La Presse Anarchiste

L’Espagne révolutionnaire

Le 18 juillet, c’est le sou­lè­ve­ment militaire

Le coup d’État mili­taire de juillet 36 va révé­ler l’incapacité du gou­ver­ne­ment répu­bli­cain qui vou­lait main­te­nir l’illusion, démo­cra­tique. Pan­ne­koek, théo­ri­cien du com­mu­nisme de conseils, écri­ra à pro­pos de la révo­lu­tion de 36 : « En temps de crise sociale ou de révo­lu­tion poli­tique, quand le gou­ver­ne­ment s’effondre, le pou­voir tombe entre les mains des masses ouvrières et, pour la classe pos­sé­dante, pour le capi­ta­lisme, un pro­blème se pose : com­ment faire pour le leur arra­cher ? La démo­cra­tie est le moyen, l’instrument appro­prié à cette fin. »

Mais, face à la force mili­taire de droite, c’est le vide éta­tique : Il y eut des hési­ta­tions, des com­pli­ci­tés ; le rap­port réel des forces et des opi­nions était mas­qué par le sys­tème élec­to­ral anti­dé­mo­cra­tique. À noter le déclin du mou­ve­ment libé­ral, le vieillis­se­ment des par­tis de gauche, les jeunes allant plus à droite dans les mou­ve­ments nou­veaux et actifs (CEDA, Pha­lange), la com­pé­tence poli­ti­co-gou­ver­ne­men­tale des hommes au pou­voir est donc faible ; en revanche, les forces popu­laires en armes vont faire échec aux fas­cistes. C’est sur­tout l’action des anar­chistes qui sera effi­cace. Cepen­dant, l’Espagne est divi­sée en deux : les forces fas­cistes se main­tiennent dans les régions céréa­lières et riches aus­si en huile d’olive ; les forces « répu­bli­caines » manquent d’aliments pour nour­rir le grand nombre de réfu­giés, bien qu’elles pos­sèdent en suf­fi­sance fruits et légumes.

C’est la guerre civile, c’est aus­si la révo­lu­tion sociale. Sans nier d’importance de la guerre, c’est sur­tout les réa­li­sa­tions révo­lu­tion­naires qui nous intéressent.

Jusqu’à main­te­nant, cette période a sou­vent été sché­ma­ti­sée ain­si par les his­to­riens : ou bien il faut sacri­fier la révo­lu­tion sociale à une lutte poli­ti­co-mili­taire ou que la pre­mière doit se faire à la faveur de la seconde, et à la fois, et ils donnent dans l’action révo­lu­tion­naire la prio­ri­té au mili­taire. Le mili­taire devient moyen, levier et en fait orga­ni­sa­teur de cette action. Si nous avons écar­té ici au maxi­mum tout le phé­no­mène guerre ce n’est pas par une sorte de pudeur paci­fiste, mais parce que c’est la ques­tion la plus trai­tée des historiens.

Une connais­sance objec­tive de cette période, sur­tout quant à l’aspect construc­tif, semble encore impos­sible à l’heure actuelle à cause des infor­ma­tions trop frag­men­taires, des témoi­gnages par­tiels et sub­jec­tifs. Une vue d’ensemble se dégage pour­tant, bien que les chiffres don­nés soient sujets à caution :

Il y eut entre 1200 et 1800 col­lec­ti­vi­tés regrou­pant entre 600.000 et 800.000 travailleurs.

Dans l’agriculture, toute la famille fai­sait par­tie de la col­lec­ti­vi­té et cela se tra­dui­sait sou­vent par le salaire fami­lial. La com­mu­nau­té de vie (famille) entre dans la com­mu­nau­té de tra­vail, en fait par­tie. Non dans l’industrie. La dif­fé­rence est non seule­ment dans la forme de salaire, qui est col­lec­tive, mais dans la cohé­sion, la cohé­rence, le degré et la qua­li­té des rap­ports col­lec­tifs. Outre la dimen­sion, plus à l’échelle humaine, des com­munes agri­coles et donc des col­lec­ti­vi­tés qui les consti­tuent ou les com­posent, ces rap­ports per­mettent une ébauche plus com­plète, plus pous­sée de micro-société.

Dans l’industrie, seul le pro­duc­teur était com­pris, on employait plu­tôt le terme de « syn­di­ca­li­sa­tion ». La « syn­di­ca­li­sa­tion » se calque sur la forme de pro­duc­tion et le com­par­ti­men­tage non agri­cole anté­rieurs. Elle ne touche que le sec­teur tra­vail de la vie de cha­cun, donc ne sup­pose pas, sur ce point, une vie com­mune de la cel­lule fami­liale, une expé­rience par­ta­gée, ni une révi­sion de l’organisation des rap­ports humains dans leur ensemble. Il n’y aura pas de col­lec­ti­vi­tés urbaines, et les syn­di­ca­li­sa­tions se répar­ti­ront sur toute une échelle, allant de l’autogestion d’une entre­prise à la socia­li­sa­tion d’une branche d’industrie, selon le sché­ma plus ou moins hori­zon­tal ou pyra­mi­dal qui a pu s’établir, pour des rai­sons d’événements, des dis­po­si­tions et pré­pa­ra­tion des per­sonnes, et aus­si pour des rai­sons tech­no­lo­giques. À noter que dans les cam­pagnes les col­lec­ti­vi­tés ont sou­vent pu démar­rer sous l’impulsion du syn­di­cat local.

