Le comte Czernin a menti… Voilà qui est militaire. Ensuite, chacun de son côté, Clemenceau et Czernin, entrent dans les explications. Et cette voie-là, c’est la voie des aveux.
Oui, Czernin a menti. Mais ce qu’il a dit, c’était tout de même exact. Pourtant il a menti.
Le vrai, c’est qu’il a parlé diplomatiquement. Et l’autre, avec sa rudesse militaire, il a aussi parlé diplomatiquement, dans un autre octave, à la prussienne.
Les livres diplomatiques également, jaunes, blancs, verts, bleus, rouges, ceux qui les font les donnent comme sincères. Il n’y manque que tel bout de phrase insignifiant, telle date accessoire. Les gens d’en face disent : ils ont menti. Et ils sortent les leurs, pareillement sincères, pareillement tronqués.
Bien jolie matière à mettre en thèse d’histoire, pour les docteurs futurs. Aujourd’hui ce qui sort de ces paroles, de l’encre glacée de ces mots, c’est le sang des hommes.
Le mouchardage et l’université
On est injuste pour le mouchard Blein, maître-adjoint au lycée Montaigne, qui provoqua, puis dénonça et fit coffrer Rappoport l’antiléniniste.
Pourquoi voir en lui un être spécialement abject ? Ce n’est qu’un bon citoyen qui a fait modestement son devoir.
Entre les droits de l’homme (ô ligue ensommeillée!) et la raison d’ État, la lutte est éternelle, inexpiable ; c’est la lutte entre l’esprit de liberté et de justice, et la force. L’asservissement à la raison d’ État est depuis quatre ans la loi absolue ; chacun s’y conforme selon ses moyens.
Les moyens des universitaires sont courts. Nourris de papiers, la vie leur échappe. Ils ont peur devant elle ; elle ne ressemble pas à la chose morte qu’ils ont apprise autrefois dans les livres, et qu’ils enseignent. Quand on voit ce que les professeurs ont fait de la Révolution française, qui tout de même est à nous, on comprend que les gens du Temps se soient appropriés cette idylle, et l’on comprend aussi que le mouchard Blein ait la conscience tranquille, et un peu fière.
Ce sont des professeurs, fourmis à lunettes investies de la police morale des univers, qui ont organisé la stupide Ligue civique. Gravement ils écument la mer démontée avec une cuillère à pot, et les voilà tous des Cincinnatus. Mais leur premier héros, c’est le mouchard Blein.
La perversion d’âmes ni bonnes ni mauvaises par la raison d’ État est une des plus plates misères de notre époque féconde. Au procès Brion, un témoin à charge, pauvre femme bafouillante, collègue de l’accusée, pataugeait dans ses contradictions : il était visible que ce qui la troublait n’était pas seulement l’appareil auguste de la justice, mais d’abord la conscience obscure d’être mal à l’aise dans le mouchardage.
Pourtant, cette brave institutrice traduisait en acte ce qu’on lui fait enseigner depuis quatre ans. Dans la cave, elle aussi aurait fait boucler Rappoport. Ou, si elle ne l’eût fait, elle aurait cru manquer à son devoir, et se fût reproché son peu de courage « civique ».
Parlementaires
[(6 ligne censurées)]
Mayéras, autre minoritaire de marque, vote contre cette incorporation de la classe 19. Pourquoi ? Cet homme facétieux, c’est bien lui qui disait : quand même j’aurais su, en août 1914, que mon pays était l’agresseur, j’aurais voté les crédits ? C’est bien lui qui, contre Guilbeaux, se vante hautement de cette phrase, condensation, paraît-il, de la doctrine guesdiste. (Il s’en vante, comme un bossu de sa bosse ; c’est gênant tout de même.)
Et bien, les majoritaires ont raison : qu’y a‑t-il de changé ?
Il est vrai que Mayéras nous fait savoir dans le Populaire qu’en, votant contre Pressemane, il était du même avis.
C’est plus vrai qu’il ne le croit. Tous, il ssont tenus, liés par leur passé. (Leur passé de quatre ans. L’autre…!)
Parlementarisme, c’est opportunisme. Mais le temps est trop âpre, il fait éclater tragiquement la réalité. Ceux qui veulent revenir, qui disent : Je me suis trompé. Autrement, non. Qu’ils restent où ils sont.
Ils y resteront. [(censure d’une ligne)] Longuet demande qu’on célèbre le centenaire de son grand-père. Qu’il y songe pour son compte : L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.
Spartacus.