Cette Société de la Nationalisation du sol recrute surtout ses membres parmi la bourgeoisie intelligente. Elle a un organe mensuel, Terre et Travail, et elle organise des conférences, mais le principal instrument de sa propagande sont ses voitures-tribunes. Elles sont chargées de brochures et de journaux à vendre et à distribuer et le panneau arrière se rabat de manière à former tribune. Sous la conduite d’un cocher et de l’orateur, ces voitures vont de village en village, ne négligeant pas les plus petits hameaux. On s’arrête sur la place publique et la séance est ouverte sans plus de formalités.
Un trait remarquable de cette société est qu’elle n’a pas de principe arrêté quant à la forme de la nationalisation. Elle admet et prêche par ses orateurs ambulants la reprise du sol avec ou sans indemnité, la confiscation comme le rachat, le moyen révolutionnaire aussi bien que le moyen parlementaire. Son action est même plus énergique dans la première direction que dans la seconde. La Société a pour le moment quatre voitures-tribunes : une voiture parle de racheter les terres aux seigneurs, voiture jaune (yellow van) et du haut des trois autres l’on réclame la confiscation du sol par le peuple, voitures rouges (red vans).
Chaque été chacune des voitures choisit un nouvel itinéraire, parcourt des comtés différents, tient jusqu’à quatre réunions par jour et ne craint pas d’attaquer les hobereaux du lieu, qui sont si puissants en Angleterre.
Une des brochures qui aident le plus puissamment cette propagande est Merrie England (Joyeuse Angleterre). Elle a deux cents pages de texte et coûte dix centimes. Il s’en est, paraît-il, vendu près d’un million. Tous les chapitres relatifs à la critique de la société actuelle sont excellents, quelques-uns vaudraient la peine d’être traduits. Pour le reste, l’auteur distingue le socialisme pratique (parlementarisme) et le socialisme idéal (sorte de communisme). La solution anarchiste y est absolument ignorée. Néanmoins la clarté et la lucidité de quelques chapitres rendent cet ouvrage instructif.
En Angleterre, on n’a pas idée qu’il appartienne au gouvernement de faire respecter la loi par les grands propriétaires territoriaux, ou du moins on ne compte guère sur lui pour cette besogne.
Il y a eu une Société pour la préservation des sentiers publics et des droits de passage. Elle se tient généralement sur le terrain légal, mais elle est riche et elle ne craint pas de faire rendre gorge à de puissants seigneurs qui veulent faire enclore leur propriété. D’ailleurs, elle ne médit pas de l’emploi de la force quand elle pense qu’il vaut mieux mettre la justice en face d’un fait accompli. C’est ainsi qu’à son instigation, il y a quelques années, une palissade ayant une longueur développée de plusieurs kilomètres fut abattue en une nuit par une troupe de travailleurs venue de Londres par le dernier train du soir. Le propriétaire n’osa pas poursuivre les ouvriers nocturnes et se le tint pour dit.
Il y a aussi la Société pour la préservation des beautés de la nature. En ce moment, elle fait ce qu’elle peut pour empêcher une usine d’aluminium d’accaparer la plus belle cascade du Royaume-Uni, en Écosse ; mais la tâche est rude, car la Société a contre elle non seulement propriétaires terriens et manufacturiers, mais aussi la population des environs du site à laquelle on a su persuader que l’industrie allait amener une prospérité générale dans le pays.
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On sait qu’en Chine on ne pourrait trouver de chinoiserie approchant de celle du parlementarisme anglais, et la politique qui en sort est aussi peu intéressante que possible. On discute les termes d’une loi sur le travail des enfants et des femmes dans les manufactures, mais elle n’est pas près de voir le jour.
La seule note gaie des derniers temps a été la démission d’un brave Écossais qui avait cru, en se faisant élire, pouvoir servir les intérêts des paysans dépossédés. Hélas ! les illusions l’ont abandonné une à une. L’autre jour, il se leva, demandant où en était la loi sur la question. « Attendez deux jours et vous le saurez », dit le ministre. ― « J’ai attendu trois ans, je ne resterai pas une minute de plus », et il partit. Il a refusé de se représenter, ne voulant pas remettre les pieds dans une pareille galère, et il a été remplacé par un représentant des landlords : c’est ainsi qu’à chaque élection complémentaire l’infime minorité du gouvernement libéral va encore diminuant. Il paraît que les électeurs anglais attendent maintenant la lumière et la délivrance d’un gouvernement conservateur. Grand bien leur fasse !
G. G.