Dans cer­tains vil­lages ou petites villes, c’est un comi­té local d’où les par­tis sont exclus qui est élu par l’assemblée des vil­la­geois : il siège et admi­nistre en public. Les liber­taires par­ti­ci­pe­ront aus­si aux muni­cipes divi­sés en sec­tions inté­res­sant les dif­fé­rents aspects de la vie sociale y com­pris la pro­duc­tion. Ain­si, Gra­nol­lers (18.000 habi­tants) avait en marge de son « conseil muni­ci­pal » un conseil d’économie, consti­tué d’un délé­gué par syn­di­cat, qui était coor­don­né avec la municipalité.

Avant d’aller plus loin, disons que les banques, sous contrôle UGT, ne furent pas col­lec­ti­vi­sées (de nom­breux capi­taux filèrent à l’étranger), que les entre­prises étran­gères furent res­pec­tées et que très rapi­de­ment man­quèrent les matières premières.

La Catalogne

Le 20 juillet, le comi­té régio­nal de la CNT a pra­ti­que­ment le pou­voir en main ; la ques­tion de l’instauration du com­mu­nisme liber­taire est donc envi­sa­gée puis repous­sée à plus tard ; des milices sont orga­ni­sées pour libé­rer Sara­gosse. Le Comi­té des milices CNT-UGT) est le pou­voir effec­tif en Cata­logne ; le gou­ver­ne­ment de la Géné­ra­li­té est le pou­voir vir­tuel. Cepen­dant que les syn­di­cats s’emparent des sec­teurs essen­tiels : métal­lur­gie, com­mu­ni­ca­tions, com­merce, ravi­taille­ment, éner­gie (l’eau, le gaz et l’électricité furent dis­tri­bués mal­gré la fuite des cadres et employés étran­gers ; la CNT y avait dans les 7000 adhé­rents et l’UGT la moi­tié), trans­ports (6500 employés, sur 7000, des tram­ways de Bar­ce­lone étaient à la CNT aus­si ils cir­cu­lèrent qua­si­ment au com­plet cinq jours après l’arrêt des com­bats). Dès le 21 juillet, le pre­mier train sous contrôle révo­lu­tion­naire par­tait pour le front char­gé de com­bat­tants ; les admi­nis­tra­teurs et tech­ni­ciens étran­gers pour la plu­part ayant éva­cué la place, le réseau fer­ro­viaire est offi­ciel­le­ment pris en charge par la CNT et l’UGT réunies. Très rapi­de­ment, les mili­tants CNT envi­sagent la réor­ga­ni­sa­tion de l’ensemble des che­mins de fer tant sur le plan tech­nique que finan­cier. Leur but était de coor­don­ner tous les moyens de transport.

En dépit des dif­fi­cul­tés de toutes sortes, entre autres le manque de matières pre­mières, on peut noter des pro­grès très nets dans les entre­prises col­lec­ti­vi­sées. C’est encore plus évident pour celles qui sont liées à l’industrie de guerre : 38 % se per­fec­tion­nèrent. Les options ne sont modi­fiées que dans le sens d’un effort accru sur la pro­duc­tion mili­taire et dans le sens d’une concentration.

Avant la fin août, suite aux décrets de la Géné­ra­li­té, les coopé­ra­tives seront sai­sies, une fédé­ra­tion des coopé­ra­tives sera créée ; les fermes seront sai­sies et les pay­sans for­cés à la syn­di­ca­li­sa­tion. L’argument essen­tiel sera le ravi­taille­ment des villes et du front ; c’est déjà une lutte pour le contrôle des cam­pagnes par la Géné­ra­li­té pour contre­ba­lan­cer la pré­pon­dé­rance de la CNT sur l’industrie.

Le 5 sep­tembre, au congrès régio­nal des pay­sans de la CNT de Cata­logne (400 délé­gués repré­sen­tant 200 syn­di­cats), une motion don­ne­ra carte blanche aux syn­di­cats locaux pour exer­cer leur contrôle sur toute la pro­duc­tion tout en res­pec­tant les petits pro­prié­taires récal­ci­trants ; la col­lec­ti­vi­sa­tion, lorsque c’est pos­sible, devant s’effectuer tota­le­ment et immé­dia­te­ment. Seront col­lec­ti­vi­sés les grandes pro­prié­tés et les biens des fac­tieux ou vacants. L’aide entre col­lec­ti­vi­tés, bien que par­tielle, témoigne aus­si des rela­tions nou­velles qui virent alors le jour.

La fédé­ra­tion natio­nale des Ser­vices sani­taires de la CNT comp­tait 40 000 adhé­rents ; aus­si, très rapi­de­ment, va s’instaurer la méde­cine sociale avec une répar­ti­tion ration­nelle des méde­cins, l’ouverture de cli­niques, d’hôpitaux, etc.; l’avortement est auto­ri­sé. Pour la Cata­logne, méde­cins, infir­miers, den­tistes, sages-femmes, spé­cia­listes, etc. étaient orga­ni­sés dans un même syn­di­cat qui regrou­pait 7000 per­sonnes en 1937. L’œuvre accom­plie paraît avoir été exemplaire.

