La Presse Anarchiste

Conversation

[(Jack et Janet, deux cama­rades anglais, nous ont ren­du visite en décembre. Au cours d’une dis­cus­sion, nous leur avons posé un cer­tain nombre de ques­tions. La conver­sa­tion a été enre­gis­trée. Evi­dem­ment, les pro­blèmes de langue et quel­que­fois la trop grande spon­ta­néi­té des pro­pos ne nous permet­tent pas, pour des rai­sons de com­pré­hen­sion, de retrans­crire lit­té­ra­le­ment la dis­cus­sion ; nous l’avons « arrangée ».

Les idées expri­mées et les juge­ments por­tés sur la situa­tion en Angle­terre et les groupes locaux ne sont peut‑être qu’une façon sub­jec­tive et par­tielle de reflé­ter la réa­li­té. Nous avons cru utile cepen­dant de com­mu­ni­quer leur expérience.)]

Le mouvement anarchiste

André. — Ce qui m’intéresse, c’est à la fois l’a­nar­chisme et la non‑violence. J’aimerais savoir com­ment cela se passe dans les deux cas, en Angle­terre. Jack peut‑il nous faire un his­to­rique ? Je sup­pose que, comme en France, pour les anar­chistes vio­lents, il y a d’a­bord l’anar­chisme et puis la non‑violence.

Jack. — Pen­dant les grandes années de la CND (Cam­pai­gn for nuclear disar­me­ment) et du Comi­té des 100, beau­coup de per­sonnes sont venues, comme moi, à l’a­nar­chisme au contact de ces orga­ni­sa­tions. Main­te­nant, ces orga­ni­sa­tions ont dis­pa­ru et nous recru­tons des indi­vi­dus d’une autre façon. Pen­dant trois ans, je crois que la majo­ri­té du mou­ve­ment anar­chiste a eu une ten­dance à la non‑violence. Il y avait beau­coup d’articles dans « Free­dom » pour la non‑vio­lence. Main­te­nant, la ten­dance est plu­tôt à un anar­chisme moins paci­fiste (lutte de classes). Les per­sonnes qui croyaient à la non‑violence, au départ, se sont tour­nées vers le mou­ve­ment des « com­munes » et l’action sociale. Dans notre groupe de Leeds, lors d’une grande réunion où il y avait 40 per­sonnes, on en comp­tait seule­ment trois qui ont par­ti­ci­pé au Comi­té des 100. Mais, de toute façon, il nous est pos­sible de tra­vailler ensemble parce que nous fai­sons des actions sur le plan local. Celui qui est « non violent » dit que l’action sociale est pour la paix, celui qui est pour la lutte de classes dit que l’action entre dans le cadre de cette lutte.

André. — Est‑ce que le pro­blème « lutte de classes – non-vio­lence » a été posé d’une façon pré­cise ? Par exemple, beau­coup disent que la lutte de classes et la non‑violence sont contra­dic­toires. Je ne le pense pas. Est‑ce qu’il y a des « non‑violents » par­ti­sans de la lutte de classes ?

Jack. — Oui, bien sûr. Mais le grand pro­blème c’est de savoir ce qu’est un « non‑violent ». Je crois que pour un « non‑violent », il est néces­saire d’analyser les fac­teurs qui font que la socié­té est vio­lente : la guerre, etc. Il me semble que la socié­té compé­titive pro­duit la pau­vre­té et toutes les autres consé­quences du capitalisme.

Il y a les villes avec les grands ensembles urbains qui n’ont pas de vie propre et où les rela­tions entre les habi­tants sont inexis­tantes. C’est là que se mani­feste une socié­té déca­dente : la dé­linquance avec la vio­lence de la jeu­nesse (mods et rockers), les sans‑logis, les chô­meurs. Tout ceci, dans une socié­té compéti­tive, fait qu’elle est violente.

Si l’on exa­mine les socié­tés du monde avec les pays qui font la guerre (au Viet­nam, par exem­ple, ou en Israël), on doit aus­si exa­mi­ner les mani­fes­ta­tions du capi­ta­lisme et du com­mu­nisme, la poli­tique des deux blocs, et la façon dont ces deux blocs en­trent en conflit. Il faut que les gens tra­vaillent à l’élaboration de leur propre socié­té pour eux­-mêmes et pour l’humanité et peut‑être, alors, aurons‑nous une socié­té non vio­lente. Il y a des gens actuel­le­ment comme César Cha­vez aux Etats‑Unis qui lut­tent dans ce sens.

C’est une façon de voir les pro­blèmes du monde. Il y en a une autre qui est plus indi­vi­dua­liste, mais je ne crois pas que la so­lution soit de se reti­rer dans une île et d’ignorer ces problèmes.

Patrice. — On pour­rait peut-être en reve­nir à un his­to­rique du mou­ve­ment anarchiste.

