La Presse Anarchiste

L’Espagne révolutionnaire

[[Le sous titre ne figure pas dans l’ar­ticle original]]

Si les points cités pré­cé­dem­ment sont impor­tants par­mi les fac­teurs qui per­mettent une meilleure com­pré­hen­sion des expé­riences col­lec­ti­vistes de 1936, l’apport capi­tal sera sans conteste l’entrée dans l’histoire du mou­ve­ment ouvrier espa­gnol des idées de la Ire Inter­na­tio­nale ou plu­tôt de la part liber­taire de l’Internationale : la pen­sée de Bakou­nine. Marx ne croyait pas à la pos­si­bi­li­té d’une révo­lu­tion socia­liste à brève échéance en Espagne (voir ce qu’il en écri­vait peu avant). Cepen­dant, les quatre pre­mières années, le Conseil géné­ral de l’AIT, à Londres, s’occupera huit fois de l’Espagne, et des rela­tions étaient déjà éta­blies entre l’Espagne et l’AIT :

— Sep­tembre 1865 : confé­rence de la Ire Inter­na­tio­nale à Londres. Plans incluant l’Espagne, men­tion­nés dans « El Obre­ro », Bar­ce­lone, nov. 1866.

— Décembre 1865 : « L’Association », Paris, annonce un congrès ouvrier à Barcelone.

— Sep­tembre 1866 : Mol­lard de Bare est au Conseil géné­ral à Londres.

— Sep­tembre 1868 : La Ligue sociale répu­bli­caine de Bar­ce­lone envoie un repré­sen­tant au Congrès de Londres.

Si l’on en croit la tra­di­tion, c’est l’Italien Giu­seppe Fanel­li qui se fait le porte‑parole de Bakou­nine en débar­quant à Bar­ce­lone en 1868, car Bakou­nine ne met­tra jamais les pieds en Espagne. Cepen­dant, Casi­mi­ro Mar­ti montre que Fanel­li n’a pas eu l’importance qu’on lui prête. Des contacts ont eu lieu avant. Pour­tant, furent tou­chés dès ce moment Fer­nan­do Gar­ri­do, le coopé­ra­teur (qui avait déjà ren­con­tré Bakou­nine en 1864), un groupe de fédé­ra­listes, puis Ansel­mo Loren­zo qui devien­dra célèbre dans le mou­ve­ment anar­chiste ; Gon­za­lez Mora­go aus­si, consi­dé­ré comme le pre­mier anar­chiste espa­gnol. En par­tant, Fanel­li lais­sait les sta­tuts de l’Alliance de la démo­cra­tie sociale et des textes de Bakounine.

En 1869, Far­ga Pel­li­cer et Gas­par Sen­ti­non ren­contrent Bakou­nine au congrès de l’Internationale à Bâle et confrontent leurs idées avec son pro­gramme : la socié­té éga­li­taire, le col­lec­ti­visme, la sup­pres­sion de l’héritage, l’abstentionnisme poli­tique, l’idée révo­lu­tion­naire à outrance. Très rapi­de­ment, l’enthousiasme sou­le­va des mil­liers d’adeptes avec pour pro­jet : « l’anarchisme en poli­tique, le col­lec­ti­visme en éco­no­mie, l’athéisme en religion. »

Dès 1870, un congrès de l’Alliance était convo­qué à Bar­ce­lone. Il com­pre­nait « 90 délé­gués, repré­sen­tant 150 socié­tés pro­ve­nant de 36 loca­li­tés », soit 40 000 tra­vailleurs man­da­tés. De ce congrès sor­tit la Fédé­ra­tion régio­nale espa­gnole de l’Internationale qui s’inspira direc­te­ment de textes rédi­gés par Bakou­nine. Dans le dis­cours d’ouverture, Far­ga Pel­li­cer décla­rait : « Nous sou­hai­tons voir finir le règne du capi­tal, de l’État et de l’Église ; et sur leurs ruines, nous vou­lons construire l’anarchie, libre fédé­ra­tion d’associations libres grou­pant des tra­vailleurs libres. »

En 1872 au Congrès de Cor­doue (25 déc. [18]72‑2 janv. [18]73) furent approu­vées les déci­sions du congrès de Saint‑Imier (15 sept. 1872) qui mar­quait la rup­ture défi­ni­tive entre mar­xistes et anar­chistes. Là seront adop­tées les bases fon­da­men­tales de l’anarchisme :

« La des­truc­tion de tout pou­voir poli­tique est le pre­mier devoir du pro­lé­ta­riat, toute orga­ni­sa­tion d’un pou­voir poli­tique dit pro­vi­soire et révo­lu­tion­naire ne peut être qu’une dupe­rie et serait tout aus­si dan­ge­reuse pour le pro­lé­ta­riat que le pou­voir poli­tique actuel. »

Était mise sur pied l’organisation type de l’anarchisme espa­gnol avec une fédé­ra­tion for­mée de sec­tions locales et pro­fes­sion­nelles sou­ve­rai­ne­ment indé­pen­dantes, libre à tout moment de quit­ter la Fédé­ra­tion : le conseil fédé­ral cen­tra­li­sé deve­nait bureau de la cor­res­pon­dance et de la sta­tis­tique, sans aucune autorité.