Des écoles, des biblio­thèques furent créées, pour­sui­vant ain­si la tra­di­tion des écoles ratio­na­listes non gouvernementales.

Le gou­ver­ne­ment cen­tral, quand il le peut, sabote déli­bé­ré­ment ces ini­tia­tives pour prou­ver l’échec et impo­ser son contrôle ; les com­mu­nistes, bien que mino­ri­taires, sont influents par la pos­si­bi­li­té qu’ils ont de dis­pen­ser l’aide russe, mon­naie d’échange pour leurs exi­gences. Ils appuie­ront les petits pro­prié­taires contre les col­lec­ti­vi­tés. En jan­vier 37, au deuxième congrès pay­san, l’opposition des petits pro­prié­taires (UGT-PC) est déjà plus forte ; par ailleurs, en février, est dénon­cée l’insuffisance ou le manque de cré­dits aux col­lec­ti­vi­tés. D’autres fois, les pro­duits livrés par les col­lec­ti­vi­tés ne sont pas payés d’où dif­fi­cul­tés. En mai, on comp­tait 400 col­lec­ti­vi­tés et 900 syn­di­cats. L’argent fut sup­pri­mé en de nom­breux endroits, rem­pla­cé par un car­net où étaient notés les biens consom­més. Ailleurs, sur­tout dans les col­lec­ti­vi­tés agri­coles, était créé le salaire familial.

Rubi (d’après Leval)

« Cette petite ville cata­lane comp­tait, en juillet 1936, 10 000 habi­tants. 50 % des tra­vailleurs étaient employés dans les acti­vi­tés diverses, dont la plus impor­tante était l’industrie tex­tile. Seule orga­ni­sa­tion syn­di­cale y ayant pris pied : la CNT dont les syn­di­cats comp­taient, en temps nor­mal, de 1500 à 2000 adhé­rents. Mais aux acti­vi­tés de lutte de classes et d’action directe propres à cette orga­ni­sa­tion de com­bat — que com­plé­tait une force liber­taire orga­ni­sée dans la FAI — s’ajoutait un esprit réa­li­sa­teur et une œuvre un peu trop igno­rée, comme il est arri­vé presque tou­jours. Depuis 1893, on trou­vait à Rubi orga­ni­sée par nos cama­rades, une coopé­ra­tive comp­tant en moyenne quatre cents adhé­rents, dont le nombre dou­bla pen­dant la révo­lu­tion. D’autre part, les membres de la CNT avaient, depuis 1920, ache­té un ter­rain afin d’y construire une école ratio­na­liste, qui devait conti­nuer l’œuvre de Fran­cis­co Fer­rer. Dans ce but, chaque adhé­rent payait au mini­mum dix cen­times par mois, et au moment où écla­ta la guerre civile, deux écoles, et non une, étaient ouvertes et fonctionnaient […].

« Ajou­tons, pour que l’on sai­sisse plus com­plè­te­ment l’esprit pon­dé­ré de nos cama­rades, que depuis la fin du siècle der­nier, une par­tie d’entre eux adhé­raient dans un but pro­sé­ly­tiste au Centre répu­bli­cain, ce qui indi­quait un esprit de tolé­rance dont on ne pou­vait qu’augurer des résul­tats positifs.

« Autour de Rubi, l’agriculture était assez impor­tante. La grande pro­prié­té, moins déve­lop­pée en ses pro­por­tions que dans d’autres régions d’Espagne, y domi­nait, exploi­tée géné­ra­le­ment par les pos­sé­dants qui, en outre, affer­maient une par­tie de leur terre au quart, au tiers et à la moi­tié des récoltes. Cette âpre­té trou­vait sa confir­ma­tion dans un trait qui rap­pe­lait, mais aggra­vé, ce que nous avons rap­por­té dans notre cha­pitre sur Graus, en Ara­gon : l’eau potable que l’on consom­mait à Rubi sur­gis­sait dans les terres d’un des pro­prié­taires, qui la fai­sait payer […].

« Afin d’assurer la nour­ri­ture, on s’occupa d’abord de l’aliment de base. Il y avait à Rubi, de dix à douze bou­lan­ge­ries dont dépen­dait la four­ni­ture du pain. La CNT déci­da de s’en char­ger, et concen­tra la pro­duc­tion tout entière dans ses locaux où la majo­ri­té des patrons et tous les ouvriers acce­ptèrent de tra­vailler avec une conscience pro­fes­sion­nelle qui ne connut pas de failles.

« Puis vint le tour des moyens de trans­port. Sur l’initiative du syn­di­cat fut consti­tuée une col­lec­ti­vi­té pro­fes­sion­nelle cor­res­pon­dante. Comme pour la bou­lan­ge­rie, les petits patrons y adhé­rèrent, appor­tant une ving­taine de camions, des auto­bus dont nous igno­rons le nombre, et une quin­zaine de voi­tures auto­mo­biles. L’administration de cette col­lec­ti­vi­té fut éta­blie au siège du syn­di­cat [[Obser­vons que dans ce cas la col­lec­ti­vi­té pro­fes­sion­nelle n’était pas indé­pen­dante du syn­di­cat. Elle en était même une émanation.]].