Jack. — Le mou­ve­ment anar­chiste anglais s’est éteint com­plè­te­ment après la guerre d’Espagne avec l’exception de Glas­gow où il y avait une tra­di­tion ouvrière anar­chiste. Puis le groupe de « Free­dom », à Londres, qui est très vieux main­te­nant. Après la Deuxième Guerre mon­diale, ce groupe était très actif. Il publiait beau­coup de bro­chures et un petit mou­ve­ment exis­tait. Il y avait aus­si quelques anarcho‑syndicalistes peu nom­breux et dis­per­sés qui ne pos­sé­daient pas d’organisa­tion spé­ci­fique. Dans les années 60, le mou­ve­ment anar­chiste prit de l’importance au moment de la dis­pa­ri­tion des grands mouve­ments paci­fistes. Depuis il gran­dit, mais très lentement.

André. — Il y a beau­coup de groupes, je crois. Inorganisés.

Jack. — Oui, mais pas autant que sur la liste de « Free­dom », c’est comme dans « le Monde liber­taire », je crois. Dans le Nord de l’Angleterre, il y a des groupes à York, à Leeds, à Shef­field, à Man­ches­ter, qui fonc­tionnent bien. Ailleurs, on trouve des petits groupes qui font des réunions de temps en temps et qui dif­fusent des tracts.

André. — Est‑ce qu’on peut qua­li­fier ces groupes ? Est‑ce qu’ils sont anarchistes‑communistes, socialistes‑libertaires, etc.?

Jack. — Non, ce sont des groupes locaux où plu­sieurs ten­dances coha­bitent. C’est seule­ment à Londres même qu’il y a des groupes de tendances.

André. — En 1958, à Londres, il y a eu un groupe Malatesta­. Quelle est l’influence des idées de Mala­tes­ta sur l’anarchisme anglais ?

Jack. — Il y a aus­si eu un groupe des amis de Dur­ru­ti. Ce sont des groupes éphé­mères qui ont peu d’influence. Les jeunes anar­chistes anglais font peu réfé­rence à une théo­rie anar­chiste « clas­sique », contrai­re­ment à ce que font les anar­chistes français.

André. — Lorsqu’on voit tous ces groupes, est‑ce qu’on peut essayer de déter­mi­ner des tendan­ces plus fortes que les autres ? Il y a sûre­ment plu­sieurs façons de déter­mi­ner les ten­dances. Par exemple, en Ita­lie, pen­dant très long­temps, il y avait ceux qui étaient pour l’organisation et ceux qui étaient contre.

Jack. — J’ai déjà dit que la grande ten­dance était à la lutte de classes, mais il y a actuelle­ment un grand débat à pro­pos de l’organisation dans la Fédé­ration anglaise entre les gens qui sont pour une orga­ni­sa­tion plus cen­tra­li­sée et ceux qui sont contre.

André. — Pensez‑vous que des scis­sions de ten­dances puissent sur­ve­nir au sein de la Fédéra­tion anglaise ?

Janet. — Nous ne sommes pas pas­sion­nés par les débats théo­riques au point de ne pas pou­voir tra­vailler ensemble. Nous accor­dons plus d’importance à ce que nous pou­vons faire, ensemble, pra­ti­que­ment. Je ne pense pas que ce débat pro­vo­que­ra des scis­sions, mais nous ne devons pas oublier qu’il recouvre néan­moins des diver­gences théo­riques impor­tantes. Il se trouve qu’en France, les gens dis­cutent beau­coup de pro­blèmes géné­raux. En Angle­terre, nous avons davan­tage ten­dance à dis­cu­ter de pro­blèmes locaux sur les­quels nous pou­vons avoir une influence.

Jack. — Les anar­chistes fran­çais ont une meilleure connais­sance de la théo­rie que les anar­chistes anglais. Ces der­niers font peu de dif­fé­rence entre, par exemple, l’anarcho‑communisme et l’anarcho‑syndicalisme. Il y a aus­si un grand débat qui est très sub­jec­tif, je crois, entre les indi­vi­dua­listes et ceux qui croient à la lutte de classes. Les pre­miers uti­lisent un lan­gage phi­lo­so­phique et les autres un lan­gage poli­tique, ce qui embrouille tout. Je crois que cela dépend de la méthode que cha­cun adopte pour trai­ter des pro­blèmes aux­quels il se trouve confron­té. Si, par exemple, quelqu’un me demande com­ment l’industrie sera orga­ni­sée dans la socié­té future, il faut que je réponde en termes d’organisation large. Si une per­sonne me pose une ques­tion au sujet de l’éducation, il faut consi­dé­rer le pro­blème d’une façon plus res­treinte. Si quelqu’un me pose une ques­tion d’ordre phi­lo­so­phique, moral ou psy­cho­lo­gique, il faut faire davan­tage réfé­rence à l’individu. Je crois que l’anar­chisme n’est pas une théo­rie uni­di­men­sion­nelle mais qu’elle com­porte de nom­breuses facet­tes. Nous vou­lons que tout le monde soit heu­reux. Nous cro­yons que tout le monde cherche la véri­té, mais il y a des anta­gonismes entre les dési­rs des in­dividus. Nous deman­dons qu’une socié­té soit éga­li­taire mais aus­si qu’elle laisse la liber­té à l’indi­vidu. Mais il n’est pas facile de trou­ver la méthode. Ça, c’est la phi­lo­so­phie anar­chiste et non pas le mou­ve­ment en Angle­terre. Il y a, dans le mou­ve­ment an­glais, des indi­vi­dus qui disent : « Je sais ce qu’il faut faire ». Peut‑être sont‑ils anarcho‑syndi­calistes, com­mu­nistes ou indivi­dualistes. Il y en a d’autres qui se disent sim­ple­ment anar­chistes et qui ne pré­tendent pas connaî­tre la véri­té. Ceux‑ci sont en ma­jorité, ce sont des per­sonnes qui cherchent.

