La Presse Anarchiste

L’autogestion dans une revue libertaire clandestine en Espagne

[(La réflexion sur l’autogestion est plus que jamais d’actualité. Depuis quelque temps, nombre de groupes ou orga­ni­sa­tions ouvrières se sont pen­chés sur ce pro­blème et, dans cer­tains cas, ont même por­té la ges­tion directe de l’entreprise par les tra­vailleurs au nombre des points de leur pro­gramme. Le débat qui est en cours à la CFDT, au PSU, aux Centres d’initiative com­mu­niste, voire dans des orga­ni­sa­tions réfor­mistes telles que le Par­ti socia­liste, a donc lar­ge­ment dépas­sé le cadre res­treint des mino­ri­tés ultra-gauche mal­gré les ambi­guï­tés que peut recou­vrir le terme d’autogestion. De la dis­cus­sion naî­tra une plus juste intel­li­gence des pro­blèmes posés actuel­le­ment par la ges­tion directe, compte tenu des expé­riences révo­lu­tion­naires passées.

À la suite du tra­vail sur les col­lec­ti­vi­tés espa­gnoles que nous pré­sen­tons dans ce numé­ro, nous avons choi­si de repro­duire un texte éma­nant de cama­rades espa­gnols qui publient la revue clan­des­tine « Tri­bu­na liber­ta­ria ». Ce texte a été pré­cé­dem­ment publié dans le n°11 de « Soli­da­ri­té ouvrière » (mars 1972), BP 31, 78 ‑Saint-Cyr‑l’Ecole.
)]

Les struc­tures de l’autogestion, contrai­re­ment aux struc­tures capi­ta­listes et socia­listes auto­ri­taires, reposent sur la prise en main de la tota­li­té des méca­nismes sociaux par l’ensemble de la collectivité.

L’autogestion ne peut admettre une divi­sion hié­rar­chique des tâches condui­sant, dans un délai plus ou moins long, à la for­ma­tion d’une caste diri­geante. C’est dans cet esprit qu’est appli­quée la révo­ca­bi­li­té per­ma­nente : il n’y a pas de diri­geants sinon des res­pon­sables dési­gnés par l’ensemble des tra­vailleurs et révo­cables à tout moment. L’autogestion repose donc sur le prin­cipe de la démo­cra­tie directe.

L’autogestion ne doit pas uni­que­ment se réa­li­ser dans le sec­teur éco­no­mique mais englo­ber la tota­li­té des acti­vi­tés de la vie. Si les pro­duc­teurs doivent se regrou­per en conseils ouvriers et pay­sans au niveau de l’entreprise, de l’industrie et du sec­teur éco­no­mique, la popu­la­tion — qui repré­sente l’ensemble des consom­ma­teurs — doit paral­lè­le­ment sub­sti­tuer ses orga­nismes locaux, régio­naux, natio­naux et inter­na­tio­naux aux fonc­tions direc­trices de l’État.

Ce n’est qu’ainsi que peuvent être liqui­dées les super­struc­tures capi­ta­listes ou bureau­cra­tiques. Le dés­in­té­rêt, l’abandon des pou­voirs de déci­sion, à l’égard des méca­nismes éco­no­miques et sociaux, par les pro­duc­teurs, font le jeu au pre­mier chef de la classe diri­geante actuelle ou à venir.

L’actuelle ten­dance de l’accroissement des dif­fé­rences entre les salaires, tant en régime capi­ta­liste qu’en régime socia­liste auto­ri­taire, doit être ren­ver­sée afin de ne pas per­pé­tuer ou créer des inéga­li­tés sociales et évi­ter qu’une classe ou un sec­teur de la popu­la­tion ne s’approprie une part déme­su­rée de l’ensemble des biens. Seule la dis­pa­ri­tion des classes pri­vi­lé­giées peut nous conduire à la dis­pa­ri­tion effec­tive des classes sociales et être la voie vers une socié­té com­mu­niste liber­taire. Le déve­lop­pe­ment des tech­niques (cyber­né­tique et auto­ma­ti­sa­tion) nous per­met actuel­le­ment d’entrevoir la mise en pra­tique de l’autogestion.