« À son tour, ou presque simul­ta­né­ment, le bâti­ment s’intégra à la trans­for­ma­tion sociale en cours. Rubi comp­tait une cen­taine de maçons, et envi­ron 150 manœuvres. Comme à Gra­nol­lers, comme à Ali­cante, ces petits entre­pre­neurs adhé­rèrent en appor­tant leurs outils. On éta­blit la liste exacte de ces apports. L’adhérent dont la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle était la plus pous­sée fut nom­mé conseiller tech­nique, char­gé de sur­veiller et de gui­der l’ensemble des tra­vaux sur les divers chan­tiers. Et la comp­ta­bi­li­té fut confiée au spé­cia­liste jugé le plus capable.

« À Bar­ce­lone, l’industrie du bâti­ment était para­ly­sée par le départ des pro­prié­taires, nul­le­ment enclins à faire construire des immeubles, ou à répa­rer ceux en loca­tion, le tout devant leur être enle­vé si la Révo­lu­tion triom­phait. Mais à Rubi on tra­vaillait beau­coup, car ce qu’on fai­sait était immé­dia­te­ment néces­saire à l’ensemble de la popu­la­tion, et la muni­ci­pa­li­té avait les moyens d’en assu­rer le paie­ment. Par exemple, on construi­sit deux ponts pour enjam­ber un large ravin, ce qui était, jusqu’alors, res­té à l’état de rêve inac­ces­sible, mal­gré le besoin qu’on en avait. On construi­sit aus­si, tou­jours sous l’égide de la muni­ci­pa­li­té, un groupe sco­laire assez vaste pour rece­voir des cen­taines d’enfants, et dont, du reste, le gou­ver­ne­ment cata­lan — mais n’oublions pas que l’instruction publique était aux mains des liber­taires — de la Géné­ra­li­té paya une par­tie des frais [[Nous devons recon­naître, hon­nê­te­ment, que le gou­ver­ne­ment de la Géné­ra­li­té aida par­fois, par l’apport de moyens finan­ciers à des entre­prises utiles » tout en regret­tant que trop sou­vent il ait dis­tri­bué de l’argent sans dis­cer­ne­ment, ren­dant sou­vent pos­sible, comme on le ver­ra plus loin, une stag­na­tion qui fut hau­te­ment pré­ju­di­ciable.]]. On élar­git sur une cer­taine lon­gueur la route qui tra­ver­sait la loca­li­té pour rendre plus aisé le pas­sage des auto­bus, on répa­ra de très nom­breuses mai­sons, on construi­sit un canal de 1500 mètres pour ame­ner l’eau aux terres que tra­vaillaient les cama­rades de l’agriculture et, tou­jours pour aider les pay­sans, on remit à neuf des puits depuis long­temps aban­don­nés et com­blés d’où l’on se mit à extraire de l’eau qu’on employa pour l’irrigation des cultures grâce à des moteurs élec­triques spé­cia­le­ment installés.

« Tout ce tra­vail était diri­gé par une com­mis­sion tech­nique de cinq ou six membres nom­més par l’assemblée de la col­lec­ti­vi­té. De ce per­son­nel, seuls étaient payés, en tant que pro­fes­sion­nels, le direc­teur et les deux secrétaires.

« Afin d’être aidée dans ces tâches mul­tiples, la col­lec­ti­vi­té du bâti­ment deman­da, et obtint, que les cama­rades des fabriques prissent part à tous ces tra­vaux deux heures tous les dimanches.

« Comme en tant d’autres endroits, les ébé­nistes et menui­siers consti­tuèrent aus­si leur col­lec­ti­vi­té qui s’installa dans un vaste ate­lier dis­po­sant d’un outillage moderne et offrant des condi­tions d’hygiène jusqu’alors géné­ra­le­ment incon­nues. Jamais, me dit en riant, heu­reux, au sou­ve­nir de cette acti­vi­té féconde celui qui en fut le prin­ci­pal ani­ma­teur, on ne fabri­qua tant de meubles à Rubi.

« La col­lec­ti­vi­té agraire fut consti­tuée avec les fermes expro­priées des grands pro­prié­taires. Cela repré­sen­tait les trois quarts de la terre. Deux cent cin­quante tra­vailleurs de l’agriculture s’incorporèrent à cette vaste éten­due de pro­duc­tion. Les zones orga­ni­sées furent au nombre de six : cha­cune répon­dant à une spé­cia­li­té : culture maraî­chère, syl­vi­cul­ture, vignobles, parc agri­cole, céréales, arbres frui­tiers. La com­mis­sion direc­tive était nom­mée par l’assemblée géné­rale, et à son tour elle nom­mait le délé­gué de chaque section.

« Comme nous l’avons vu, et comme nous le voyons géné­ra­le­ment quand il s’agit de col­lec­ti­vi­tés, l’esprit cor­po­ra­tif avait dis­pa­ru. Tous les tra­vailleurs étaient soli­daires. Ils pas­saient d’une sec­tion à l’autre quand il en était besoin. Et ils admet­taient des mesures qui allaient à l’encontre de leur spé­cia­li­té de pro­duc­tion. Par­mi les ini­tia­tives qui furent prises, sous la pres­sion des néces­si­tés immé­diates, figu­ra l’arrachage de vignes pour semer du blé. Et bien que le ter­rain ne fût pas des plus appro­priés, Rubi serait presque par­ve­nu à récol­ter assez de fro­ment pour ses habi­tants si les dif­fi­cul­tés éco­no­miques qui s’étendaient dans toute la région ne s’étaient réper­cu­tées sur la petite ville.