En 1872, le pro­gramme de l’Alliance était publié dans « la Federación » :

  1. L’Alliance sou­haite en pre­mier lieu l’abolition com­plète des dif­fé­rentes classes de la socié­té, puis l’égalité éco­no­mique et sociale de toutes les per­sonnes des deux sexes. A cette fin, elle réclame la sup­pres­sion de la pro­prié­té pri­vée et du droit d’héritage…
  2. Elle sou­haite l’égalité pour les enfants des deux sexes (édu­ca­tion, ali­men­ta­tion, pro­mo­tion sociale…).
  3. Hos­tile à tout des­po­tisme, elle rejette l’État sous toutes ses formes et condamne toute action révo­lu­tion­naire dont le but immé­diat n’est pas le triomphe de la cause des tra­vailleurs sur le capi­tal ; elle sou­haite en effet que tous les États poli­tiques et auto­ri­taires actuel­le­ment exis­tants ne servent plus qu’à assu­rer le fonc­tion­ne­ment des ser­vices publics.
  4. Elle refuse de par­ti­ci­per à toute action fon­dée sur un pré­ten­du patrio­tisme et sur la riva­li­té entre nations.
  5. Elle se déclare athée, sou­haite l’abolition de tous les cultes, le rem­pla­ce­ment de la foi par la science et de la jus­tice divine par la jus­tice humaine.

1873. Après cinq ans de crise monar­chique, pro­cla­ma­tion de la Répu­blique qui dure­ra moins d’un an. Pi y Mar­gall, chef du par­ti fédé­ra­liste, élu président.

Sou­lè­ve­ment can­to­na­liste auquel par­ti­cipent les anarchistes.

Le coup d’État mili­taire de jan­vier 1874, annon­çant une res­tau­ra­tion de la monar­chie, va plon­ger dans la clan­des­ti­ni­té les orga­ni­sa­tions ouvrières. Les jour­naux liber­taires sont inter­dits, les mili­tants dépor­tés, incar­cé­rés ou exé­cu­tés. Pen­dant sept ans, ce sera la per­sé­cu­tion. Elle pro­vo­que­ra un dur­cis­se­ment des mili­tants qui vont alors avoir recours à la vio­lence sys­té­ma­tique et aux assas­si­nats. Le congrès clan­des­tin (tenu en juin 1874) de la Fédé­ra­tion régio­nale espa­gnole recon­naî­tra « comme un devoir l’exercice des repré­sailles ». Dans un mani­feste aux tra­vailleurs il décla­rait : « Dès ce jour, et jusqu’à ce que nos droits soient recon­nus, ou que la Révo­lu­tion sociale ait triom­phé, tout exploi­teur, tout oisif vivant de la rente, tout capi­ta­liste para­site et jouis­seur qui, confiant dans l’impunité que lui pro­met l’État, aura com­mis envers nous une offense grave ou aura vio­lé nos droits, tom­be­ra sous les coups d’un bras invi­sible, et ses pro­prié­tés seront livrées au feu, afin que notre jus­tice ne s’accomplisse pas au pro­fit des héri­tiers légaux. »

1876. Mort de Bakou­nine. Celui‑ci exerça‑t‑il, comme le laisse entendre Casi­mi­ro Mar­ti, une sorte de dic­ta­ture morale ? Mar­ti attri­bue au carac­tère même du bakou­ni­nisme les ten­dances auto­ri­taires ulté­rieures de l’anarchisme espa­gnol ; ten­dances qui tien­dront lieu de mar­xisme, le « rem­pla­ce­ront » jusques et y com­pris dans la nuance conseilliste.

En 1878, paraît le der­nier numé­ro du bul­le­tin de la Fédé­ra­tion juras­sienne. Nais­sance du « Révol­té » de Kro­pot­kine. Une nou­velle théo­rie : le com­mu­nisme anarchiste.

1879. Fon­da­tion du Par­ti socialiste.

1881, en février, une confé­rence extra­or­di­naire marque la fin de la FRE. 

Retour au pou­voir du libé­ral Sagas­ta qui octroie à nou­veau le droit d’association et de réunion qui per­met­tra une relance de l’Internationale sous le nom de Fédé­ra­tion des tra­vailleurs de la Région espa­gnole. Voi­ci un pas­sage du mani­feste de la nou­velle Fédé­ra­tion : « Notre orga­ni­sa­tion, pure­ment éco­no­mique, est dis­tincte et oppo­sée à celle de tous les par­tis poli­tiques bour­geois et ouvriers qui sont orga­ni­sés en vue de la conquête du pou­voir poli­tique tan­dis que nous nous orga­ni­sons pour que les États poli­tiques et juri­diques actuel­le­ment exis­tants soient réduits à des fonc­tions sim­ple­ment éco­no­miques, en éta­blis­sant à leur place une libre fédé­ra­tion de libres asso­cia­tions de pro­duc­teurs libres. On com­prend donc que nous soyons les adver­saires de toute poli­tique par­le­men­taire et les cham­pions déci­dés de la lutte éco­no­mique, de la poli­tique des­truc­trice de tous les pri­vi­lèges et de tous les mono­poles dus à l’injuste orga­ni­sa­tion de la socié­té actuelle. »

