La Presse Anarchiste

L’objection politique

[(Un courant nou­veau se des­sine depuis quelque temps par­mi les objecteurs ; un regroupe­ment s’effectue main­tenant autour de quelques cama­rades qui ten­tent de définir un refus révo­lu­tion­naire de l’armée. Ce groupe con­state la rup­ture inévitable avec l’objection tra­di­tion­nelle et en refuse l’idéalisme et l’individualisme. Le com­bat à men­er n’est pas con­tre l’armée et la mil­i­tari­sa­tion mais con­tre le cap­i­tal­isme au sein duquel l’armée joue un rôle pré­cis. De ce fait, le refus poli­tique de l’armée sera un moment de la lutte con­tre le sys­tème et ce, au même titre que les autres formes de résis­tance à la con­scrip­tion, l’insoumission, la déser­tion et la résis­tance à l’intérieur de l’armée.

Actuelle­ment, une dizaine de cama­rades sont directe­ment con­cernés par ce groupe de tra­vail. Dominique Val­ton, pour sa part, a déjà essuyé deux refus pour sa demande poli­tique d’obtention du statut (cf. ANV 25). Un dossier sur l’armée et la mil­i­tari­sa­tion est en cours de réal­i­sa­tion. Il per­me­t­tra une plus vaste infor­ma­tion sur le thème du refus poli­tique de l’ar­mée.

Nous don­nons ci‑dessous des ex­traits d’un texte pub­lié par ce groupe.)]

L’objection poli­tique est donc, dans cette per­spec­tive, une stratégie par­ti­c­ulière dont on essaie de déter­min­er l’efficacité poli­tique. Elle n’est pas une objec­tion lib­er­taire : la stratégie de la non‑coopération n’est pas un absolu ; et si on l’accepte ce n’est pas « pour être en accord avec ses idées » (ce n’est pas parce qu’on dénonce le rôle de l’armée bour­geoise qu’on refuse a pri­ori d’y entrer).

L’intérêt de la démarche n’en est pas moins cer­tain (tant que le pou­voir n’aura pas col­maté cette brèche!). L’objection poli­tique représente une forme de rad­i­cal­i­sa­tion des luttes : l’ennemi de classe est affron­té de face. La pub­lic­ité qui peut être don­née à l’affrontement est l’occasion de dif­fuser une infor­ma­tion con­sid­érable sur toutes les luttes (insoumis­sion, déser­tion, et surtout révolte du con­tingent) menées sur le front de l’armée et qui exi­gent par­fois une cer­taine clan­des­tinité. L’objection poli­tique n’est donc pas une atti­tude priv­ilégiée : son objec­tif, lim­ité, est d’être le relais de com­bats qui se mènent ailleurs.

Il est évi­dent, en effet, que tous les jeunes ne peu­vent pas se per­mettre de faire objec­tion : trois ans d’incarcération, c’est un risque qu’il n’est pas payant de faire courir à tout le monde ; deux ans de « ser­vice civ­il » ? l’évolution actuelle de la sit­u­a­tion — rôle de plus en plus répres­sif des asso­ci­a­tions employ­ant des objecteurs, adhé­sion idéologique qua­si oblig­a­toire, con­trats de tra­vail (cf. la par­tic­i­pa­tion gaulliste et les con­trats de pro­grès Chaban‑Delmas) — est par­ti­c­ulière­ment sig­ni­fica­tive de ce qu’a été le ser­vice civ­il : une récupéra­tion totale et mystificatrice.

Par ailleurs, il paraît curieux de voir que cer­tains ont la con­science tran­quil­lisée parce que la loi leur per­met de ne jamais porter le titre de mil­i­taire et de tou­jours garder celui de « civ­il ». Politique­ment, c’est une atti­tude absurde ! Ils feraient bien mieux, ceux qui tien­nent à se soulager la con­science, de lut­ter active­ment con­tre les caus­es actuelles de la mil­i­tari­sa­tion, et de la réduire en don­nant même, s’il le faut, des armes aux mass­es pop­u­laires qui en sont les vic­times, plutôt que de refuser, en méta­physi­ciens, la mil­i­tari­sa­tion en général.

Ces posi­tions n’impliquent pas, du moins pour tous, un aban­don des méth­odes d’action non vio­lentes. Il est cer­tain que, dans le passé, la non‑violence a ponctuelle­ment fait la preuve de son effi­cacité. Mais l’important est de déter­min­er d’abord, sans ambiguïté, les objec­tifs poli­tiques à attein­dre : Gand­hi lui‑même, quelle qu’ait pu être l’efficacité de sa démarche exclu­sive­ment non vio­lente pour la décoloni­sa­tion de l’Inde, est un enne­mi de classe des mass­es lors­que, refu­sant la remise en cause des struc­tures sociales très hié­rarchisées (patri­ar­cales, répres­sives) de son pays, il la remet aux mains d’une bour­geoisie dont il appa­raît claire­ment qu’elle s’est fait le relais de l’impérialisme des nations sur­dévelop­pées. En aucun cas, donc, pour nous, objecteurs poli­tiques, la non‑violence ne peut être un a pri­ori : elle présente un intérêt cer­tain, mais demeure subor­donnée à l’analyse poli­tique de la sit­u­a­tion ain­si qu’à l’exigence d’efficacité dans l’action.