Collectivisation sans étatisation

Cette auto­ges­tion et la pla­ni­fi­ca­tion fédé­ra­liste cor­res­pon­dante exigent la sup­pres­sion de la pro­prié­té pri­vée des moyens de pro­duc­tion, de dis­tri­bu­tion, d’information, etc., et ne doivent pas se réa­li­ser au pro­fit de l’État.

Le pas­sage de la pro­prié­té pri­vée à la pro­prié­té sociale doit s’effectuer direc­te­ment par la prise en main de la ges­tion de l’appareil éco­no­mique par les tra­vailleurs — l’équipement social pas­sant sous le contrôle direct de l’ensemble des producteurs.

Les entre­prises et la terre ne peuvent appar­te­nir à des indi­vi­dus par­ti­cu­liers, à une couche de la popu­la­tion, mais à tous. Elles doivent être pla­cées sous la res­pon­sa­bi­li­té et la ges­tion de la col­lec­ti­vi­té qui y tra­vaille. La col­lec­ti­vi­sa­tion au nom de la socié­té se voit ain­si accom­pa­gnée de la remise de tout l’appareil éco­no­mique aux conseils ouvriers et pay­sans, aux col­lec­ti­vi­tés locales. Le but est de liqui­der le rôle moteur et sti­mu­lant de l’intérêt pri­vé et du pro­fit (même sous forme coopé­ra­ti­viste) et d’y sub­sti­tuer l’émulation socialiste.

Cela sup­pose une édu­ca­tion révo­lu­tion­naire d’un niveau éle­vé et dif­fé­rente de celle pro­di­guée par une socié­té de classes ou par l’État.

Internationalisme

Une telle révo­lu­tion, sous peine d’être asphyxiée, doit repo­ser sur l’internationalisme.

La dis­pa­ri­tion des États natio­naux ne peut s’effectuer, d’une part, que par la créa­tion de ser­vices et d’institutions révo­lu­tion­naires au niveau inter­na­tio­nal et, d’autre part et paral­lè­le­ment, par la décen­tra­li­sa­tion des struc­tures natio­nales en se basant sur les cadres régio­naux et locaux les plus proches de l’individu.

Les tra­vailleurs doivent coor­don­ner leur action par-delà les fron­tières et faire écla­ter les bar­rières poli­tiques et men­tales qui sont de simples consé­quences de l’histoire.

Par-delà les patries mori­bondes, les tra­vailleurs eux-mêmes doivent édi­fier le monde socia­liste. Il n’y a plus de poli­tiques natio­nales conve­nables à l’époque des grandes unions conti­nen­tales et d’une vie planétaire.

La dis­pa­ri­tion d’États natio­naux voi­sins — par exemple pour l’Europe — est un fait posi­tif car leurs popu­la­tions vivent dans un même ensemble géo­gra­phique. Mais cela n’entraîne pas pour autant la fin des inéga­li­tés économiques.

Le plus grand pro­blème de l’humanité est celui de la dis­pa­ri­té extrê­me­ment grande entre le niveau de vie des socié­tés « évo­luées » et celui des masses conti­nen­tales sous-déve­lop­pées. Cela ne pour­ra être réso­lu que par une redis­tri­bu­tion pla­né­taire des biens des peuples ayant « béné­fi­cié » du déve­lop­pe­ment éco­no­mique au pro­fit des peuples qui ont été vic­times de l’exploitation impé­ria­liste et coloniale.

Tout sou­lè­ve­ment popu­laire, en tout point du globe, doit rece­voir la soli­da­ri­té active de tous les tra­vailleurs — et à plus forte rai­son quand un tel sou­lè­ve­ment mène à une alter­na­tive réel­le­ment révolutionnaire.

La révo­lu­tion ne peut être qu’internationaliste, par le ren­fort et l’appui qu’elle reçoit et qu’elle offre.

(In « Tri­bu­na liber­ta­ria », n° 5, jan­vier-février 1972, revue clan­des­tine édi­tée en Espagne.) 

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