Alors, un jour, nous avons décidé de nous unir les uns aux autres, dit un communautaire. Pourquoi ? Pour vivre mieux, pour vivre davantage, pour vivre maintenant ; parce que c’est moins idiot. Contre l’inquiétude, l’assèchement de la vie et du corps. J’y suis bien, dit un autre, je suis plutôt mal ailleurs, c’est tout.
Ce n’est pas facile. Nous ne sommes pas nés en communauté : nous y apportons nos mots d’avant, nos mutilations, nos envies. Mais nous partageons, peut‑être, cette « extrême exigence de bonheur » qui nous permettra d’aller plus loin. De remettre en question la vie de tous les jours, le militantisme, le travail, l’argent.
La communauté, ce n’est pas se replier sur soi, s’isoler volontairement. Le groupe devrait y acquérir plus de force, y mettre à l’épreuve sa cohérence ; y faire la « démonstration concrète de l’authenticité du combat qu’il mène et de la possibilité de construire une société radicalement nouvelle ». C’est parfois vivre le socialisme libertaire, avec tous les déchirements que cela comporte lorsqu’on est inséré dans le monde, lorsqu’on veut agir avec les autres, lorsqu’on veut abolir les séparations.
Ce qu’on peut faire maintenant, c’est pas grand‑chose, et c’est peut‑être tout. C’est modifier radicalement les rapports de travail, et les rapports de l’homme à la matière, redonner sens au travail créateur et à l’étude non rentable ; cela surtout pour les communautés qui veulent vivre en autarcie sans vendre leur force de travail, mais aussi pour les autres. C’est aussi modifier les besoins : on a généralement peu d’argent, on échange les biens entre communautaires, on récupère les objets jetés à la poubelle, on donne et on reçoit.
C’est surtout inventer de nouvelles relations personnelles, l’amour et l’affection indissociés, la structure familiale détruite et retrouvée. Agnès dit : « Si l’on veut établir des relations d’amour à l’intérieur d’une communauté, comment peut‑on mettre les différentes manifestations de l’amour dans de petites cases séparées ? Comment peut‑on mettre à part les relations sexuelles ? C’est une relation unique et globale qu’on a avec les gens. Elle peut devenir sexuelle comme elle peut ne jamais le devenir. »
Toutes ces choses qu’écrit Gougaud, qu’il a recueillies auprès de plusieurs communautés à travers le monde, c’est bien, parce que ça nous concerne, parce que nous nous y retrouvons, parce que ça pose un tas de problèmes que nous nous posons et que nous vivons, en communauté ou pas. Il ne résout rien, ce bouquin, il nous parle : il faut le lire.
Parce que les problèmes subsistent, ils nous harcèlent. Que choisir, nous ou les autres. Comment vivre et ne plus survivre. Comment apprendre la liberté, la transparence. Il y a toujours des écueils. Neuf fois sur dix ça craque, toujours douloureusement, parfois pour recommencer mieux. On ne sait pas si c’est ça, la révolution.
« Les marxistes nous ennuient, les anarchistes nous font sourire, car ce n’est pas nous qui saurons bâtir le nouveau monde, mais les hommes nouveaux que nous deviendrons peut‑être un jour. »
Deux communautaires.
Henri Gougaud : Nous voulons vivre en communauté, éd. Belibaste, 5, rue des Boulangers, Paris (5e), 1971, 121 p., 18 F.
Courrier
Je vois l’utilité des communautés comme ceci : il faut attaquer le système de l’intérieur et de l’extérieur. La communauté, qui tend à devenir un « territoire libéré » économiquement, attaque de l’extérieur. Elle agit aussi en déconditionnant les membres, en les libérant de leur éducation, de leurs préjugés, etc. Enfin, elle peut être une base d’action vers l’extérieur.