Janet. — La phi­lo­so­phie d’un groupe dépend, je crois, de sa situa­tion géo­gra­phique. Par exemple, il y a un groupe dans le Somer­set qui est une région agri­cole. Ce groupe‑là croit à la non‑violence et ne parle pas de lutte de classes. Par contre, dans le Nord, il y a des groupes qui ne parlent que de lutte de clas­ses et ne croient pas à la non-violence.

Jack. — Depuis quinze ans, il y a trois groupes qui ont tou­jours été sur la liste de « Free­dom » : Glas­gow, Londres et un autre dans une très petite ville du Lan­ca­shire. Main­te­nant, il y a un pro­grès. Le mou­ve­ment a recru­té des per­sonnes par va­gues. Tout d’abord il y a eu les gens qui étaient déçus par les trots­kystes. Ensuite, beau­coup de jeunes gens sont venus du Co­mité des 100. Main­te­nant, des gens arrivent soit à la suite d’actions inté­res­santes (squat­ters), soit lorsqu’un groupe, im­planté depuis plu­sieurs années dans une ville, finit par se faire connaître.

Janet. — Il y a éga­le­ment les jeunes gens qui ont lu des feuilles anar­chistes locales et qui en­suite ont pris contact avec le groupe. Main­te­nant, il y a, je crois, 150 groupes.

Jack. — Non, je ne le crois pas. Il y en a peut‑être une trentaine.
Janet. — Il n’y a pas assez de place dans « Free­dom » pour im­primer le nom de tous les groupes.

Jack. — Il faut défi­nir ce qu’est un groupe. Pour moi, un groupe c’est plu­sieurs per­sonnes tra­vaillant ensemble et non pas des indi­vi­dus iso­lés, même s’ils sont actifs. Ce qui est éga­le­ment indis­pen­sable, c’est que le groupe fasse des actions et ne se con­tente pas seule­ment de boire le coup ensemble.

Patrice. — Je vou­drais savoir quelle est l’influence des situa­tion­nistes en Angleterre ?

Jack. — Il y a une cer­taine influence des mou­ve­ments dada, sur­réa­liste et situa­tion­niste. II y avait un groupe d’inspiration situ à Londres qui publiait « Heat­wave » et qui avait pas mal d’ennuis avec les anar­chistes parce qu’il avait pris l’habitude de cha­hu­ter sys­té­ma­ti­que­ment les réunions. Les gens que je connais ayant subi une cer­taine influence des idées situ se consi­dèrent mal­gré tout comme anarchistes.

Le Mouvement non violent

André. — Nous avons là une ana­to­mie des groupes anar­chistes. Est‑ce que vous pou­vez faire la même chose pour les « non-vio­lents » ? Est‑ce qu’il y a un mou­ve­ment non violent en Angle­terre ? En France, il y avait, par exemple, le MIR (Mou­ve­ment inter­na­tio­nal de la récon­ci­lia­tion) qui était non violent et, d’autre part, des mou­ve­ments paci­fistes qui ne se récla­maient pas de la non‑violence.

Jack. — En Angle­terre, actuel­le­ment, on trouve de très vieux mou­ve­ments paci­fistes comme le MIR qui est chré­tien et le PPU (Peace Pledge Union). Il y a aus­si la CND qui ne ras­semble plus autant de monde qu’avant. Elle n’est plus stric­te­ment paci­fiste, beau­coup de com­mu­nistes en font par­tie. Il y a aus­si le mou­ve­ment contre la guerre au Viet­nam qui n’est pas non plus très actif.

