La Presse Anarchiste

Anarchisme et non-violence

1. Constitution du groupe.

Au début se con­stitue un groupe affini­taire de tra­vail ayant une for­ma­tion com­mune (Fédéra­tion anar­chiste, Jeunes lib­er­taires). Cer­tains avaient par­ticipé égale­ment de plus ou moins près à l’Action civique non vio­lente pen­dant la guerre d’Algérie et pour les objecteurs avant le vote du statut, et ils voulaient se détach­er et se démar­quer de son idéolo­gie mys­tique et religieuse. (Voir annexe II « Pro­jet de base ».) Puis, si les indi­vidus sont tou­jours dis­per­sés géo­graphique­ment, le groupe n’est plus homogène. Mal­gré les orig­ines dif­férentes, il n’y a pas de coupures d’âge ou de sit­u­a­tion sociale, mais de per­son­nes pou­vant ou non s’exprimer par écrit ou orale­ment : prob­lème créé par des capac­ités d’expression dif­férentes, et pas tou­jours bien com­pris. Un prob­lème qui est lié à celui de leaderisme.

2. Évolution du groupe.

Le prob­lème des nou­veaux venus est à peu près réglé par l’intégration à l’équipe de tra­vail. Cepen­dant, avec un plus grand nom­bre, les acquis sont dif­férents et la fonc­tion « péd­a­gogique » est ressen­tie comme un frein à l’approfondissement. Com­ment faire partager l’acquis de cer­tains par les nou­veaux venus sans tomber dans le lead­erisme et sans cess­er le tra­vail d’approfondissement ?

Les « don­nées fon­da­men­tales » ( Voir annexe III ) sont dépassées et non rem­placées. Ces don­nées, établies par le petit groupe du début, restent pub­liées jusqu’au n° 13 inclus, ensuite elles sont unanime­ment con­testées et dans la forme et dans le fond. Une ten­ta­tive d’en établir de nou­velles a échoué, pourquoi ? Inca­pac­ité de tra­vail ? Les pre­mières cor­re­spondaient à un esprit com­mun, elles ont été dépassées au moment où la théorie du groupe s’est appro­fondie mais de façon insuff­isante pour en définir d’autres qui ne sont restées qu’au stade de pro­jet (voir annexe IV ). Nous n’avons pas réus­si parce que nous voulions éviter le super­fi­ciel et parce que nous n’avions pas réu­ni assez de matéri­aux de réflex­ion com­mune. Si l’on s’était for­cé à les rédi­ger à tout prix, ce n’aurait été qu’une con­struc­tion de tra­vail arti­fi­cielle et non un jail­lisse­ment (proces­sus) naturel.

3. La « Solido ».

Désir­ant dépass­er la dis­per­sion géo­graphique et nos rap­ports cloi­son­nés, nous envis­ageons la créa­tion d’un « groupe de partage » en vue d’une répar­ti­tion (non égal­i­taire) des ressources (voir annexe V ). Faute de mieux, nous créons, comme point de départ, une caisse de sol­i­dar­ité, la caisse « soli­do », ali­men­tée par des verse­ments volon­taires, réguliers ou non, de cer­tains d’entre nous. Cette caisse a surtout servi à aider les objecteurs, à soutenir cer­taines actions et cer­tains copains. Bien que nous con­servions l’optique du « groupe de partage », nous n’arrivons pas à dépass­er le cadre de cette caisse « solido ».

4. Le groupe vu de l’extérieur.

Le groupe est iden­ti­fié de l’extérieur comme une entité.

Nous com­mençons une recherche de com­préhen­sion de la vie intérieure du groupe à par­tir du moment où nous avons cher­ché des méth­odes de tra­vail et au moment où nous avons été perçus comme groupe par l’extérieur (cf. notre adhé­sion à l’Internationale des résis­tants à la guerre de novem­bre 1967, sig­nalée dans le n° 11‑12, où, ne nous recon­nais­sant pas comme groupe organ­isé, nous n’adhérons qu’en tant que pub­li­ca­tion associée).