Deux ten­dances s’opposent. César Loren­zo les défi­nit ain­si : d’un côté « les vieux mili­tants de for­ma­tion bakou­ni­nienne et les nou­veaux venus séduits par le com­mu­nisme anar­chiste de Kro­pot­kine et de Mala­tes­ta. [[« Le com­mu­nisme anar­chiste fit son appa­ri­tion dès la mort de Bakou­nine en juillet 1876. Il fut conçu par les Ita­liens qui l’adoptèrent au congrès de Flo­rence d’octobre 1876 et le pro­pa­gèrent dans toute l’Europe. Pierre Kro­pot­kine sys­té­ma­ti­sa par la suite cette nou­velle doc­trine tout en condam­nant le ter­ro­risme prô­né par cer­tains exal­tés ; ses aver­tis­se­ments furent vains cepen­dant : anarcho‑communisme et ter­ro­risme devinrent presque des syno­nymes. Erri­co Mala­tes­ta défen­dit pour sa part les acti­vi­tés insur­rec­tion­nelles, ce que l’on appel­le­ra doré­na­vant la « pro­pa­gande par le fait » alors que cette expres­sion signi­fiait à l’origine la divul­ga­tion des idées révo­lu­tion­naires au moyen de réa­li­sa­tions construc­tives. Au congrès d’Amsterdam, en 1907, Mala­tes­ta s’écriera : « Le syn­di­ca­lisme n’est et ne sera jamais qu’un mou­ve­ment léga­liste et conser­va­teur, sans autre but acces­sible — et encore ! — que l’amélioration des condi­tions de tra­vail. »]] Les pre­miers pré­co­ni­saient le syn­di­ca­lisme, l’action de masse, la grève géné­rale et un cer­tain cen­tra­lisme pour abou­tir à une socié­té socia­liste où seuls les moyens de pro­duc­tion seraient col­lec­ti­vi­sés et où chaque tra­vailleur serait rétri­bué « selon ses œuvres ». Les seconds repous­saient toute orga­ni­sa­tion sous pré­texte de com­battre les moindres germes de bureau­cra­tie, de tem­po­ri­sa­tion avec le capi­tal et de réfor­misme sopo­ri­fique ; ils van­taient le mérite des groupes auto­nomes, de l’initiative révo­lu­tion­naire indi­vi­duelle et du ter­ro­risme pour atteindre sans tran­si­tion une socié­té com­mu­niste inté­grale où n’existerait plus la pro­prié­té pri­vée des biens de consom­ma­tion, où cha­cun pro­dui­rait selon ses forces et consom­me­rait selon ses besoins (sup­pres­sion de la mon­naie, « prise au tas », tra­vail libre dans la joie), où il n’y aurait ni auto­ri­té ni loi puisque les hommes, natu­rel­le­ment bons, auraient réduit à l’impuissance une mino­ri­té de méchants : patrons, ban­quiers, spé­cu­la­teurs, mar­chands, gar­diens de pri­son, mili­taires, poli­ciers, légis­la­teurs, prêtres, gros pro­prié­taires, politiciens.

« Les “col­lec­ti­vistes” ou anarcho‑syndicalistes purs triom­phèrent au congrès de Séville (sep­tembre 1882); ils recom­man­dèrent la pru­dence, la réflexion, décon­seillèrent l’abus des grèves et condam­nèrent les acti­vi­tés insur­rec­tion­nelles ; selon eux, il fal­lait accom­plir un tra­vail pré­pa­ra­toire de longue haleine avant d’entreprendre la Révo­lution sociale, édu­quer les ouvriers, ren­for­cer l’organisation syn­di­cale afin qu’elle puisse rem­pla­cer l’État et les orga­nismes bour­geois de ges­tion. Pour­tant, les “anarcho‑communistes” ou com­mu­nistes liber­taires l’emportèrent vite en Anda­lou­sie, pro­fi­tant de l’ignomi­nieux “com­plot de la Main noire” mon­té de toutes pièces par la police et les élé­ments réac­tion­naires dans le but de déca­pi­ter les orga­ni­sa­tions de pay­sans. Des mil­liers d’ouvriers agri­coles, de parias de la terre, furent incar­cé­rés, tor­tu­rés, dépor­tés, pros­crits ou exé­cu­tés (1881‑1883). Ces mesures répres­sives absurdes ne firent qu’exaspérer le pay­san­nat anda­lou, elles per­mirent le foi­son­ne­ment des comman­dos de repré­sailles et des socié­tés secrètes, chers aux “com­mu­nistes”, qu’elles se pro­po­saient jus­te­ment d’étouffer dans l’œuf. Il était donc tout à fait natu­rel que dans une telle ambiance le syn­di­ca­lisme, qui néces­si­tait un mini­mum de liber­té pour se déve­lop­per, dis­pa­rût dans les régions du Sud ; les “col­lec­ti­vistes” se retran­chèrent alors en Catalogne. »

Cette lutte de ten­dance sera la cause de la dés­in­té­gra­tion de la Fédé­ra­tion, de sa dis­so­lu­tion au congrès de Valence en 1888.

1888. Créa­tion de l’UGT, syn­di­cat socialiste

Vers 1889, les anarcho‑syndicalistes se regrou­paient dis­crè­te­ment dans une petite fédé­ra­tion cata­lane : le Pacte d’union et de soli­da­ri­té des tra­vailleurs de la Région espa­gnole, mais pour dis­pa­raître vers 1896.

1891. Période de ter­ro­risme à Bar­ce­lone : répression.

1892. Des jour­na­liers se sou­lèvent à Jerez de la Fron­te­ra : répression.

1893 sep­tembre. Pal­las tente d’abattre le géné­ral Mar­ti­nez Cam­pos : répression.

1893 novembre. San­tia­go Sal­va­dor lance une bombe : plu­sieurs morts.

1896 juin. Autre bombe dans une pro­ces­sion : des cen­taines d’anarchistes et d’anticléricaux arrê­tés et tor­tu­rés. Scan­dale dans l’opinion publique internationale.

1897 août. Angio­lil­lo assas­sine Cano­vas, pre­mier ministre.

1898. À par­tir de ce moment le ter­ro­risme va être dis­cré­di­té : la grève géné­rale sera pro­cla­mée alors la seule arme révo­lu­tion­naire (L’introduction de l’idée de grève géné­rale en Espagne vient du syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire fran­çais ; elle est intro­duite telle quelle sans cher­cher si elle cor­res­pond réel­le­ment à la situa­tion du moment.) Sur un mou­ve­ment péda­go­gique popu­laire très ancien va se gref­fer un impor­tant cou­rant en faveur de la créa­tion d’écoles ratio­na­listes : « l’école moderne » de Fran­cis­co Fer­rer devien­dra célèbre. Fer­rer décla­rait alors ne plus croire à l’action vio­lente, mais res­ta très lié aux anarchistes.

