La Presse Anarchiste

Après le raisin, la salade

L’entreprise Bud Antle est le plus grand pro­duc­teur de salade de tous les USA. En 1961, il y eut dans cette boîte des dif­fi­cultés finan­cières. L’entreprise ven­dit donc 40 % de ses ter­res à la Dow Chem­i­cal qui les lui lais­sa pour exploitation.

De ce fait, la DC prit la part la plus grosse au sein des Ets Bud Antle et devint son pro­pre client. Elle s’achète les embal­lages pour les laitues et les pes­ti­cides pour com­bat­tre les par­a­sites. À ce sujet, on peut se deman­der si ce dernier pro­duit n’a pas été expéri­men­té d’abord au Viet­nam. La DC a, en effet, une spé­cial­ité autre que la salade : elle fab­riqué le napalm util­isé au Viet­nam. Le cer­cle est bouclé. Le slo­gan « Chicanos‑Vietcong, même com­bat » est sans aucun doute fondé.

Instru­it de la façon dont les patrons du raisin avaient été amenés à reculer devant Chavez et ses cama­rades, le trust Dow Antle, le 6 octo­bre, obtient un arrêté inter­dis­ant toute grève des récoltes ain­si que le boy­cottage de la laitue par les con­som­ma­teurs. Évidem­ment les avo­cats de l’UFWOC aver­tirent que cet arrêté était illé­gal et firent appel.

À l’audience du tri­bunal où il s’agissait de déclar­er la plainte recev­able ou non, le juge dit qu’il sus­pendrait l’arrêté à con­di­tion que l’UFWOC dépose une cau­tion de 2.750.000 dol­lars. Toutes les assur­ances sur la vie des grévistes n’approchaient même pas ce mon­tant. Alors les sym­pa­thisants de Chavez organ­isèrent des man­i­fes­ta­tions con­tre l’exploitation par la DC des tra­vailleurs agri­coles, aus­si bien à Seat­tle qu’à Wash­ing­ton. Sur quoi Bud Antle lui‑même téléphona au bureau de l’UFWOC dis­ant : « Lais­sez de côté la Dow Chem­i­cal, sinon vous aurez beau­coup d’ennuis ! »

Le 20 novem­bre, Chavez envoya un télé­gramme à la DC afin de pou­voir, au cours d’une réu­nion, dis­cuter des con­di­tions de tra­vail des ouvri­ers saison­niers. Il se heur­ta à une fin de non‑recevoir. Néan­moins, le 23 novem­bre, Chavez était inculpé pour viol de l’arrêté et emmené au poste. Après six heures d’interrogatoire il parais­sait devant le tri­bunal. Con­damné, il était libéré deux mois plus tard, bien que l’inculpation tint tou­jours. Sur cette sit­u­a­tion se greffe un prob­lème de rival­ité syn­di­cale. Le con­cur­rent direct de l’UFWOC de Chavez est la Team­ster Union (syn­di­cat des trans­porteurs). Ce dernier est bien con­nu comme étant un syn­di­cat con­trôlé de sa prison par le maf­fiosi Jim Hof­fa. La TU pour s’agrandir avait de curieuses pra­tiques : non con­tente de syn­di­quer les camion­neurs eux‑mêmes, ceux qui chargeaient les camions étaient con­traints de faire de même ain­si que ceux qui pré­paraient les charge­ments et ain­si de suite, jusqu’aux tra­vailleurs mex­i­cains qui récoltaient la salade. En leur nom à tous, la TU sig­nait des con­trats ami­caux avec les patrons de l’agribusiness, ne prévoy­ant pas de grèves mais une petite aug­men­ta­tion. Il sem­ble d’ailleurs que les bonzes de la TU n’allaient pas voir sur place si la sec­onde par­tie du con­trat était respectée.

En 1969, après avoir gag­né la bataille du raisin, Chavez enta­ma celle de la salade. La grève com­mença à Sali­nas. Apprenant que les tra­vailleurs de Bud Antle étaient inscrits à la Team­ster Union, César Chavez leur con­seil­la de ne pas entr­er en grève. Il craig­nait que la TU ne se sai­sisse de l’occasion pour essay­er d’abattre l’UFWOC. Les tra­vailleurs de Bud Antle ne le suivirent pas dans ce raison­nement et arrêtèrent le travail.

Nous dirons ici que Chavez se fit débor­der par sa gauche. La riposte de la TU fut d’organiser la vente de salades elle‑même. Au lieu de la mar­que orig­i­nale, il y avait écrit « laitue syn­di­cale » avec le sym­bole de la TU, chevaux sur fond de ban­nières étoilées. Grâce à la vig­i­lance des sym­pa­thisants de l’UFWOC, le contre‑boycottage de la TU échoua, et le gou­verne­ment, poussé par la DC acheta les laitues pour l’armée. Ce qui don­na lieu à des man­i­fes­ta­tions devant les bases mil­i­taires, aux­quelles beau­coup de GI’s participèrent.

C’est de cette façon, con­crète, que les tra­vailleurs saison­niers firent le joint avec la lutte con­tre la guerre d’Indochine. Aujourd’hui, les patrons de l’agribusiness atten­dent beau­coup du pro­jet de loi déposé au Con­grès par le séna­teur réac­tion­naire Mur­phy, de Cal­i­fornie. Ce pro­jet prévoit tout sim­ple­ment que les grèves seront inter­dites au moment des récoltes. C’est comme si les tra­vailleurs de chez Renault n’avaient pas le droit de faire grève quand ils tra­vail­lent. L’outrance même du pro­jet ne lui vaut que peu de sym­pa­thie. Devant ces dif­fi­cultés, les patrons essaient de faire pass­er des « Mur­phy Bill » locaux. Ils pensent que quand plusieurs États auront adop­té ce genre de loi, il passera plus facile­ment au Congrès.

À ce point on peut se deman­der quelle est la posi­tion poli­tique de l’UFWOC, répub­li­cains ou démoc­rates ? On peut met­tre au crédit de Chavez qu’il ne choisit pas entre « la peste et le choléra ». Les can­di­dats démoc­rates sont beau­coup trop liés avec les grands fer­miers pour qu’ils puis­sent faire illu­sion. De toute façon, ces politi­ciens savent que le vrai pou­voir n’est pas détenu par les mis­éreux de l’UFWOC. Pour con­tr­er l’offensive poli­tique du patronat, l’UFWOC se donnera‑t‑elle un out­il poli­tique ? Cer­tains l’espèrent. Un par­ti poli­tique issu de la classe ouvrière en lutte chang­erait d’après eux la sit­u­a­tion poli­tique améri­caine. Il sem­ble que ce ne soit qu’un vœu pieux. Qui vivra verra…

Cet arti­cle est tiré de deux jour­naux améri­cains : celui des wob­blies, Indus­tri­als Work­er, organe anar­chosyn­di­cal­iste, et Worker’s Pow­er, social­iste inter­na­tion­al, ten­dance trot­skyste. Ces deux jour­naux ont fait le tour de force de par­ler de ce con­flit sans men­tion­ner une seule fois la non‑violence de Chavez.

P. Som­mer­mey­er


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