Nos posi­tions sont ressen­ties comme moral­istes et créent une dou­ble ambiguïté :

  1. Une ten­ta­tive de récupéra­tion par les croy­ants qui ten­tent de nous insér­er dans leur cadre évangélique (« Vous êtes des croy­ants qui s’ignorent »).
  2. Pour les anar­chistes qui nous rejet­tent parce qu’ils ressen­tent notre option préféren­tielle de non‑violence comme manichéiste (ce qui n’est pas le cas) et sup­posent que nous les reje­tons parce qu’ils acceptent la vio­lence : «… Nous dirons, sans y insis­ter, que cette posi­tion nous paraît surtout être une cer­taine infil­tra­tion de la pen­sée religieuse au sein du mou­ve­ment anar­chiste…» (Let­tre au mou­ve­ment anar­chiste inter­na­tion­al ; UGAC, oct. 66.)

    5. Recherche d’insertion dans le réel : de la pratique vers la théorisation.

    Con­traire­ment à « NR », les mem­bres d’ANV avaient un cer­tain nom­bre d’engagements pra­tiques non théorisés assez dif­férents les uns des autres, et avaient besoin d’une réflex­ion com­mune sur ces engage­ments. L’insertion dans le réel se traduisit par d’autres engage­ments individuels.

Celui qui veut que tout le groupe fasse de l’action extéri­orise son besoin de faire partager ses préoc­cu­pa­tions ou son action, son cen­tre d’intérêt du moment au groupe. Notre atti­tude con­siste non à dénon­cer cette posi­tion, qui est légitime, mais le com­porte­ment de frus­tra­tion qui accom­pa­gne le non‑suivisme. En juil­let 68, nos cen­tres d’intérêt ANV, nos engage­ments, etc., sont remis en cause. Cer­tains s’orientent sur les comités de base en vue d’élargir la désobéis­sance civile. Ces ten­ta­tives sont sans suite. D’autres choi­sis­sent de con­tin­uer la revue et un regroupe­ment se fait autour d’eux.

De cette oppo­si­tion et d’autres malais­es, naî­tra une cri­tique plus élaborée dont le point cul­mi­nant se situe à Pâques 69, où la revue est cri­tiquée comme super­fi­cielle, panache et servi­tude alié­nante. Il est pro­posé de lui priv­ilégi­er un ou des bul­letins de tra­vail non péri­odiques et devant aboutir à un tra­vail plus appro­fon­di. La cri­tique de l’image de mar­que est venue au moment où le tra­vail en pro­fondeur était ressen­ti comme insuff­isant, pen­dant une péri­ode d’apparente stag­na­tion. Il est pos­si­ble que cette stag­na­tion soit liée plus à l’incapacité d’expression écrite, orale et d’écoute qu’à un manque de réflexion.

La déci­sion prise de con­tin­uer la revue mal­gré et en ten­ant compte de ces cri­tiques amèn­era cer­tains à se met­tre en retrait. D’autres égale­ment sont déçus par notre manque de tra­vail théorique ou notre inca­pac­ité à nous engager en tant que groupe.

6. La revue dans le groupe.

Elle joue un rôle com­plexe par­mi nous. Est‑elle une revue cul­turelle ou poli­tique ? Elle est pour nous un moyen de réflex­ion et d’expression. Elle facilite notre chem­ine­ment intel­lectuel et assure la cohé­sion du groupe. Grâce à la coerci­tion imposée par cer­tains impérat­ifs (paru­tion régulière, etc.) elle est un stimulant.

Elle se veut pour­tant poli­tique parce qu’elle est la mar­que con­crète de notre engage­ment dans le mou­ve­ment anar­chiste et les luttes non violentes.

Enfin, c’est notre moyen d’expression.

7. Son contenu.

Au début, la revue et les ren­con­tres ont per­mis à cha­cun de vider son sac par écrit et orale­ment, d’exprimer tout ce qu’il avait déjà en lui : la revue était la somme d’expressions indi­vidu­elles. Ce n’est qu’à par­tir de l’acquisition d’un lan­gage com­mun (un fond com­mun) qu’un tra­vail plus col­lec­tif s’est élaboré. À par­tir du n° 9, on voit plusieurs expres­sions sur le même thème pour aboutir ensuite à cer­tains numéros qua­si col­lec­tifs : si le numéro est rédigé par quelques‑uns, c’est en ten­ant compte des dis­cus­sions pen­dant les ren­con­tres de tra­vail où ceux qui ont des dif­fi­cultés à s’exprimer par écrit peu­vent s’exprimer orale­ment (voir annexe VI).