1900. Nou­velle appa­ri­tion de l’Internationale (ancienne façon): c’est la Fédé­ra­tion des socié­tés ouvrières de la Région espa­gnole, à Madrid, qui, un an après, esti­mait repré­sen­ter 73 000 travailleurs.

1901. La grève géné­rale révo­lu­tion­naire est déclen­chée à Gijon, La Corogne et Séville ; en 1902 à Bar­ce­lone, où la ville est entiè­re­ment para­ly­sée pen­dant 36 heures. L’échec de cette grève se solde par 40 morts. De 1903 à 1905, il y aura des grèves d’inspiration anar­chiste en Andalousie.

Cepen­dant, dès 1902, un regrou­pe­ment de tra­vailleurs, « Soli­da­ri­té ouvrière », essaie de mettre en place une orga­ni­sa­tion syn­di­cale qui, quelque temps après, avec l’alliance de mili­tants socia­listes, va s’élever au rang de cen­trale syn­di­cale neutre, apo­li­tique, pour la défense des inté­rêts maté­riels des tra­vailleurs. Cette cen­trale se démarque net­te­ment de la Fédé­ra­tion régio­nale espa­gnole ; cette der­nière en se sabor­dant en 1905 met­tra en quelque sorte le point final à l’Internationale.

Ces années ver­ront une suite d’événements qui amè­ne­ront les anar­chistes espa­gnols à revoir leur posi­tion par rap­port aux syndicats.

Il n’est pas dit que l’influence du syn­di­ca­lisme fran­çais soit pré­pon­dé­rante, mais on y retrouve des idées des anarcho‑syndicalistes fran­çais comme Pel­lou­tier, mort en 1901. En 1907, le congrès anar­chiste d’Amsterdam, parce qu’il recom­man­de­ra aux mili­tants d’entrer dans les syn­di­cats, est impor­tant pour l’anarchisme. Le fac­teur essen­tiel est sans doute l’émeute de juillet 1909 à Bar­ce­lone, « la semaine tra­gique », pro­vo­quée par la mobi­li­sa­tion des réser­vistes pour la guerre du Maroc, qui se trans­for­ma en insur­rec­tion de la Cata­logne avec pro­cla­ma­tion de la grève géné­rale révo­lu­tion­naire. Plus de cent morts sont comp­tés quand les insur­gés se rendent ; de nom­breux syn­di­ca­listes sont arrê­tés et Fer­rer accu­sé d’être le prin­ci­pal ins­ti­ga­teur des troubles est fusillé en octobre. Un choc psy­cho­lo­gique secoua les tra­vailleurs qui adhé­rèrent alors en masse aux syn­di­cats. Ce fut le cas des ouvriers anar­chistes qui mirent alors les réfor­mistes en mino­ri­té. « Soli­da­ri­té ouvrière », gon­flée de l’apport anar­chiste, s’installait au niveau natio­nal, renouant avec l’anarcho‑syndicalisme mûri, plus dur. La CNT (Confé­dé­ra­tion natio­nale du tra­vail, syn­di­cat anar­chiste, mais pas seule­ment com­po­sée d’anarchistes) était créée le 1er novembre 1910.

En sep­tembre 1911, date de son pre­mier congrès, la CNT compte 30 000 membres, mais, décla­rée hors la loi après une grève géné­rale de pro­tes­ta­tion contre la guerre du Maroc (le pre­mier ministre sera assas­si­né par un anar­chiste), elle se retrouve à 15 000 en 1915 ; pour atteindre 74 000 en 1918, 350 000 à la fin de 1918 et 760 000 fin 1919 : les anar­chistes béné­fi­cient de l’enthousiasme pour la révo­lu­tion russe, encore mal connue. La CNT adhère à l’Internationale syn­di­cale rouge en 1920 ; elle en sor­ti­ra rapi­de­ment après le voyage de ses délé­gués Pes­taña et Leval à Mos­cou en 1921 et l’écrasement des anar­chistes ukrai­niens. À signa­ler aus­si le boom éco­no­mique, consé­quence de la Pre­mière Guerre mon­diale. Le mil­lion de membres atteint en 1921 fera de ce syn­di­cat, sous influence anar­chiste, le pre­mier d’Espagne.

Cette époque sera très agi­tée : l’état de siège, l’état de guerre, la loi mar­tiale, le lock‑out répondent au sabo­tage, au boy­cot­tage, aux atten­tats, à la grève. Les mili­tants sont abat­tus par les tueurs pro­fes­sion­nels ; les syn­di­cats en pos­sèdent éga­le­ment : 700 assas­si­nats poli­tiques sont à signa­ler en Cata­logne de jan­vier 1919 à décembre 1923. C’est le temps des « pis­to­le­ros ». En 1920, les anar­chistes de Sara­gosse attaquent les casernes…

Cepen­dant, quand Pri­mo de Rive­ra pren­dra le pou­voir en 1923, la CNT replon­ge­ra dans la clan­des­ti­ni­té. La dic­ta­ture était la réponse de la bour­geoi­sie aux grèves par­tielles ou géné­rales qui se sont suc­cé­dé de 1911 à 1923 où l’UGT (socia­liste) est sou­vent unie à la CNT. Le même phé­no­mène se pro­dui­ra par­tout où un mou­ve­ment révo­lu­tion­naire met­tra en dan­ger le pou­voir éta­bli : en Ita­lie avec Mus­so­li­ni, au Por­tu­gal avec Sala­zar, en Pologne avec Pil­sud­ski, etc.