« Il était bien res­té des “indi­vi­dua­listes” en dehors de ces trans­for­ma­tions révo­lu­tion­naires : mais la majo­ri­té de la popu­la­tion mar­chait avec l’ordre nouveau […].

« La coopé­ra­tive ne se can­ton­na pas dans ses seules pre­mières acti­vi­tés. Nous avons dit que le nombre de ses adhé­rents dou­bla » la part prise à la dis­tri­bu­tion des mar­chan­dises s’étendit en consé­quence, et neuf nou­veaux dépôts ou points de vente furent créés » ce qui n’empêcha pas le petit com­merce de conti­nuer, sous un cer­tain contrôle, comme on s’en doute. Les détaillants étaient sou­te­nus par la sec­tion de ravi­taille­ment du gou­ver­ne­ment catalan. » […]

L’Aragon

Dès le début, des fas­cistes s’emparèrent d’une bonne par­tie de l’Aragon et c’est en pré­sence des milices anar­chistes que s’organisèrent les col­lec­ti­vi­tés soit volon­tai­re­ment soit sous la contrainte : l’économie de guerre pri­mait tout.

À Buja­ra­loz, pro­cla­ma­tion de Dur­ru­ti : « À par­tir de la paru­tion du pré­sent avis, la pro­prié­té pri­vée est abo­lie sur les terres des grands pro­prié­taires », et quant aux milices « les citoyens de Buja­ra­loz leur don­ne­ront un appui enthou­siaste et incon­di­tion­nel sur le plan maté­riel comme sur le plan moral ». (« Soli­da­ri­té ouvrière » , 14 — 8 — 36)

À Fra­ga : « Par eux (les pay­sans), j’appris les détails de ce qui était arri­vé. Ce ne furent pas ceux du vil­lage qui pro­cé­dèrent per­son­nel­le­ment aux exé­cu­tions, mais la colonne Dur­ru­ti à son arri­vée ici. Ils arrê­tèrent tous les sus­pects d’activités réac­tion­naires, les emme­nèrent en camions et les fusillèrent. […] Que fit-on des biens de ces exé­cu­tés ? Les mai­sons, bien sûr, ont été réqui­si­tion­nées par le comi­té, les bou­tiques de comes­tibles et de vin ser­vaient pour ravi­tailler les milices. […] Évi­dem­ment, dans ce vil­lage, la révo­lu­tion agraire n’avait pas été le résul­tat d’une lutte achar­née des pay­sans eux-mêmes, mais bien plu­tôt la consé­quence auto­ma­tique des exé­cu­tions qui n’étaient qu’un inci­dent de la guerre civile. » (« The Spa­nish cock­pit » de Franz Borkenau)

Cepen­dant, les anar­chistes ara­go­nais, avec le libre accord de la majo­ri­té des pay­sans, mirent aus­si leurs idées en pra­tique. L’UGT de son côté réa­li­sa cer­taines expé­riences conti­nuant celles mises en route dès 1934. Au congrès des col­lec­ti­vi­tés de février 37, on note : 500 délé­ga­tions repré­sen­tant entre 80 000 et 100 000 col­lec­ti­vistes et 275 col­lec­ti­vi­tés (vil­lages) grou­pées en 25 fédé­ra­tions can­to­nales. L’expansion est très rapide et par la suite le chiffre glo­bal de 450 col­lec­ti­vi­tés pour 300 000 col­lec­ti­vistes est men­tion­né. Il y eut des col­lec­ti­vi­tés socia­listes, d’autres liber­taires, d’autres mixtes. L’absence de mon­naie, le salaire fami­lial sont généralisés.

La plu­part des col­lec­ti­vi­tés furent détruites par la 11e divi­sion com­mu­niste de Lis­ter, la 27e divi­sion (Karl Marx) et la 30e.

