La Presse Anarchiste

Mouvement social

L’An­gle­terre pos­sède une Socié­té pour la natio­na­li­sa­tion du sol. À sa tête se trouve Alfred Rus­sell Wal­lace, bien connu comme dis­ciple et conti­nua­teur de Dar­win, mais qui, deve­nu socia­liste, il y a quelques années, uti­lise main­te­nant les forces de sa vieillesse à la ques­tion sociale, dont la solu­tion lui semble plus urgente que celle des mys­tères qui enve­loppent la des­cen­dance et l’é­vo­lu­tion des êtres.

Cette Socié­té de la Natio­na­li­sa­tion du sol recrute sur­tout ses membres par­mi la bour­geoi­sie intel­li­gente. Elle a un organe men­suel, Terre et Tra­vail, et elle orga­nise des confé­rences, mais le prin­ci­pal ins­tru­ment de sa pro­pa­gande sont ses voi­tures-tri­bunes. Elles sont char­gées de bro­chures et de jour­naux à vendre et à dis­tri­buer et le pan­neau arrière se rabat de manière à for­mer tri­bune. Sous la conduite d’un cocher et de l’o­ra­teur, ces voi­tures vont de vil­lage en vil­lage, ne négli­geant pas les plus petits hameaux. On s’ar­rête sur la place publique et la séance est ouverte sans plus de formalités.

Un trait remar­quable de cette socié­té est qu’elle n’a pas de prin­cipe arrê­té quant à la forme de la natio­na­li­sa­tion. Elle admet et prêche par ses ora­teurs ambu­lants la reprise du sol avec ou sans indem­ni­té, la confis­ca­tion comme le rachat, le moyen révo­lu­tion­naire aus­si bien que le moyen par­le­men­taire. Son action est même plus éner­gique dans la pre­mière direc­tion que dans la seconde. La Socié­té a pour le moment quatre voi­tures-tri­bunes : une voi­ture parle de rache­ter les terres aux sei­gneurs, voi­ture jaune (yel­low van) et du haut des trois autres l’on réclame la confis­ca­tion du sol par le peuple, voi­tures rouges (red vans).

Chaque été cha­cune des voi­tures choi­sit un nou­vel iti­né­raire, par­court des com­tés dif­fé­rents, tient jus­qu’à quatre réunions par jour et ne craint pas d’at­ta­quer les hobe­reaux du lieu, qui sont si puis­sants en Angleterre.

Une des bro­chures qui aident le plus puis­sam­ment cette pro­pa­gande est Mer­rie England (Joyeuse Angle­terre). Elle a deux cents pages de texte et coûte dix cen­times. Il s’en est, paraît-il, ven­du près d’un mil­lion. Tous les cha­pitres rela­tifs à la cri­tique de la socié­té actuelle sont excel­lents, quelques-uns vau­draient la peine d’être tra­duits. Pour le reste, l’au­teur dis­tingue le socia­lisme pra­tique (par­le­men­ta­risme) et le socia­lisme idéal (sorte de com­mu­nisme). La solu­tion anar­chiste y est abso­lu­ment igno­rée. Néan­moins la clar­té et la luci­di­té de quelques cha­pitres rendent cet ouvrage instructif.

En Angle­terre, on n’a pas idée qu’il appar­tienne au gou­ver­ne­ment de faire res­pec­ter la loi par les grands pro­prié­taires ter­ri­to­riaux, ou du moins on ne compte guère sur lui pour cette besogne.

Il y a eu une Socié­té pour la pré­ser­va­tion des sen­tiers publics et des droits de pas­sage. Elle se tient géné­ra­le­ment sur le ter­rain légal, mais elle est riche et elle ne craint pas de faire rendre gorge à de puis­sants sei­gneurs qui veulent faire enclore leur pro­prié­té. D’ailleurs, elle ne médit pas de l’emploi de la force quand elle pense qu’il vaut mieux mettre la jus­tice en face d’un fait accom­pli. C’est ain­si qu’à son ins­ti­ga­tion, il y a quelques années, une palis­sade ayant une lon­gueur déve­lop­pée de plu­sieurs kilo­mètres fut abat­tue en une nuit par une troupe de tra­vailleurs venue de Londres par le der­nier train du soir. Le pro­prié­taire n’o­sa pas pour­suivre les ouvriers noc­turnes et se le tint pour dit.

Il y a aus­si la Socié­té pour la pré­ser­va­tion des beau­tés de la nature. En ce moment, elle fait ce qu’elle peut pour empê­cher une usine d’a­lu­mi­nium d’ac­ca­pa­rer la plus belle cas­cade du Royaume-Uni, en Écosse ; mais la tâche est rude, car la Socié­té a contre elle non seule­ment pro­prié­taires ter­riens et manu­fac­tu­riers, mais aus­si la popu­la­tion des envi­rons du site à laquelle on a su per­sua­der que l’in­dus­trie allait ame­ner une pros­pé­ri­té géné­rale dans le pays.

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On sait qu’en Chine on ne pour­rait trou­ver de chi­noi­se­rie appro­chant de celle du par­le­men­ta­risme anglais, et la poli­tique qui en sort est aus­si peu inté­res­sante que pos­sible. On dis­cute les termes d’une loi sur le tra­vail des enfants et des femmes dans les manu­fac­tures, mais elle n’est pas près de voir le jour.

La seule note gaie des der­niers temps a été la démis­sion d’un brave Écos­sais qui avait cru, en se fai­sant élire, pou­voir ser­vir les inté­rêts des pay­sans dépos­sé­dés. Hélas ! les illu­sions l’ont aban­don­né une à une. L’autre jour, il se leva, deman­dant où en était la loi sur la ques­tion. « Atten­dez deux jours et vous le sau­rez », dit le ministre. ― « J’ai atten­du trois ans, je ne res­te­rai pas une minute de plus », et il par­tit. Il a refu­sé de se repré­sen­ter, ne vou­lant pas remettre les pieds dans une pareille galère, et il a été rem­pla­cé par un repré­sen­tant des land­lords : c’est ain­si qu’à chaque élec­tion com­plé­men­taire l’in­fime mino­ri­té du gou­ver­ne­ment libé­ral va encore dimi­nuant. Il paraît que les élec­teurs anglais attendent main­te­nant la lumière et la déli­vrance d’un gou­ver­ne­ment conser­va­teur. Grand bien leur fasse !

G. G.

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