( « Jalons », ANV, n°4, avril 1966.) )]
Les différentes actions étudiées dans les textes précédents font apparaître la nécessité de rassembler autour des camarades engagés un groupe de soutien.
Ce groupe répond à plusieurs besoins inhérents à tout individu entreprenant une action non violente :
— Besoin de rompre la solitude, de ne pas se sentir isolé ; d’appartenir à un courant de pensée, d’avoir autour de soi une communauté solide.
— Désir que le geste soit bien compris, bien interprété, ne puisse donner lieu à des utilisations équivoques et que le retentissement obtenu soit bien dans l’esprit qui anime l’action.
Ces constatations bien évidentes appellent immédiatement quelques réflexions et inspirent le désir d’élaborer un cadre permettant plus facilement la naissance et l’épanouissement d’actions.
Il semble convenu qu’à la base de toute action non violente il y a un engagement individuel profondément réfléchi ; cette réflexion suppose que l’intéressé ait pesé toutes les conséquences de son acte et se soit senti de taille à les affronter.
Parmi les conséquences les plus prévisibles : une forte amende ou un emprisonnement de durée variable d’où préjudice matériel grave que l’intéressé peut avoir des difficultés à supporter surtout s’il a des responsabilités familiales.
L’objet de ces propos est de considérer plus particulièrement l’aspect matériel du soutien et ses corollaires. Souscription, caisse de solidarité ont souvent été utilisées, mais ces formes ne spécifient en rien un mouvement, elles constituent l’aspect premier du soutien : aspect insuffisant en ce sens qu’il ne crée pas une véritable communauté dans l’engagement, et laisse subsister un fossé entre participants à l’action et participants au soutien.
Une autre solution consiste en un apport financier fixe, régulier, périodique par ceux qui se sentent concernés par une action dure mais ne veulent pas s’y livrer eux‑mêmes. Ce mode de soutien est plus sympathique, il semble mieux convenir car il nécessite un engagement plus précis et plus complet. Plus complet, plus idéal encore est la possibilité qu’offre une communauté comme l’Arche qui permet à certains de ses compagnons de pouvoir se libérer de tout problème matériel pour participer à une action qu’elle a jugée valable, et où elle prend alors en charge toutes les conséquences matérielles de l’action. Cela permet de libérer un ou des individus pour animer, coordonner une action qui leur demande de s’y consacrer à plein temps de même d’assurer la subsistance d’une famille pendant un emprisonnement et de garantir leur réintégration par la suite.
Le réalisme oblige à constater que ce qui est possible en milieu spiritualiste chrétien l’est plus difficilement en milieu anarchiste. La vie communautaire (genre Arche) pose de très nombreux problèmes et sans la sublimation déiste elle est généralement vouée à l’échec à terme plus ou moins long suivant la qualité des participants. L’expérience semble prouver que pour des anarchistes très conscients de leur ego, elle apporte en définitive plus de contraintes que de libération.
Alors ? comment se rapprocher des possibilités d’action qu’offre la vie communautaire complète en évitant les inconvénients qui lui sont inhérents ?
Une possibilité apparaît à travers certaines recherches ; on peut l’appeler sans être certain que la définition soit très correcte : le groupe de partage.
GROUPE : Assemblage d’individus affinitaires du fait qu’ils se sentent concernés par les mêmes problèmes et désireux d’agir dans le même sens pour la recherche, la réflexion, l’action.
DE PARTAGE : Par souci d’efficacité, dans le but de se sentir plus solidaires, plus disponibles et plus libres matériellement, les composants du groupe décident de mettre en commun leurs ressources entièrement ou en partie.
Aspects pratiques
On peut concevoir une gradation, une évolution dans la création et la vie de ce « groupe de partage » et ce, sur plusieurs plans ; depuis le seul aspect financier jusqu’au regroupement géographique et même professionnel, un premier stade consisterait à créer une caisse alimentée par des versements réguliers.
La détermination du montant des versements pourra être laissée à l’initiative de chacun ou déterminée en pourcentage de salaires ou de quotient familial. Suivant l’importance et le nombre des « volontaires » cette caisse permettrait de financer :
— La publication ou la participation à la publication de certains textes ;
— Les frais inhérents à des rencontres, séminaires, etc., et la possibilité d’en rapprocher la fréquence ;
— Le déplacement d’un membre du groupe pour participer à une rencontre, congrès, préparation d’action de mouvements proches ;
— Le soutien, en tant que groupe, d’une action que nous approuvons ;
— Le remplacement de la rémunération professionnelle d’un camarade pour lui permettre de se consacrer à plein temps à une tâche, ce à titre temporaire ou permanent.
Cette énumération non limitative, volontairement simpliste, essaie de définir une progression possible à partir du réel, c’est‑à‑dire l’état actuel de cohésion et de maturité d’un groupe qui ne fait que de commencer à s’affirmer.
On peut concevoir à un stade plus avancé que la totalité des ressources soient mises en commun puis redistribuées équitablement suivant un système à définir (l’équité n’étant pas l’égalité, il est nécessaire d’apporter des corrections tenant compte des circonstances particulières à chacun avant de procéder par exemple à un partage calculé suivant un quotient individuel), le prélèvement de soutien se faisant alors globalement et d’une manière variable suivant les besoins du moment.
Enfin, toujours dans le même esprit mais plus difficile à réaliser, on peut envisager un regroupement géographique dans la recherche de travail et de résidence dans la même ville, dernier stade avant la vie communautaire complète que nous laisserons volontairement de côté. Non que nous ignorions que ce soit là une solution quasi idéale, mais parce que nous pensons que l’outil parfait que peut représenter une vie communautaire complète peut être aussi le parfait instrument de destruction du groupe si les participants ne se sont pas astreints à une longue préparation psychologique et pratique. Préparation consistant, entre autres, à la maîtrise des comportements caractériels et à l’élaboration d’un langage commun tant sur le plan des idées que du vocabulaire, éléments essentiels, nécessaires et indispensables à la cohésion d’un groupe.
Mais dans l’esprit du « groupe de partage » s’offre déjà toute une gamme de possibilités ouvertes vers l’action, il nous appartient de nous interroger puis, à travers un débat commun, de définir et préciser celles que nous voulons utiliser et à quel niveau.
Marcel Viaud