José Sil­va décrit ain­si l’enthousiasme pay­san : « C’est en Ara­gon que se firent les plus dif­fé­rents et les plus curieux essais de col­lec­ti­vi­sa­tion et de socia­li­sa­tion, où cer­tai­ne­ment s’exercèrent le plus de vio­lences pour obli­ger les pay­sans à entrer dans les col­lec­ti­vi­tés et où une poli­tique de toute évi­dence erro­née ouvrit de sérieuses brèches dans l’économie rurale. Quand le Gou­ver­ne­ment de la Répu­blique eut dis­sous le Conseil d’Aragon, le Gou­ver­neur géné­ral vou­lut, en dis­sol­vant les col­lec­ti­vi­tés, don­ner satis­fac­tion au pro­fond malaise res­sen­ti par les masses pay­sannes. Une telle mesure fut une très grave erreur qui pro­dui­sit une ter­rible désor­ga­ni­sa­tion dans les cam­pagnes. Les mécon­tents des col­lec­ti­vi­tés, qui avaient des rai­sons de l’être si on tient compte des méthodes employées pour les consti­tuer, encou­ra­gés par l’attitude du gou­ver­ne­ment, les prirent d’assaut, empor­tant et se par­ta­geant tous les fruits et les outils qu’elles pos­sé­daient sans res­pec­ter les col­lec­ti­vi­tés qui, comme celle de Can­das­mo, avaient été consti­tuées sans vio­lence ni coer­ci­tions, avaient une exis­tence pros­père et étaient un modèle d’organisation. Il est cer­tain que le Gou­ver­neur enten­dait répa­rer les injus­tices qui avaient été com­mises et mettre au cœur des tra­vailleurs des cam­pagnes la convic­tion que la Répu­blique les pro­té­geait. Mais le résul­tat fut com­plè­te­ment oppo­sé. La mesure prise accen­tua encore plus la confu­sion, et les vio­lences s’exercèrent de l’autre côté. La consé­quence fut que tous les tra­vaux des champs furent para­ly­sés et, au moment des semences, le quart de la terre à semer n’était pas pré­pa­ré. » (« La Revo­lu­ción popu­lar en el cam­po » de Bolloten)

Esplus (d’après Leval)

« Pour ses 1100 habi­tants, Esplus dis­po­sait de 11 000 hec­tares de terre, dont 9000 irri­gués. Mais le duc de Luna en acca­pa­rait 5500 et la pro­prié­té du monar­chiste Alva­ra­do, ancien ministre des Finances, qui pre­nait cer­tai­ne­ment mieux soin de ses inté­rêts que de ceux de la nation, s’étendait sur 1100 hec­tares. Un autre pro­prié­taire en pos­sé­dait autant, quelques-uns moins. On en trou­vait d’autres, moins riches mais très à leur aise, qui dis­po­saient de 70 à 100 hec­tares chacun.

« Il ne res­tait pas grand-chose pour les gens du peuple dont la moi­tié étaient exploi­tés par les riches et les très riches en tra­vaillant leurs terres selon un sys­tème dénom­mé « a ter­ra­ja », qui consiste à défri­cher le sol non culti­vé, le pré­pa­rer, le nive­ler, et le faire pro­duire tout en don­nant au pro­prié­taire le quart de ce que l’on obte­nait. Il fal­lait aus­si payer un fer­mage de six pese­tas par hec­tare et par an, et employer obli­ga­toi­re­ment une paire de mulets ache­tés par l’usager pour mettre au point chaque hec­tare embla­vé. Les champs ain­si pré­pa­rés étaient, par la suite, offerts à des “medie­ros” qui don­naient, pour payer le fer­mage, 50 % de la récolte.

« L’histoire de notre mou­ve­ment a été, ici, aus­si acci­den­tée qu’à Bel­ver de Cin­ca et en tant d’autres loca­li­tés. Un syn­di­cat de la CNT consti­tué en 1920 fut fer­mé quatre ans plus tard par la dic­ta­ture du géné­ral Pri­mo de Rive­ra. Il resur­git en 1931, après la pro­cla­ma­tion de la IIe Répu­blique, et comp­tait 170 adhé­rents quand, en 1932, le gou­ver­ne­ment de gauche de Manuel Aza­na, où Lar­go Cabal­le­ro était ministre du tra­vail et pro­fi­tait de son minis­tère pour com­battre la CNT au pro­fit de l’UGT dont il était le per­son­nage le plus émi­nent, fer­ma le syn­di­cat local qui fut recons­ti­tué quand les répu­bli­cains de droite triom­phèrent aux élec­tions » mais la Répu­blique d’Alexandre Leroux fit à son tour comme celle qui l’avait pré­cé­dée. Si bien qu’après le triomphe du « Frente popu­lar », en avril 1936, nos cama­rades se remirent à construire leur syn­di­cat pour la qua­trième fois, mais ils étaient en tout dix-sept au moment de l’attaque fas­ciste. Tant de per­sé­cu­tions avaient décou­ra­gé les tra­vailleurs et les pay­sans pauvres.

« Tou­te­fois, il s’était pro­duit, dis­crè­te­ment, ce que nous avons déjà vu dans d’autres endroits. Nos cama­rades avaient adhé­ré à la sec­tion locale de la gauche répu­bli­caine, afin de se pré­ser­ver contre de nou­velles mesures réac­tion­naires, et de ne pas être, une fois de plus, arra­chés de leurs foyers et envoyés sur les routes, en dépor­ta­tion. C’est pour­quoi, en juillet 1936, le conseil muni­ci­pal d’Esplus se com­po­sait de six liber­taires camou­flés en répu­bli­cains de gauche, et de trois répu­bli­cains de droite, monar­chistes cinq ans aupa­ra­vant, et qui, au fond, l’étaient restés.

« La grève géné­rale déclen­chée contre le coup d’État fran­quiste dura quinze jours. Un comi­té révo­lu­tion­naire fut nom­mé, com­po­sé d’une majo­ri­té répu­bli­caine qui de droite était pas­sée à gauche, et d’une mino­ri­té de nos cama­rades. Mais les deux ten­dances ne pou­vaient s’entendre. Les nou­veaux répu­bli­cains de gauche conti­nuaient de manœu­vrer, et très habi­le­ment fon­daient un syn­di­cat ouvrier réfor­miste, adhé­rent à l’UGT afin de s’en ser­vir pour frei­ner la révolution.