Quand la CND a com­men­cé à décli­ner, entre 1963 et 1965, ses membres ont fait une ana­lyse de la situa­tion et se sont tour­nés vers des actions sociales (Gitans, sans‑logis, chô­meurs). Ils se sont aper­çus qu’il n’était pas néces­saire de prendre une éti­quette paci­fiste et ils ont for­mé des groupes spé­ci­fiques pour s’attaquer à ces problèmes.

André. — Il n’y a jamais de réfé­rence à la non‑violence ?

Jack. — Au début, oui, mais main­te­nant seuls quelques indi­vi­dus dis­per­sés y font encore réfé­rence dans leurs actions. La non‑violence est cepen­dant dis­cu­tée par les paci­fistes, mais il n’y a plus de mani­fes­ta­tions non vio­lentes ; j’ai pris part à la der­nière, en 66‑67 à Bar­row, lors du lan­ce­ment d’un sous‑marin Pola­ris. Main­te­nant, les mani­fes­tants recherchent plus la confron­ta­tion vio­lente avec les flics qu’une riposte non vio­lente. Ceux qui se réclament de la non-vio­lence le font, par exemple, dans les actions pour les Gitans : Lorsque les auto­ri­tés locales déci­dèrent d’expulser les Gitans des ter­rains com­mu­naux, les mani­fes­tants s’assoient devant les bull­do­zers. « Peace News » fait éga­le­ment de la pro­pa­gande pour la non‑violence.

Ani­ta. — Les anar­chistes participent‑ils aus­si à ces actions ?

Jack. — Oui, mais les anar­chistes ou les liber­taires qui y par­ti­cipent ne sont pas tou­jours inté­grés à un groupe anar­chiste. Mal­gré tout, ils font appel aux anar­chistes de la loca­li­té lors d’actions spectaculaires.

André. — Y a‑t‑il des anar­chistes à la rédac­tion de « Peace News » ?

Jack. — Je ne sais pas, cela fait long­temps que je ne lis plus « Peace News ». Je crois qu’au cours des cinq der­nières années il y a eu une évo­lu­tion vers un socia­lisme liber­taire. Les anima­teurs actuels ne se réclament plus d’un paci­fisme res­pec­tueux des ins­ti­tu­tions. Ils mettent davan­tage l’accent sur la responsa­bilité des indi­vi­dus. Mais il ne sont pas vrai­ment anar­chistes. « Peace News » reste cepen­dant ouvert à toutes les tendances.

Patrice. — Ils se sont radica­lisés pen­dant ces der­nières années et on peut les situer dans un cou­rant libertaire.

Jack. — Dans les années 62 – 63, il y avait au sein de la CND un cou­rant d’opinion en faveur d’une infil­tra­tion dans le par­ti tra­vailliste afin d’influencer sa poli­tique. Mal­gré une réus­site tem­po­raire, beau­coup de « non-vio­lents » ont été ame­nés à réflé­chir sur cette tac­tique. Ils se sont aper­çus qu’à long terme il est inutile d’essayer d’infléchir la poli­tique du par­ti tra­vailliste. Il fal­lait trou­ver d’autres moyens. C’est ain­si qu’on en est venu aux actions sociales. Étant anar­chiste, je ne fais pas appel aux dépu­tés et je crois que si nos actions réus­sissent le gou­ver­ne­ment sera obli­gé d’en tenir compte.

Patrice. — Il y a une chose qui me semble inté­res­sante dans les mou­ve­ments anar­chiste et non violent : cer­tains indi­vi­dus se sont enga­gés dans des actions sociales concrètes, comme Jack. C’est un trait par­ti­cu­lier du mou­ve­ment anglais. Ils se sont atta­qués aux pro­blèmes du chô­mage, des Gitans, du loge­ment, en essayant d’y appor­ter des solu­tions. Cette forme d’action est peu pra­ti­quée en France.

Ani­ta. — Ce sont donc des actions à la base.

André. — Sans aucune réfé­rence à l’anarchisme, à la non-vio­lence ou au pacifisme ?

Patrice. — Ils y fai­saient réfé­rence dans la mesure où une théo­rie sou­te­nait leur action.

Jack. — Il y a deux façons d’aborder les pro­blèmes : si je clame que je suis anar­chiste per­sonne ne m’écoute tan­dis qu’en ame­nant les gens à voir leurs propres pro­blèmes, à réflé­chir sur ceux‑ci, et en adop­tant des méthodes liber­taires pour les résoudre, ça marche. Il se crée ain­si une syn­thèse entre l’action et la théo­rie. Cette forme de pro­pa­gande est plus effi­cace qu’une pro­pa­gande écrite sur des thèmes géné­raux. Bien enten­du, lors d’actions impor­tantes, chaque groupe poli­tique qui en fait l’analyse dans son jour­nal, a ten­dance à dire que seule sa méthode est bonne.

André. — Que pensent les anar­chistes et les « non‑violents » de Vino­ba ? Il me semble que les Anglais peuvent plus faci­le­ment cap­ter la tra­di­tion gand­hienne à cause de la langue.