1921. Fon­da­tion du Par­ti com­mu­niste espa­gnol. Le mar­xisme ne « pren­dra » pas en Espagne, du moins jusqu’aux années 30, sous une autre forme que dif­fuse, pure­ment nomi­nale. « L’aide russe » modi­fie­ra la situation.

La CNT inter­dite lut­te­ra dif­fi­ci­le­ment. Par contre, l’UGT pro­fi­te­ra de cette période : Lar­go Cabal­le­ro, son secré­taire, col­la­bo­re­ra avec Pri­mo de Rive­ra, il sera dans cette période membre du Conseil d’État.

En juillet 1927, la FAI (Fédé­ra­tion anar­chiste ibé­rique) était créée, d’abord pour lut­ter contre la dic­ta­ture de P. de Rive­ra et par la suite pour s’opposer à la ten­dance réfor­miste de la CNT. La FAI, c’était « l’organisation spé­ci­fique anar­chiste » avec à sa base des groupes auto­nomes. Les faïstes entre­prirent la conquête de la CNT pour en chas­ser les réfor­mistes, les francs‑maçons, les mar­xistes et les mous. En 1930, chute de Pri­mo de Rive­ra. Des élec­tions commu­nales sont alors orga­ni­sées pour tâter le ter­rain, en avril 1931. La CNT jusque‑là anti­élec­to­ra­liste y par­ti­ci­pe­ra (un argu­ment : faire libé­rer 30 000, déte­nus poli­tiques): ce sera le triomphe de la gauche et la chute de la monar­chie. La répu­blique est pro­cla­mée. Aux élec­tions légis­la­tives de juin 1931, répu­bli­cains et socia­listes seront au pouvoir.

À ce moment se tient un congrès de la CNT où triomphent les idées « réfor­mistes ». La FAI s’appliquera à en empê­cher toute appli­ca­tion, ce qui ne se fera pas sans vio­lences. La réplique sera don­née dans le Mani­feste des trente dont voi­ci quelques pas­sages significatifs :

« Aux cama­rades, aux syn­di­ca­listes, à tous.

« L’histoire nous dit que les révo­lu­tions ont tou­jours été faites par les mino­ri­tés auda­cieuses qui ont pous­sé le peuple contre les pou­voirs consti­tués. Mais pour qu’elles fassent la révo­lu­tion, suffit‑il qu’elles se le pro­posent ? Suffit‑il qu’elles le veuillent pour que la des­truc­tion du régime au pou­voir soit un fait ? Nous allons le voir.

« Un beau jour, ces mino­ri­tés, qui comptent par­mi elles quelques élé­ments agres­sifs, pro­fi­tant d’une sur­prise, affrontent la force publique, se mesurent à elle et pro­voquent le fait violent qui peut nous conduire à la révolution.

« Une pré­pa­ra­tion rudi­men­taire, quelques élé­ments de choc pour com­men­cer, et c’en est assez. On se fie, pour le suc­cès de la révo­lution, au cou­rage de quelques indi­vi­dus et à l’intervention problé­matique des foules qui les secon­de­ront quand ils seront des­cen­dus dans la rue.

« Pour vaincre les mas­to­dontes de l’État, nul besoin de rien pré­pa­rer ni de comp­ter sur quoi que ce soit, ni de pen­ser à autre chose qu’à se pré­ci­pi­ter dans la rue.

« Pen­ser que l’État a des moyens de défense for­mi­dables, qu’il est dif­fi­cile de le détruire tant que les res­sorts de son pou­voir, son éco­no­mie, sa jus­tice, son cré­dit moral et éco­no­mique ne seront pas ébran­lés par les mal­ver­sa­tions et les mal­adresses qu’il com­met, l’immoralité et l’incapacité des diri­geants et l’affaiblissement des ins­ti­tu­tions, pen­ser qu’avant cela l’État peut être détruit, c’est perdre son temps, oublier l’histoire et mécon­naître la psy­cho­lo­gie humaine elle‑même. Or on oublie cela, on est en train de l’oublier actuel­le­ment et on finit par oublier jusqu’à la morale révo­lu­tion­naire. On confie tout au hasard, on attend tout de l’imprévu, on croit aux miracles de la Sainte Révo­lu­tion, comme si la révo­lu­tion était une pana­cée, et non un fait dou­lou­reux et cruel que l’homme doit créer au prix de la souf­france de son corps et de la dou­leur de son esprit.

« Ce concept de révo­lu­tion, fils de la plus pure déma­go­gie, patron­né pen­dant des dizaines d’années par les par­tis poli­tiques, qui ont cher­ché et sou­vent réus­si à prendre d’assaut le pou­voir, a, para­doxa­le­ment, des défen­seurs dans nos milieux et il a été réaf­fir­mé par cer­tains groupes de mili­tants. On y verse, sans s’en aper­ce­voir, dans tous les défauts de la déma­go­gie poli­tique ; des défauts qui nous condui­raient, si la révo­lu­tion se fai­sait et triom­phait dans ces condi­tions, à la remettre entre les mains du pre­mier par­ti venu, ou à prendre le pou­voir pour gou­ver­ner nous‑mêmes, comme un quel­conque par­ti politique.

« Pouvons‑nous, devons‑nous adhé­rer, la Confé­dé­ra­tion natio­nale du tra­vail peut‑elle adhé­rer à cette concep­tion catas­tro­phique de la révo­lu­tion, du fait, du geste révolutionnaire ?