« Ils par­ve­naient à gagner du temps en fai­sant se pro­lon­ger les débats et les dis­cus­sions au sein du comi­té révo­lu­tion­naire » alors, com­pre­nant qu’on ne par­vien­drait jamais à un accord, nos cama­rades consti­tuèrent un comi­té local qui confis­qua les grandes pro­prié­tés et les prit en charge : c’était la seule façon d’empêcher le par­tage des terres que récla­maient les poli­ti­ciens-camé­léons et cer­tains pay­sans ambitieux.

« Tou­te­fois, les conser­va­teurs monar­cho-répu­bli­cains deve­nus ugé­tistes ne lâchaient pas prise, et un jour, pous­sant à l’action quelques mal­heu­reux tra­vailleurs, ils atta­quèrent le comi­té local, ouvrant le feu, et se pro­té­geant avec des femmes et des enfants qu’ils pous­saient devant eux. Nos cama­rades répon­dirent en s’attaquant aux hommes » les conser­va­teurs furent vain­cus, et l’on orga­ni­sa la collectivité.

« Huit mois plus tard, il ne res­tait que deux familles d’individualistes dont les droits étaient res­pec­tés, sui­vant la règle générale.

« Le nou­veau mode d’organisation avait déjà été net­te­ment ima­gi­né par nos cama­rades quand ils pro­pa­geaient clan­des­ti­ne­ment leurs idées sous la Répu­blique, et pré­pa­raient l’organisation d’une com­mu­nau­té agraire, ache­tant d’avance des outils, des machines et des semences.

« Main­te­nant, l’ensemble du tra­vail agraire est assu­mé par dix équipes d’agriculteurs. Prin­ci­paux auxi­liaires : dix paires de mulet par équipe. Quatre équipes sup­plé­men­taires s’occupent des tra­vaux les moins rudes (désher­bage, tri des semences, etc.). Les jeunes filles aident, quand cela est néces­saire. Les femmes mariées, sur­tout celles ayant des enfants, n’y sont pas tenues. Mais dans les cas excep­tion­nel­le­ment urgents, on fait, par le tru­che­ment du crieur public, appel aux volon­taires, et tout le monde accourt. Seules les femmes les plus âgées res­tent chez elles, pour gar­der les enfants. Quant aux vieillards, pas un ne manque. Ils ne conçoivent pas la vie sans travail.

« Il y a 110 hommes au front. L’augmentation des sur­faces culti­vées est donc minime : on a plu­tôt diver­si­fié les cultures » et l’on s’est sur­tout occu­pé d’intensifier l’élevage.

[…]

« Soins médi­caux, pro­duits phar­ma­ceu­tiques, loge­ment, éclai­rage, salon de coif­fure sont assu­rés gra­tui­te­ment. Comme presque par­tout, chaque famille dis­pose d’un lopin de terre où elle cultive des légumes, ou des fleurs, élève quelques lapins ou quelques poules, selon ses pré­fé­rences. Les légumes frais sont aus­si four­nis sans qu’il soit néces­saire de rien débour­ser » mais il faut ache­ter le pain, la viande, le sucre, le savon. Un homme seul touche 25 pese­tas par semaine, un ménage 35, à quoi l’on ajoute 4 pese­tas par enfant au-des­sous de 14 ans, et 13 à par­tir de cet âge.

« Le prix des mar­chan­dises, actuel­le­ment si instable en Espagne répu­bli­caine, à cause des évé­ne­ments qui bou­le­versent tout, n’a pas plus aug­men­té ici que dans la plu­part des vil­lages qui impriment une mon­naie locale. Les bons moné­taires sont garan­tis par la pro­duc­tion. Le méca­nisme de leur cir­cu­la­tion est très simple : dis­tri­bués le same­di après-midi, ils sont, pen­dant la semaine, échan­gés contre des pro­duits au maga­sin com­mu­nal de dis­tri­bu­tion appe­lé coopé­ra­tive qui, le same­di, les remet au comi­té local, lequel leur imprime à nou­veau le même mou­ve­ment circulaire.

« Les per­sonnes inaptes au tra­vail sont payées comme les autres. C’est le cas d’un malade chro­nique ayant quatre enfants en bas âge, d’un infirme et de sa fille, etc.

« Un hôtel est ouvert pour les céli­ba­taires, un autre pour les réfu­giés, assez nom­breux, du ter­ri­toire ara­go­nais occu­pé par les forces de Fran­co. Tous ceux qui sont ain­si sou­te­nus jouissent des mêmes res­sources que les membres actifs de la collectivité.

« Les ouvriers du bâti­ment tra­vaillent avec achar­ne­ment. Ils avaient com­men­cé par appli­quer la jour­née de huit heures, mais les pay­sans firent remar­quer qu’ils en tra­vaillaient douze. Ils s’inclinèrent donc, et ont fait toutes les répa­ra­tions qui appa­rurent néces­saires dans les mai­sons d’Esplus. Un vaste ate­lier de menui­se­rie est en construc­tion. On y ins­tal­le­ra des machines qui per­met­tront de faire des meubles en série pour tous les habi­tants de la loca­li­té et même, pense-t-on, pour ceux des vil­lages des alentours.