Jack. — Actuel­le­ment, je crois que le mou­ve­ment anar­chiste anglais connaît davan­tage l’action de César Cha­vez, à pro­pos des rai­sins de Cali­for­nie, parce que la grande presse en a par­lé. En ce qui concerne le mou­ve­ment non violent, j’ai un peu per­du le contact avec lui ces deux der­nières années. Je sais cepen­dant qu’une infor­ma­tion se fait par l’intermédiaire du jour­nal du mou­ve­ment Bhou­dan, « Sar­vo­daya », par « Peace News » et aus­si par la pré­sence de Satish Kumar qui a orga­ni­sé l’école de non‑violence à Londres. En dehors de ceux qui lisent régu­liè­re­ment ces jour­naux, il y a peu de gens qui connaissent l’action de Vino­ba. Main­te­nant, les gens qui croient à la non‑violence se sont tour­nés vers les com­mu­nau­tés qui sont assez nom­breuses. Cer­taines d’entre elles font un tra­vail inté­res­sant, pour d’autres ce sont sim­ple­ment des névro­sés qui vivent ensemble.

Ani­ta. — La pra­tique de la non‑violence en Angle­terre se fait donc plus au niveau d’une recherche per­son­nelle que sur le plan social et politique ?

Jack. — Avec la crois­sance du mou­ve­ment étu­diant socia­liste qui dénonce vigou­reu­se­ment la non‑violence, les indi­vi­dus qui prô­naient celle‑ci ont dû s’orienter vers la recherche d’une théo­rie per­met­tant l’implantation d’une socié­té liber­taire. Ceci en par­tant de l’analyse de la situa­tion telle qu’elle est appa­rue lors des cam­pagnes d’actions sociales. Ils ont alors délais­sé les mani­fes­ta­tions de type Viet­nam ou désar­me­ment nucléaire.

Il faut éga­le­ment tenir compte de l’influence hip­pie, qui remonte à deux ans envi­ron, avec la créa­tion de jour­naux, comme « Inter­na­tio­nal Times » (« It ») et « Oz ». En consé­quence, il semble que les « non‑violents » se soient repliés sur eux‑mêmes.

La plu­part ont aban­don­né le mou­ve­ment anar­chiste bien qu’ils ne croient pas aux formes d’organisation auto­ri­taires. Ils ont alors com­men­cé à créer des com­mu­nau­tés sans faire réfé­rence à une théo­rie par­ti­cu­lière, semble‑t‑il. Dans le même temps, leur inté­rêt pour les réa­li­sa­tions en cours ailleurs, notam­ment en Inde, décroît.

Ani­ta. — Le mou­ve­ment non violent anglais a donc écla­té en plu­sieurs groupes qui font soit des actions spé­ci­fiques (apar­theid, Gitans, etc.) soit des recherches com­mu­nau­taires. Existe‑t‑il une liai­son entre ces groupes ?

Jack. — Une cer­taine infor­ma­tion réci­proque se fait par l’intermédiaire de cer­tains jour­naux (« Peace News », « It », « Oz », « Free­dom », le jour­nal du mou­ve­ment com­mu­nau­taire : « Bit » ). Une liai­son non struc­tu­rée se fait par l’intermédiaire d’individus appar­te­nant à plu­sieurs groupes. Le centre « Agit‑prop » a une fonc­tion de liai­son dans la mesure où il dif­fuse des infor­ma­tions sur les actions en cours.

Un groupe local : Manchester

André. — Il me semble que nous sommes arri­vés à une sorte de conclu­sion. Peut‑être pou­vons-nous main­te­nant abor­der le pro­blème de votre groupe ?

Jack. — Le groupe de Man­ches­ter a tou­jours eu la répu­ta­tion d’être un groupe anar­cho-syn­di­ca­liste. Il est très concer­né par les pro­blèmes de l’industrie locale. Contrai­re­ment à cer­tains groupes dési­reux de s’engager dans des actions mais inca­pables de s’organiser en consé­quence, le groupe de Man­ches­ter a la chance d’avoir quelques per­sonnes com­pé­tentes sur le plan de l’organisation. Nous avons néan­moins quelques pro­blèmes concer­nant notre situa­tion locale et des pro­blèmes internes. Man­ches­ter est une très grande ville, la troi­sième de l’Angleterre, je crois. Vu la dis­per­sion géo­gra­phique des membres du groupe, leurs pro­fes­sions diverses et de nom­breux centres d’intérêt dif­fé­rents, le groupe en tant que tel n’est pas inté­gré à la col­lec­ti­vi­té (quar­tier). Cepen­dant, plu­sieurs de ses membres sont éga­le­ment enga­gés dans leur milieu professionnel.