8. Aspect théorique

Le noy­au pro­mo­teur avait un acquis anar­chiste (Jeunes Lib­er­taires, Fédéra­tion anar­chiste). Un tra­vail de recherche a per­mis de renouer avec le peu de tra­di­tions anar­chistes non vio­lentes à tra­vers Thore­au, De Ligt, Ramus, Han Ryn­er, Hem Day. Par­al­lèle­ment, une réflex­ion sur la non‑violence et ses moyens d’action fut menée. Les chré­tiens s’étant appro­prié la non‑violence, les pre­miers textes s’efforcèrent de la démys­ti­fi­er : il n’est pas néces­saire d’être chré­tien pour être « non violent ».

Dès les années 64–65, un courant non vio­lent are­ligieux ame­na au groupe des cama­rades sans passé anar­chiste mais avec une pra­tique spé­ci­fique. Cela eut pour con­séquence une pri­or­ité don­née à la recherche et à la réper­cus­sion des actions non vio­lentes : d’abord actes indi­vidu­els plus ou moins exem­plaires ayant peu d’impact (ren­voi du livret mil­i­taire, refus de l’impôt) puis rela­tion des luttes des objecteurs et des comités de soutien.

Il y eut aus­si réc­it d’expériences et tra­duc­tions de textes venant d’Afrique du Sud, des USA, de l’Inde, etc., sur les pra­tiques et réflex­ions non violentes.

9. Influence.

La revue a un impact plus impor­tant sur la frange jeune et active des « non‑violents » que chez les anar­chistes. Pour­tant, par la poli­ti­sa­tion de la lutte des objecteurs de con­science, une sen­si­bil­i­sa­tion au prob­lème se fait jour dans les milieux anars (affaire Brochier).
Depuis peu une col­lab­o­ra­tion effec­tive est entre­prise avec le Cen­tre inter­na­tion­al de recherch­es sur l’anarchisme (CIRA) Des con­tacts sont pris régulière­ment avec Recherch­es libertaires.

Pour­tant, on peut dire que notre dou­ble appar­te­nance, anars et « non-vio­lents », gêne nos inter­locu­teurs et leur sem­ble un non‑sens.

10. Fabrication

Àpar­tir du n°6, il y eut deux sortes de paru­tion : les numéros à thème plus ou moins col­lec­tifs (« Vio­lence et non‑violence dans la révo­lu­tion anar­chiste », « Boy­cottage et sab­o­tage, échec de la non‑violence en Afrique du Sud », « Hap­pen­ing », « Pierre Ramus », « Pour l’anarchisme ») et ceux rassem­blant des infor­ma­tions et réflex­ions divers­es. Néan­moins, le tra­vail col­lec­tif nous paraît encore insuff­isant. L’aridité de cer­taines pub­li­ca­tions révo­lu­tion­naires étant assez rebu­tante, un effort de recherche dans la présen­ta­tion fut faite et se pour­suit, mais c’est aus­si une ques­tion financière.

Le comité de lec­ture du fait de la dis­per­sion géo­graphique ne joue plus un grand rôle ; s’il existe encore, c’est de façon très informelle. La rédac­tion du numéro est sou­vent abor­dée au cours d’une réu­nion précé­dente, les cama­rades effec­tu­ant la mise en page ayant toute lat­i­tude pour retranch­er ou ajouter des arti­cles en fonc­tion de la place exis­tante. Pour la fab­ri­ca­tion, la rota­tion des tâch­es est pra­tique­ment nulle du fait de la dis­per­sion géo­graphique et de la revue imprimée à Paris, mais cela est ressen­ti comme une de nos contradictions.

11. Financement et diffusion.

Pro­gres­sion du tirage :

500 exem­plaires au n° 1

750 exem­plaires au n° 2

800 exem­plaires au n° 5

1000 exem­plaires au n° 6

1500 exem­plaires au n° 13

1600 exem­plaires au n° 16

1500 exem­plaires au n° 18/19. Numéro édité en col­lab­o­ra­tion avec le CIRA qui a pris 1100 exem­plaires en plus. Ce numéro, « Pour l’anarchisme », vient d’être réédité à 3 000 exemplaires.

1500 exem­plaires à par­tir du n° 20.

Comme toute pub­li­ca­tion, nous atta­chons une grande impor­tance aux abon­nements qui sont le sou­tien réel de la revue — env­i­ron 380. Pour­tant, la vente des numéros ne suf­fit pas à pay­er les frais d’imprimerie et d’expédition. N’ayant rien de com­merçants, nous dif­fu­sons gratuite­ment un grand nom­bre d’exemplaires. Pour nous per­me­t­tre cette dif­fusion élargie, des cama­rades du groupe cotisent régulière­ment à la caisse de sou­tien revue. 


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