gers sans excep­tion, l’emploi dans toutes les bou­lan­ge­ries d’un nombre d’ou­vriers supé­rieur d’un homme au nombre de sacs de farine employés. La grève n’a pas réus­si parce que les bou­lan­gers n’é­taient réunis que par leur mécon­ten­te­ment. Depuis leur insuc­cès, ils s’or­ga­nisent en socié­tés de résis­tance. « La der­nière grève ne nous a pas réus­si, dit un de leurs appels, mais ce n’est pas une rai­son pour aban­don­ner nos récla­ma­tions. Au contraire, nous devons pro­fi­ter de la leçon et recom­men­cer avec plus d’ac­ti­vi­té et de déci­sion notre tra­vail de pro­pa­gande par­mi les ouvriers bou­lan­gers afin de les per­sua­der de s’u­nir à nous pour tra­vailler à ce qui sera le bien de tous. Pas de divi­sions entre les tra­vailleurs. Sachons que rien ne s’ob­tient sans lutte, par ce que les pri­vi­lé­giés n’ont jamais renon­cé spon­ta­né­ment. à leurs avan­tages, et tou­jours les hommes ont été obli­gés de les leur arra­cher par la force. » Mal­gré cette affir­ma­tion révo­lu­tion­naire, je crains que plu­sieurs cama­rades n’at­tachent pas assez d’im­por­tance à cette asso­cia­tion de bou­lan­gers et à tous les groupes ouvriers, syn­di­cats ou autres. À ceux-là je dirai : « Com­ment vou­lez-vous détour­ner l’ou­vrier de voter et de prendre par­ti dans la lutte poli­tique, si vous ne lui mon­trez pas qu’il peut vivre mieux sans l’aide des bour­geois ni de leur gou­ver­ne­ment ? Com­ment comp­tez-vous faire la Révo­lu­tion si vous n’a­vez pas avec vous, contre les capi­ta­listes, tous les véri­tables pro­duc­teurs et, par­mi eux, ceux qui fabriquent notre nour­ri­ture ? » Les rédac­teurs d’El Obre­ro pana­de­ro pré­parent cette union. Ils prêtent leur salle à la Socié­té toute nou­velle des tour­neurs sur bois. Ils annoncent l’ap­pa­ri­tion de La Union obre­ra (L’U­nion ouvrière), pério­dique de quin­zaine, rédi­gé en espa­gnol, ita­lien et fran­çais, organe des Socié­tés de résis­tance des méca­ni­ciens, maçons, plâ­triers, sculp­teurs, for­ge­rons, ouvriers du tabac, etc.

« L’as­pi­ra­tion socia­liste, écrit un d’entre eux, c’est de for­mer une seule classe sociale de pro­duc­teurs égaux et libres, affran­chis de toute exploi­ta­tion et de toute tyran­nie. » Enfin, ce jour­nal annonce les publi­ca­tions et les tra­duc­tions de la librai­rie de la Ques­tion Sociale, c’est-à-dire La Socié­té mou­rante et l’A­nar­chie, La Conquête du pain, etc. Il publie actuel­le­ment en varié­tés la bro­chure de nos cama­rades de La Corogne : Et pro­ce­so de un gran cri­men (l’his­toire des condam­na­tions pro­non­cées contre les anar­chistes de Bar­ce­lone), et il accom­pagne cette publi­ca­tion de la note sui­vante : « El Obre­ro pana­de­ro, bien qu’il soit un organe cor­po­ra­tif en dehors des par­tis, a com­men­cé, sans hési­ter, la publi­ca­tion de cette bro­chure, pour que tout le monde sache ce que l’é­goïsme de classe peut faire. En pré­sence des mons­truo­si­tés com­mises par la bour­geoi­sie espa­gnole, il n’y a plus de par­tis : l’hu­ma­ni­té offen­sée doit éle­ver la voix pour condam­ner comme ils le méritent ces assas­sins et ces mal­fai­teurs de la pire espèce. » L’a­vant-der­nier numé­ro contient un article plein d’é­mo­tion sur la tombe de Vaillant.

Voi­là ce que l’on trouve dans ce jour­nal, à côté des cor­res­pon­dances et des échelles de prix rela­tives à la pro­fes­sion des bou­lan­gers. Une feuille spé­ciale de ce genre passe sous les yeux d’une foule d’ou­vriers qui ne voient jamais les jour­naux de com­bat ; elle étend la pro­pa­gande très loin par­mi les tra­vailleurs. Rap­pe­lons-nous l’œuvre du Pot à Colle dans le fau­bourg Saint-Antoine et nous sou­hai­te­rons d’a­voir avec nous beau­coup de pério­diques cor­po­ra­tifs comme El Obre­ro pana­de­ro.

El Escla­vo, qui porte en sous-titre : jour­nal ouvrier heb­do­ma­daire, paraît en espa­gnol à Tam­pa, ville de la Flo­ride (États-Unis). Il est consa­cré direc­te­ment à l’ex­po­si­tion des théo­ries liber­taires. Il publie des tra­duc­tions de plu­sieurs ouvrages fran­çais, des extraits ou des comptes ren­dus des bro­chures publiées en Espagne et à Bue­nos-Ayres : on voit que dans tous les pays de langue espa­gnole, les pro­pa­gan­distes se donnent la main et nous ne savons jus­qu’où s’é­tend l’in­fluence de El Escla­vo. Il nous apprend qu’à la Havane et à San­tia­go de Cuba, il y a envi­ron 20.000 ouvriers sans tra­vail par suite de la guerre civile. Mar­ti­nez Cam­pos, si féroce envers les gré­vistes et les révo­lu­tion­naires de Cata­logne, est beau­coup plus doux avec les sans-tra­vail de Cuba ; pour les détour­ner de se joindre aux insur­gés, il va faire construire un che­min de fer et des routes. Fort bien ! mais si la révolte est répri­mée, nous ver­rons les manières du dic­ta­teur chan­ger et les tra­vailleurs de La Havane sau­ront s’il fait bon se fier aux gou­ver­nants et à leurs géné­raux. Au Mexique, il y a quelques grèves : der­niè­re­ment les ciga­rières de Mexi­co ont ces­sé le tra­vail pour empê­cher une dimi­nu­tion des salaires. Mais, dans ce pays, les ouvriers ne sont pas encore péné­trés des idées com­mu­nistes et de l’es­prit de révo­lu­tion. Il y a de la besogne là-bas pour nos amis de Floride.

De l’Es­pagne, les der­niers numé­ros de la Idea Libre (Madrid) et de El Por­ve­nir social (Bar­ce­lone) ne nous apprennent rien de nouveau.

El Cor­sa­rio (La Corogne), obli­gé de sus­pendre momen­ta­né­ment sa publi­ca­tion après 212 numé­ros et un grand nombre de bro­chures, annonce qu’il va se recons­ti­tuer au moyen d’ac­tions à 5 pese­tas (un peu plus de 6 francs) et fait appel à la fra­ter­ni­té de ceux qui peuvent l’aider.

CX.

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