Je crois que la meilleure façon d’engager une action c’est qu’un indi­vi­du en prenne la res­pon­sa­bi­li­té. Il expose son pro­blème devant le groupe en étant lui-même déci­dé à s’y enga­ger. Ceux qui sont d’accord avec son idée le rejoignent.

Janet. — Il y a aus­si des pro­blèmes pra­tiques quant au lieu de réunion. Nous avions l’habitude de nous réunir le soir dans un bis­trot. Mais en géné­ral nous étions très fati­gués et la dis­cus­sion dégé­né­rait très rapi­de­ment. Main­te­nant, nous nous réunis­sons le dimanche après‑midi.

André.  — Il y a com­bien de per­sonnes dans votre groupe ?

Jack. — Une dou­zaine qui sont actifs.

Janet. — C’est impos­sible à dire. En cas d’actions impor­tantes, nous pou­vons réunir une cin­quan­taine de jeunes gens. Il y a aus­si ceux qui font la navette entre notre groupe et celui de « Solidarity ».

Jack. — Il y a aus­si des pro­blèmes de per­son­na­li­tés et de diver­gences théo­riques. Nous avons essayé d’y pal­lier en publiant un bul­le­tin où cha­cun peut s’exprimer libre­ment. Main­te­nant, nous allons essayer de voir le rôle de la réunion dans notre groupe.

Janet. — Oui, parce que ces réunions ne jouaient aucun rôle. Toutes les dis­cus­sions impor­tantes se tenaient entre les indi­vi­dus d’une façon informelle.

Jack. — Ceci est impor­tant parce que la théo­rie anar­chiste veut que les déci­sions d’un groupe soient prises en com­mun pen­dant les réunions. Pour nous, cela n’a pas tou­jours été le cas : Il est sou­vent arri­vé qu’une ini­tia­tive indi­vi­duelle soit prise en ce qui concerne nos acti­vi­tés, sans dis­cus­sions préa­lables soit pour le bul­le­tin ou la propagande.

Une des fonc­tions de la réunion du groupe était d’organiser les actions. Cela ame­nait sou­vent des dis­cus­sions inter­mi­nables sur des petits détails pra­tiques. Un jour, nous avons dis­cu­té pen­dant qua­rante minutes du lieu de ras­sem­ble­ment d’une mani­fes­ta­tion. Le niveau de la dis­cus­sion n’était vrai­ment pas très éle­vé ! Beau­coup de petits détails qui auraient pu être réglés par quelques‑uns nous empê­chaient, en fait, de dis­cu­ter de pro­blèmes majeurs. Les réunions devinrent ennuyeuses et il était dif­fi­cile d’attirer de nou­velles personnes.

Janet. — Lorsque la struc­ture d’un groupe n’est pas auto­ri­taire il est dif­fi­cile de faire taire les gens.

Jack. — Nous avons alors essayé de trai­ter des pro­blèmes pra­tiques dans la pre­mière par­tie de la réunion et ensuite d’avoir une dis­cus­sion plus théorique.

André. — Ce groupe est sans structures ?

Jack. — Nous éprou­vons quel­que­fois le besoin d’avoir un pré­sident de séance lorsque les dis­cus­sions deviennent trop confuses.

Janet. — À ce moment‑là, on dis­cute sur l’utilité d’avoir un pré­sident ou non.

Jack. — Nous devons donc tirer les prin­cipes d’organisation de notre pra­tique liber­taire et non pas d’une théo­rie a prio­ri. Dans la théo­rie anar­chiste, l’organisation doit nous aider à mieux abor­der les pro­blèmes. Elle ne doit pas exis­ter pour elle‑même. Lorsque Janet tra­vaille au syn­di­cat des pro­fes­seurs elle peut abor­der les pro­blèmes de l’enseignement de l’intérieur étant elle-même direc­te­ment concernée.
Par contre, quand le groupe de Man­ches­ter s’attaque à un pro­blème comme celui des Gitans ou du chô­mage, il le fait en tant que groupe exté­rieur aux per­sonnes concer­nées ce qui nous met dans une posi­tion fausse.

André. — Dans le mou­ve­ment anar­chiste inter­na­tio­nal, quelles sont vos réfé­rences ? Par exemple, quand vous par­lez des anar­chistes fran­çais, de qui par­lez-vous ? De « Noir et Rouge », de la Fédé­ra­tion anar­chiste (FA), de Cohn‑Bendit ?

Jack. — On se réfère aux gens qu’on connaît per­son­nel­le­ment. Cer­tains d’entre nous lisent des jour­naux étrangers.

André. — Qu’est‑ce que vous lisez comme journaux ?