« La révo­lu­tion sim­pliste condui­ra au fas­cisme républicain.

« Face à ce concept sim­pliste, clas­sique et quelque peu spé­cial, qui nous condui­rait actuel­le­ment à un fas­cisme répu­bli­cain, nous disons bien un fas­cisme dégui­sé sous le bon­net phry­gien, il en est un autre, le vrai, le seul qui ait un sens ouvert et pra­tique, celui qui peut nous conduire, qui nous condui­ra indé­fec­ti­ble­ment à notre objec­tif final.

« Ce der­nier requiert non seule­ment la pré­pa­ra­tion d’éléments agres­sifs, de moyens de com­bat, mais celle d’éléments moraux : ils sont aujourd’hui les plus forts, les plus des­truc­teurs et les plus vulnérables.

« La révo­lu­tion ne se fie pas à la seule audace des mino­ri­tés — plus ou moins auda­cieuse — elle doit être le mou­ve­ment irré­sis­tible du peuple en masse, de la classe tra­vailleuse qui che­mine vers sa libé­ra­tion défi­ni­tive, des syn­di­cats et de la Confé­dé­ra­tion qui déter­minent le fait, le geste et le moment pro­pice à la révolution.

« Ne pas croire qu’elle est seule­ment ordre et méthode, voi­là certes qui doit entrer pour beau­coup dans sa pré­pa­ra­tion et dans la réa­li­sa­tion même ; mais on doit aus­si lais­ser assez de place à l’initiative indi­vi­duelle, au geste et à l’acte qui incombe à l’individu.

« Face au concept inco­hé­rent et chao­tique des uns se dresse celui des autres, ordon­né, pré­voyant et cohé­rent. Le pre­mier équi­vaut à jouer à la muti­ne­rie, à l’algarade, à la révolution.

« C’est, en réa­li­té, retar­der celle‑ci. La dif­fé­rence est donc consi­dérable. Pour peu qu’on y songe, on remar­que­ra les avan­tages des deux pro­cé­dés. Que cha­cun décide lequel il adoptera.

« Le lec­teur com­pren­dra aisé­ment que nous n’avons pas écrit et signé ce qui pré­cède par fan­tai­sie, pour le plai­sir capri­cieux de voir nos noms au bas d’un écrit à carac­tère public et de nature doctrinale.

« Notre déci­sion est prise : nous avons adop­té une posi­tion que nous esti­mons néces­saire aux inté­rêts de la Confé­dé­ra­tion et qui se rat­tache à la deuxième des concep­tions de la révo­lu­tion expo­sées plus haut.

« Ceux qui nous pro­posent la révo­lu­tion sim­pliste se chan­ge­ront en dictateurs.

« Nous vou­lons une révo­lu­tion née d’un pro­fond sen­ti­ment popu­laire, comme celle qui se forge aujourd’hui et non une révo­lu­tion qui nous serait offerte et que pré­tendent appor­ter quelques indi­vi­du qui, s’ils y arri­vaient, et quel que soit leur nom, se chan­ge­raient en dic­ta­teurs au len­de­main de leur triomphe.

« Mais cela, c’est nous qui le vou­lons et le dési­rons. La majo­ri­té des mili­tants de la Confé­dé­ra­tion le veulent‑ils aus­si ? C’est ce que nous sou­hai­tons élu­ci­der, ce qu’il faut mettre au clair dès que possible.

« La Confé­dé­ra­tion est une orga­ni­sa­tion révo­lu­tion­naire ; elle ne cultive pas l’algarade, la muti­ne­rie, elle n’a pas le culte de la vio­lence pour la vio­lence, de la révo­lu­tion pour la révolution.

« Dans cette convic­tion, nous nous adres­sons à tous les mili­tants. Nous leur rap­pe­lons que l’heure est grave et nous sou­li­gnons la res­pon­sa­bi­li­té que cha­cun va prendre en agis­sant ou en s’abstenant.

« Si, aujourd’hui, demain, après‑demain, on les incite à un mouve­ment révo­lu­tion­naire, qu’ils n’oublient pas qu’ils se doivent à la Confé­dé­ra­tion natio­nale du tra­vail, à une orga­ni­sa­tion qui a le droit de se contrô­ler elle‑même, de veiller sur ses propres mou­ve­ments, d’agir de sa propre ini­tia­tive et de se déci­der par volon­té propre ; que c’est la confé­dé­ra­tion qui, sui­vant ses propres voies, doit dire com­ment, quand et dans quelles cir­cons­tances elle doit agir, qui est dotée d’une per­son­na­li­té et de moyens propres pour faire ce qu’elle a à faire.

« Que tous sentent le carac­tère déci­sif du moment excep­tion­nel que nous vivons. Qu’ils n’oublient pas que l’acte révo­lu­tion­naire peut échouer aus­si bien que mener à la vic­toire, et que dans ce cas on doit tom­ber avec digni­té ; dans la révo­lu­tion, tout acte spo­ra­dique conduit à la réac­tion et au triomphe des démagogies.

« Main­te­nant, que cha­cun adopte l’attitude qu’il estime la meil­leure. Vous connais­sez la nôtre. Fermes dans cette déci­sion, nous la main­tien­drons à tout moment et en tout lieu, même si, ce fai­sant, nous sommes empor­tés par le cou­rant contraire. »

(Extraits du Mani­feste des 30, Bar­ce­lone, août 1931)

Les « tren­tistes » expul­sés de la CNT se retrouvent dans les « syn­di­cats d’opposition ». Dans les années qui suivent, les anar­chistes accen­tue­ront la « gym­nas­tique révo­lu­tion­naire » qui doit conduire à l’instauration du com­mu­nisme liber­taire ; la source d’inspiration essen­tielle sera l’expérience ukrai­nienne ani­mée par Makh­no, Archi­nov, Voline, etc.