Ces quelques remar­ques ne recevraient vraisem­blable­ment pas l’adhé­sion incon­di­tion­nelle des mem­bres du groupe « Objec­tion poli­tique» ; elles définis­sent sim­ple­ment une phy­s­ionomie générale de l’état actuel de notre réflex­ion. C’est un point de repère.

Lettre de soutien proposée par le groupe de travail « Objection politique », et envoyée au ministre de la Défense nationale.

Mon­sieur le Ministre,

Nous sommes sol­idaires des luttes con­tre l’exploitation cap­i­tal­iste sous toutes ses formes : salaires de mis­ère, cadences abrutis­santes, spécu­la­tion out­ran­cière pour une rentabil­i­sa­tion accrue, hiérar­chi­sa­tion extrême des respon­s­abil­ités et des salaires, chan­tage au chô­mage, loge­ments casernés, etc.

Notre vie quo­ti­di­enne nous apprend que seule une minorité dont l’objectif unique est la recherche du prof­it, pos­sède les moyens de pro­duc­tion et le pouvoir.

L’armée est l’instrument indis­pens­able au ser­vice de la classe dirigeante :

— Au niveau idéologique : par l’embrigadement, le con­di­tion­nement de la jeunesse et l’apprentissage de la soumission ;

— Au niveau poli­tique : sur le plan extérieur, elle est l’instrument indis­pens­able de l’impérialisme français (Tchad, coopéra­tion, etc.); sur le plan intérieur elle joue le rôle de répres­sion et d’intimidation de tout mou­ve­ment pop­u­laire (brisure de grève, men­ace d’intervention en cas de con­flits sociaux);

— Au niveau économique : elle joue le rôle d’absorption du sur­plus de la pro­duc­tion cap­i­tal­iste ; la vente d’armes est un moyen de péné­tra­tion politico‑économique de pre­mière impor­tance (Espagne, Libye, Afrique du Sud, Brésil, Portugal).

Par­mi les luttes con­tre cette armée (déser­tion, insoumis­sion, luttes à l’intérieur de l’armée); François Mar­quet (Caen), Bernard Péran (Paris), Michel Bar­bi­er et Dominique Val­ton (Nantes) ont choisi l’objection de con­science politique.

Le sous­signé partage cette analyse, sou­tient toutes les luttes se situ­ant dans les mêmes per­spec­tives et demande la recon­nais­sance d’un statut politique.

Sig­na­ture :

Pour toute infor­ma­tion sup­plé­men­taire, s’adresser à Bernard Péran, SOC, 6, impasse Popin­court, Paris (11e)

Compte rendu de la réunion des objecteurs de conscience du 13 juin 1971

La présen­ta­tion du texte de Dominique Val­ton, expli­quant sa posi­tion, a don­né lieu à une con­tro­verse. Cer­tains auraient préféré se bat­tre sur un texte plus pré­cis, et ont pro­posé la recherche d’une base com­mune. Ils n’ont cepen­dant pas nié l’interdépendance des questions.

Les dif­férentes bases pro­posées sont :

1) Élar­gisse­ment du statut à l’objection poli­tique et abo­li­tion de la forclusion ;

2) Inté­gr­er la lutte de Val­ton par­mi les autres luttes antimilitaristes.
L’accord s’est fait sur les posi­tions suivantes :

  1. Grève lim­itée ou illim­itée des objecteurs : Denis Fouch­er, SCI, 129, rue du Faubourg‑Poissonnière, Paris (9e), coor­donne les propo­si­tions en ce sens. Lui écrire ;
  2. Ren­voi des livrets mil­i­taires : écrire à Jean Coulardeau, 49‑­Saint-Lau­ren­t‑des‑Au­tels ;
  3. Let­tre des objecteurs en ser­vice à Debré, expli­quant que s’ils ont le statut, ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas de moti­va­tions poli­tiques, mais tout sim­ple­ment parce qu’ils n’en ont pas par­lé dans leur let­tre. Ils se déclar­ent sol­idaires de Dominique Val­ton et deman­dent le statut pour lui comme pour eux. Ecrire à Chris­t­ian Buteau, 49, rue Plan­chat, Paris (20e).

Il est demandé à tous les CSOC de se mobilis­er en per­ma­nence et de faire de l’information. Denis Fouch­er coor­donne les propo­si­tions générales et demande à cha­cun de lui faire con­naître les dates aux­quelles il est sus­cep­ti­ble de pou­voir par­ticiper à une action.

Une prochaine réu­nion de coor­di­na­tion générale aura lieu le 19 sep­tem­bre près de Paris. D’ici là, Dominique Val­ton va se cacher pour être disponible pour une arresta­tion col­lec­tive éventuelle après la réu­nion de septembre.

Bernard Péran n’a pas obtenu de réponse à sa demande de statut exprimée pour des motifs poli­tiques. Son incor­po­ra­tion a été dif­férée sur ordre du ministre.

François Mar­quet : Statut refusé.

Jean Coulardeau


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