Jack. — Nous lisons de temps en temps « ICO»(« Infor­ma­tions Cor­res­pon­dance Ouvrières »), « IWW » (le jour­nal de l’International Wor­kers of the World), des bro­chures amé­ri­caines et aus­si dans « Free­dom » les colonnes consa­crées aux évé­ne­ments de dif­fé­rents pays. Nous avons éga­le­ment lu le livre de Cohn‑Bendit. Les rela­tions inter­na­tio­nales sont donc très infor­melles. Nous nous méfions en géné­ral des gens qui pré­tendent incar­ner le mou­ve­ment anar­chiste d’un pays.

Patrice. — Il me semble que les anar­chistes anglais d’une façon géné­rale ont une atti­tude empi­rique et essen­tiel­le­ment prag­ma­tique face à leurs pro­blèmes. Ils essayent d’avancer sans idées préconçues.

Ani­ta. — Votre groupe est donc basé essen­tiel­le­ment sur l’action directe et sociale. Vous ne faites jamais de recherches théoriques ?

Janet. — Si, mais indi­vi­duel­le­ment ou par groupe de deux ou trois personnes.

Ani­ta. — L’absence de bases théo­riques chez ces jeunes n’amène‑t‑elle pas un besoin d’approfondissement ?

Patrice. — On ne peut pas dire qu’ils n’ont pas de théo­rie. Ils ont des bases mini­males et sur­tout une pratique.

Janet. — En géné­ral, les Anglais ont une atti­tude empirique.

Jack. — Dans nos rela­tions avec les autres grou­pus­cules, les dis­cus­sions portent sou­vent sur les mêmes pro­blèmes (Crons­tadt, etc.). Par exemple : avec les maoïstes la contro­verse porte sou­vent sur leur atti­tude envers le culte de Mao. En ce qui concerne les trots­kystes, il y a un hia­tus entre les soviets libres prô­nés par Trots­ky et leur atti­tude auto­ri­taire actuelle. En fait, il n’y a pas de défi­ni­tion pré­cise d’un anar­chiste. On le re­connaît à son atti­tude antiauto­ritaire. On apprend à se recon­naître intui­ti­ve­ment et non pas sur la base d’une confron­ta­tion de nos ana­lyses res­pec­tives (rôle de l’État, etc.). Ceci est mon opi­nion per­son­nelle. Il est cer­tain que d’autres anar­chistes ont une démarche plus scien­ti­fique. J’ai ten­dance à être assez sub­jec­tif dans mon approche.

Patrice. — Est‑ce que vous pour­riez défi­nir les groupes « Solidarity » ?

Jack. – « Soli­da­ri­ty » a été créée dans les années 60 par cer­taines per­sonnes déçues par la « Socia­list Labour League » et par d’anciens membres du Comi­té des 100. Ils sont par­tis sur des bases d’organisation liber­taire en réac­tion contre la façon dont fonc­tion­nait la SLL. Leur forme d’organisation et le tra­vail aus­si bien théo­rique que pra­tique qu’ils ont four­ni leur a valu d’attirer pas mal de gens.

Janet. — « Soli­da­ri­ty » est donc essen­tiel­le­ment une orga­ni­sa­tion socia­liste liber­taire. Les « soli­da­ristes » se consi­dèrent tous comme mar­xistes mais de ten­dances dif­fé­rentes. Ils ne se bornent pas à faire une ana­lyse éco­no­mique de la socié­té, mais, comme les anar­chistes, ils ont ten­dance à s’intéresser aus­si aux rela­tions humaines, à la vie quo­ti­dienne, à la « culture » ain­si qu’aux pro­blèmes aux­quels sont confron­tées les mino­ri­tés, les Gitans, etc. Ils essayent de sen­si­bi­li­ser les gens non seule­ment sur des ques­tions maté­rielles (grèves pour aug­men­ta­tion de salaire), mais aus­si sur des pro­blèmes plus abs­traits comme la prise en main de leur propre exis­tence. C’est pro­ba­ble­ment cela le véri­table but de « Solidarity ».

Jack. — Dans son livre, « les Anar­chistes », James Joll insiste sur le fait que la dif­fé­rence entre les anar­chistes et les mar­xistes ne se situe pas tel­le­ment au niveau théo­rique bien que le débat porte en géné­ral sur une oppo­si­tion entre les auto­ri­taires et les liber­taires. Ce débat cache en fait une grande dif­fé­rence de men­ta­li­té et de per­son­na­li­té. De ce point de vue, les « soli­da­ristes » sont pro­fon­dé­ment mar­xistes. Mal­gré cela, ce sont cer­tai­ne­ment des mar­xistes liber­taires et dans cer­tains cas, en ce qui concerne leur orga­ni­sa­tion interne (groupes auto­nomes), ils sont pro­ba­ble­ment plus libertai­res que cer­tains anar­chistes de ma connaissance.

Bien que nous coopé­rions avec les « soli­da­ristes », dans l’action, une cer­taine méfiance réci­proque per­siste entre cer­tains d’entre eux et les anar­chistes. Cela vient en par­tie du fait que dans le jour­nal « Soli­da­ri­ty », ils reprennent les mêmes cri­tiques mes­quines for­mu­lées depuis tou­jours contre les anar­chistes (anar­chie = chaos).