Il nous a paru utile de repro­duire ces textes des anar­chistes russes qui ont for­te­ment influen­cé les cama­rades espagnols :

« Des­truc­tion immé­diate de la réac­tion : Pen­dant l’insurrection, nous devons, à la pre­mière occa­sion favo­rable, pro­cé­der à l’expropriation immé­diate de tous les moyens de pro­duc­tion et de tous les pro­duits de consom­ma­tion et rendre le monde ouvrier le maître réel de toute la richesse sociale. En même temps, nous devons détruire tous les restes de l’autorité éta­tiste et de la domi­na­tion de classe […], détruire tous les actes juri­diques de la pro­prié­té pri­vée, tous les enclos, tout droit exclu­sif […], fusiller les chefs mili­taires et poli­ciers les plus en vue […], nous devons être impi­toyables, car la moindre fai­blesse de notre part pour­ra coû­ter dans la suite à la classe ouvrière toute une mer de sang. » (« Notre tac­tique », ano­nyme, « le Réveil », 27‑7‑1921).

« Spon­ta­néi­té révo­lu­tion­naire : La pre­mière période de la révo­lu­tion russe a démon­tré que le peuple lui‑même, sans direc­tion d’un par­ti quel­conque, pro­cède à l’expropriation des terres et des fabriques, et la réa­lise sur une échelle beau­coup plus vaste qu’avec l’aide des décrets gou­ver­ne­men­taux ou avec l’intervention d’un gou­ver­ne­ment « révo­lu­tion­naire»… (« le Réveil », 6‑8‑21)

« Orga­ni­sa­tion de l’économie : Une foule de comi­tés volon­taires ou élus doivent, à notre avis, se créer pour répar­tir tout ce qui a été expro­prié […]. L’échange et la répar­ti­tion équi­tables d’objets néces­saires à la ville et au vil­lage consti­tue­ront la troi­sième par­tie de notre tac­tique créa­trice. » (Ibi­dem)

« Défense de la révo­lu­tion et anti­mi­li­ta­risme : Les bol­ché­vistes ont recru­té leur armée rouge ; nous pro­po­sons l’armement de tout le peuple insur­gé. Il est vrai que par­ti­sans et armée, c’est tou­jours la même chose […]. Seule­ment, l’armée créée par la contrainte veut l’assujettissement com­plet à ceux qui l’ont créée […]. Notre orga­ni­sa­tion de déta­che­ments armés s’unissant libre­ment a pour rôle l’écrasement de la réac­tion sur place. » (« Notre tac­tique », ano­nyme, « le Réveil », 6‑8‑21)

« Emploi limi­té de la vio­lence : Notre vio­lence n’est autre chose que la pra­tique de la résis­tance contre les vio­lents, mais en aucun cas nous n’admettons la vio­lence — sur­tout orga­ni­sée — contre les neutres, les sym­pa­thi­sants au mou­ve­ment révo­lu­tion­naire et parti­culièrement contre les cama­rades aux idées plus avan­cées que les nôtres. » (Ibi­dem)

Quant à l’organisation éco­no­mique nou­velle qui doit suivre la révo­lution, elle est décrite dans de nom­breux livres et bro­chures : « les Syn­di­cats ouvriers et la Révo­lu­tion sociale » de Pierre Bes­nard, tra­duit en 1931, donne les défi­ni­tions sui­vantes : « Indus­trie : Comi­té d’atelier, conseil d’usines, syn­di­cat ouvrier d’industrie, unions locales et régio­nales ; Fédé­ra­tions natio­nales et inter­na­tio­nales d’industrie ; conseil éco­no­mique du tra­vail. Le comi­té sera révo­cable à tout moment par ces assem­blées ou congrès. Agri­cul­ture (fer­miers et métayers): il fau­dra s’efforcer de leur faire com­prendre la néces­si­té de l’exploitation com­mune et col­lec­tive. De cette façon, il ne subsis­tera que deux sortes d’exploitations agri­coles : les exploi­ta­tions col­lec­tives et les exploi­ta­tions arti­sa­nales. La sup­pres­sion de l’héri­tage fera dis­pa­raître la deuxième caté­go­rie com­plè­te­ment au bout d’une géné­ra­tion. Échanges inter­na­tio­naux : Le troc et le paie­ment en mon­naie. L’or ne sera qu’un moyen, qu’un ins­tru­ment d’évaluation et rien d’autre. Échanges natio­naux : Nous connais­sons trop les méfaits de l’argent pour conti­nuer à l’utiliser dans les échanges. La dis­tri­bu­tion se fera sur la pré­sen­ta­tion de la carte de tra­vail ou d’individualité. Les prix seront inva­riables et s’évalueront en ancienne mon­naie ; il n’y aura pas “paie­ment réel”, ce sera un “jeu d’écritures”. Conclu­sion : Qu’on ne vienne pas sur­tout, par impuis­sance ou par paresse, affir­mer encore, comme on l’a fait jusqu’alors, que l’improvisation suf­fi­ra à tout, qu’il est inutile de pré­voir. » Mêmes idées dans « le Com­mu­nisme liber­taire » d’Isaac Puente (1932 ), « le Monde nou­veau » de Pierre Bes­nard (1934), « Orga­nis­mo éco­no­mi­co de la révo­lu­ción » de San­tillan (1936).

En jan­vier 1932, la FAI et des com­mu­nistes de gauche déclenchent l’insurrection dans le Llo­bre­gat. Le com­mu­nisme liber­taire est pro­cla­mé. Tout se ter­mine par la dépor­ta­tion de cen­taines de militants.