Mais la réalité a été différente en ce qui me concerne. Voici ce qui a été fait chez nous :
Une des fautes majeures, à mon avis, a été un manque de préparation, de planification avant le début. Par exemple, on aurait pu se poser des questions du genre : quels sont nos besoins ? nos ressources ? nos buts ? nos moyens d’action ? Cela n’a pas été fait, ou si cela a été fait, ça a été oublié en route. Les conséquences de ce manque de préparation ont été d’abord des difficultés économiques (on ne s’improvise pas paysans sans quelques ennuis) qui se résolvent progressivement, puis des divergences de vues entre les membres. Ceux-ci, en effet, ne se connaissaient pas avant de venir à la communauté, qui s’est formée par arrivées successives se greffant sur un noyau initial de deux ou trois personnes. Il en résultait des différences théoriques sur beaucoup de points : violence ou non‑violence, alimentation végétarienne ou non, action militante ou non, etc. Un des points majeurs était le problème sexuel : liberté « obligatoire » ou liberté tout court ; extinction du couple ou élargissement ? Cela était aggravé par la disproportion : une dizaine d’hommes et deux ou trois femmes, disproportion provenant du mode de recrutement.
Bien sûr, il y avait en plus les problèmes communs à toutes ces tentatives : manque de maturité (certains prenaient les responsabilités à cause du manque d’initiative des autres); tendances autoritaires voilées ; tensions de la vie en vase clos ; sectarisme de quelques‑uns : hors de la communauté point de salut, ce qui entraînait, dans les remises en question communes, trop d’agressivité, le crime suprême étant la conduite anticommunautaire ; avec les flics et les voisins, relations parfois extrêmement tendues, ce qui est normal, mais aurait pu être arrangé avec des attitudes moins provocatrices.
L’action militante a été assez faible : tirage de quelques tracts ; grève de la faim dans une église, piteusement avortée au moment du procès de Burgos. Pourtant, de bonnes relations avec les groupes anars locaux. Il me semble que, là, le danger était de se replier sur soi-même et de se contempler le nombril. Il n’a pas toujours été évité.
Voilà. J’ai essayé d’être concret sans trop révéler la « cuisine » intérieure. J’ai peut‑être encore quelques déceptions ou rancœurs personnelles, mais j’ai essayé d’être objectif. La communauté continue donc, après le départ de six personnes. Quatre ont fondé une autre communauté. Les deux autres sont parties chacune de son côté, tout en gardant l’idée de communauté en tête. En ce qui me concerne, je remets la tentative à plus tard, et avec beaucoup plus de maturité de ma part.
P. B.
Communauté de travail en Bretagne
- Il existe un problème breton.
- Il peut s’énoncer en deux phrases :
- Les jeunes Bretons en ont assez de devoir s’expatrier pour trouver du travail.
- Le fait culturel breton revêt une importance considérable, ouvrant sur des perspectives qui dépassent de beaucoup le folklore touristique.
- La Bretagne est en état de crise ; des réactions justifiées mais aux formes regrettables peuvent se produire ou se reproduire : il y a là matière à réflexion et action pour tous ceux et celles qui recherchent dans un esprit de non‑violence (cf. n° 1, « Économie, société et non‑violence »).
- À propos de la Bretagne, s’affrontent déjà les tenants d’un pouvoir fort, étatique et centralisé (jacobins de diverses tendances) et les tenants d’une autonomie pure et simple (selon les uns) dans le cadre d’un mouvement fédéraliste européen (selon les autres).
- Et que dire de cette phrase de Morvan Lebesque : « Être breton signifie, bien au‑delà, servir de son mieux son temps et les hommes. Car cette conscience devient pour beaucoup d’entre nous engagement politique et, logiquement, engagement à gauche » ?
- Le problème breton est donc d’ordre politique ; à ce titre, il implique des réflexions et des choix sur des notions aussi importantes que l’autonomie, le fédéralisme, le droit à l’existence des minorités.
Durant l’année 1971, un groupe s’est constitué et projette de se retrouver en Bretagne en septembre, pour un mois, afin de participer au travail des habitants d’un village.
Septembre est le mois du ramassage des pommes de terre ; ce sera là la base concrète de notre vie commune.
Si vous désirez participer à la fois à ce travail des champs et à une étude locale des problèmes bretons, vous pouvez nous écrire afin de recevoir plus de renseignements.
Groupe Étude Bretagne
Maison communautaire
145, rue Raymond‑Losserand
Paris (14e)