Beau­coup de mar­xistes semblent avoir une peur panique de l’anarchisme. Lors d’une dis­cus­sion avec un mar­xiste, si cer­taines ana­lyses concordent, celui‑ci a ten­dance à battre en retraite et à se défendre d’avoir quoi que ce soit de com­mun avec les anarchistes.

Janet. — Dans le groupe « Soli­da­ri­ty » de Man­ches­ter, on trouve quelques indi­vi­dus, mili­tants du mou­ve­ment ouvrier depuis des années, qui croient encore en cer­taines ins­ti­tu­tions petites-bour­geoises (la famille, etc.). Ceux‑ci pensent, d’une part, que les anar­chistes veulent trop détruire et, d’autre part, qu’ils ne sont qu’une bande de jeunes che­ve­lus, étu­diants ou chô­meurs pour la plu­part, exté­rieurs au mou­ve­ment ouvrier. C’est un pré­ju­gé com­mun à cer­tains « solidaristes ».

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Com­men­taire

Après avoir lu ce texte, il vient à l’idée de tout un cha­cun un cer­tain nombre de remarques. Celles‑ci pour­raient être le début d’un tra­vail de recherche inté­res­sant à mener. Il res­sort, d’après ce que dit Jack, que le mou­ve­ment anar­chiste renaît après l’échec et l’extinction des mou­ve­ments paci­fistes et non vio­lents (Cam­pai­gn for nuclear disar­me­ment, Comi­té des 100).

1. Cela concerne‑t‑il aus­si les mou­ve­ments auto­ri­taires, trots­kystes ou autres ?

2. S’il semble y avoir eu simi­li­tude de situa­tion, pour la renais­sance du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire, avec les Etats‑Unis, quelles sont les causes qui ont ame­né le mou­ve­ment révo­lu­tion­naire à dis­pa­raître après la guerre, en Angleterre ?

3. Com­pa­rai­son entre les mou­ve­ments paci­fistes, non vio­lents amé­ri­cains et anglais, non pas tant sur leur méthode d’action, mais sur leur dépé­ris­se­ment : Nos cama­rades anglais opposent leur prag­ma­tisme à la théo­ri­sa­tion des anar­chistes fran­çais. Qu’en est‑il en fait ? S’il est cer­tain que les vieilles barbes anar­chistes sont très fortes sur ce point‑là, on ne peut pas le repro­cher aux nou­veaux venus dans le mou­ve­ment (qui sont d’ailleurs majo­ri­taires) et qui, eux, mélangent joyeu­se­ment tout. Sou­vent, il semble que les débats qui opposent les anar­chistes fran­çais sont des jus­ti­fi­ca­tions a pos­te­rio­ri et des réfé­rences à des actions pas­sées ; la théo­ri­sa­tion des actions en cours étant pra­ti­que­ment inexistante.

Plu­sieurs types d’action ont été menés par des groupes non vio­lents (Gitans, sans‑logis, chô­meurs). S’il est cer­tain que la façon dont les choses se sont pas­sées peut être inté­res­sante, je pense qu’un effort devrait être fait pour savoir com­ment ces actions se sont ter­mi­nées. En effet, le pro­blème qui se pose est celui de « l’après ». Dans notre numé­ro sur la révo­lu­tion non vio­lente, nous par­lions de la néces­si­té de base de repli après les actions, pour évi­ter la démo­ra­li­sa­tion et la dis­per­sion ( ANV, n° 22, p.21 ).

Enfin, pour finir, il faut rele­ver, d’une façon nette, l’emploi jux­ta­po­sé des mots « croire » et « lutte de classe ». « Les uns croyaient au ciel, les autres n’y croyaient pas. » Sommes‑nous réduits à ce choix ? On peut rame­ner la situa­tion à un sché­ma très simple : Sont contre les luttes de classes ceux qui sont au pou­voir : patrons, curés et gou­ver­nants ; sont pour les luttes de classes les idéo­logues de tout bord et les par­tis d’avant‑garde. Le reste vit la lutte de classes d’une façon plus ou moins consciente, donc d’une façon plus ou moins com­ba­tive selon l’endroit et le moment. Je pense qu’il ne faut pas se leur­rer : les luttes de classes sont. Qu’on le veuille ou non. Ce qui est impor­tant n’est pas de savoir si la non‑violence c’est ou ce n’est pas de la lutte de classes, mais de savoir où se situent ceux qui s’en réclament.

Voi­là beau­coup de tra­vail sur la planche. Pour la forme, je ferai un appel aux lec­teurs qu’un de ces points inté­res­se­rait, on pour­rait col­la­bo­rer, non ?

Pierre Som­mer­meyer

La Presse Anarchiste