En août, un géné­ral fas­ciste tente un coup d’État. La Répu­blique au pou­voir va faire l’essai d’une réforme agraire. Des lois sont adop­tées en sep­tembre 32. « La loi s’appliquait seule­ment à l’Andalousie, l’Estrémadure, trois pro­vinces de Cas­tille (Ciu­dad Real, Tolède et Sala­manque) et la pro­vince d’Albacète. Toutes les terres non exploi­tées ayant plus de vingt hec­tares pou­vaient être expro­priées par l’Instituto de Refor­ma Agra­ria, qui paie­rait une indem­ni­té cal­cu­lée sur la valeur totale du ter­rain selon l’impôt ver­sé. L’État pren­drait les terres en charge et les dis­tri­bue­rait à des pay­sans choi­sis indi­vi­duel­le­ment ou à des coopé­ra­tives pay­sannes. Dans les deux cas, l’État serait le nou­veau pro­prié­taire. » (Hugh Tho­mas, « la Guer­ra civile españo­la », 1960)

Voi­ci com­ment Bre­nan décrit la for­ma­tion de col­lec­ti­vi­tés UGT : « Un employé de la fédé­ra­tion UGT des tra­vailleurs de la terre se ren­dait chez un pro­prié­taire, à la tête d’une impor­tante délé­ga­tion de chô­meurs, et l’invitait à céder une par­tie de ses terres pour la créa­tion d’une pro­prié­té col­lec­tive. Lui‑même en serait membre et en tire­rait des béné­fices. Tous les papiers étaient pré­pa­rés à l’avance : on l’invitait à signer séance tenante. Étant don­né les cir­cons­tances, rares étaient ceux qui avaient le cou­rage de refu­ser. C’est ain­si qu’une cen­taine de fermes col­lec­tives furent créées dans la pro­vince de Ciu­dad Real, et presque autant dans celle de Tolède. On en consti­tua d’autres du côté de Jaen, de Bada­joz et de Valence. Félix Torres ouvrit à Val­de­pe­nas une école où l’on ensei­gnait à conduire les trac­teurs et à tenir un livre de comptes. Mal­gré la fai­blesse des capi­taux et le nombre réduit des pro­prié­tés col­lec­tives capables d’acheter des trac­teurs, la plu­part de ces fermes semblent avoir fonc­tion­né de façon assez satis­fai­sante pour pou­voir sub­sis­ter jusqu’à la fin de la guerre civile. »

De 1932 au 9 mars 1933, 88 121 hec­tares furent dis­tri­bués à 28 195 travailleurs.

En jan­vier 1933, nou­veau sou­lè­ve­ment ins­pi­ré par les liber­taires, en Cata­logne, dans le Levant, en Anda­lou­sie. On pro­clame le com­mu­nisme liber­taire. Les 25 vic­times de Casas Vie­jas pro­voquent l’indignation géné­rale, dis­cré­ditent les socialistes.

Aux légis­la­tives de novembre 1933, les anar­chistes ne sou­tien­dront plus les socia­listes ; ils prê­che­ront l’abstention avec beau­coup de vigueur. Ce sera la déban­dade de la gauche élec­to­rale : la droite triomphe avec quatre fois plus d’élus. Mais les anar­chistes avaient pré­ve­nu que si la droite l’emportait ce serait la révo­lu­tion. Et le 8 décembre 1933, c’est le sou­lè­ve­ment de Sara­gosse, puis de tout l’Aragon, de Bar­ce­lone, Gre­nade, etc. Le com­mu­nisme liber­taire est pro­cla­mé, mais c’est encore l’échec. L’arrivée au pou­voir après les élec­tions de novembre 33, de Gil Robles est mar­quée par l’annulation des décrets sur la réforme agraire (en février et mai 34).

En octobre 1934, dans les Astu­ries, socia­listes, com­mu­nistes et anar­chistes unis déclenchent l’insurrection. « Presque par­tout les moyens de pro­duc­tion furent col­lec­ti­vi­sés, la pro­prié­té abo­lie, la mon­naie sup­pri­mée. » L’opération se solde par plus de 6 000 morts, 40 000 arres­ta­tions. La répres­sion est terrible.

En jan­vier 1936, dis­so­lu­tion des Cor­tès. La CNT par­ti­cipe aux élec­tions de février. C’est le triomphe de la gauche. La réforme agraire est réta­blie. Des occu­pa­tions de terres ont lieu qui seront léga­li­sées par la suite. 750 000 hec­tares envi­ron auraient été répar­tis de février à juillet 36. Des cen­taines de col­lec­ti­vi­tés fonc­tionnent sous l’influence socia­liste. Dès ce moment, les géné­raux Mola, San­jur­jo et Fran­co, envi­sagent avec pré­ci­sion un coup d’État.

Février 36. Fon­da­tion du POUM (Par­ti ouvrier d’unification mar­xiste) qui ras­semble alors des groupes mar­xistes oppo­si­tion­nels ayant d’ailleurs aus­si rom­pu avec Trots­ky. La ter­reur rouge exer­cée par les hommes de Sta­line et la Gué­péou pous­se­ra ces mar­xistes non ortho­doxes à un front com­mun avec la CNT et la FAI.

Le 1er mai 1936, au congrès de la CNT à Sara­gosse, c’est le triomphe des idées faïstes mal­gré les échecs répé­tés des insur­rec­tions. Les syn­di­cats d’opposition réin­tègrent la CNT. On éva­lue alors à 1 500 000 le nombre des adhérents. 

La Presse Anarchiste