« Esplus pra­tique l’échange de pro­duits par l’intermédiaire de Biné­far, chef-lieu de can­ton. Comme c’est un vil­lage natu­rel­le­ment riche, il a livré pour 200 000 pese­tas de mar­chan­dises que le comi­té can­to­nal dis­tri­bue soit pour par­ti­ci­per au ravi­taille­ment des troupes du front, soit pour aider les vil­lages les plus pauvres. » […]

Le Levant

L’assaut des casernes est don­né après déci­sion de la CNT. À la mi-sep­tembre, à Alcoy, 45 000 habi­tants dont 20 000 sala­riés dans l’industrie (17 000 CNT, 3000 UGT), les usines sont sai­sies » 126 entre­prises occu­pant 7000 tra­vailleurs seront syn­di­ca­li­sées dans l’industrie tex­tile. Dans sa des­crip­tion, Leval met l’accent sur l’influence des syn­di­cats d’industrie depuis 1919.

Avec l’aide de l’UGT, la CNT s’empare de l’industrie de la pêche à Ali­cante. À Valence sont col­lec­ti­vi­sés l’Union navale du Levant, les eaux, gaz et élec­tri­ci­té, les hôtel­le­ries, cafés, etc., les trans­ports, des usines métal­lur­giques : 15 col­lec­ti­vi­tés indus­trielles seront léga­li­sées. 70 % de l’industrie sont syn­di­ca­li­sés. On comp­tait 340 col­lec­ti­vi­tés agraires au congrès de la Fédé­ra­tion des pay­sans du Levant en novembre 37 » cinq mois plus tard 500, et 900 à la fin de l’année 38, pour 290 000 foyers et 40 % de la popu­la­tion. À l’origine de chaque col­lec­ti­vi­té, il y a le syn­di­cat local (la CNT du Levant comp­tait 300 000 adhérents).

Les 900 col­lec­ti­vi­tés sont orga­ni­sées en 54 fédé­ra­tions can­to­nales et 5 fédé­ra­tions pro­vin­ciales, « cha­peau­tées » par le comi­té régio­nal de la Fédé­ra­tion du Levant élu direc­te­ment par les délé­gués pay­sans lors des congrès.

Leval indique aus­si que la Fédé­ra­tion levan­tine a été divi­sée éga­le­ment en 26 sec­tions géné­rales selon les spé­cia­li­sa­tions de tra­vail et d’activités qu’il regroupe sous cinq déno­mi­na­tions : agri­cul­ture, indus­tries ali­men­taires, indus­tries non agri­coles, sec­tion com­mer­ciale, san­té publique et enseignement.

Comme par­tout, ou presque, en Espagne, les petits pro­prié­taires ter­riens s’opposaient à la col­lec­ti­vi­sa­tion. Des petites villes sont men­tion­nées comme vivant en com­mu­nisme libertaire.

La CNT et l’UGT réunies vont faire une ten­ta­tive pour pla­ni­fier l’exportation des oranges, et des fruits en géné­ral, en créant des orga­nismes se pro­po­sant la sup­pres­sion des inter­mé­diaires, l’amélioration de la situa­tion des pro­duc­teurs et la mise au point des expé­di­tions, entre autres l’ouverture de nou­veaux mar­chés. Ce sera l’occasion d’une bataille éco­no­mique contre le gou­ver­ne­ment cen­tral et le ministre (com­mu­niste) de l’Agriculture qui va favo­ri­ser un autre orga­nisme réunis­sant les ex-syn­di­cats agri­coles catho­liques et adver­saires du pre­mier. Il en fut de même pour le riz.

Jerica (d’après Leval)

« Là encore, et bien que nul­le­ment réac­tion­naire, la popu­la­tion n’acceptait pas faci­le­ment la col­lec­ti­vi­sa­tion des terres, même de celles expro­priées aux riches fas­cistes, parce que l’esprit col­lec­ti­viste demeu­rait étran­ger à de nom­breux habi­tants. Et de nou­veau il fau­drait savoir dans quelle mesure la crainte du triomphe du fran­quisme ou d’un retour en arrière de la Répu­blique après la vic­toire pesait sur l’attitude de ceux qui, même dans cer­tains vil­lages ara­go­nais, refu­saient de se ral­lier aux solu­tions nouvelles.

« Huit mois après le 19 juillet, la CNT ne comp­tait que 200 adhé­rents, autant du reste que l’Union géné­rale des tra­vailleurs. Avec cette dif­fé­rence maintes fois consta­tée : l’adhésion à l’UGT était très sou­vent dic­tée aux petits pro­prié­taires conser­va­teurs, aux petits com­mer­çants et autres élé­ments nou­vel­le­ment syn­di­qués par le désir de contre­car­rer les entre­prises révo­lu­tion­naires de la CNT, de main­te­nir l’existence d’une socié­té de classes dont cha­cun espé­rait tirer pro­fit aux dépens des autres.

« Tou­te­fois, on com­men­ça par socia­li­ser l’industrie. Puis notre syn­di­cat s’empara de cinq grandes pro­prié­tés qui s’étendaient res­pec­ti­ve­ment sur 70, 80 et trois fois 30 hec­tares. 70 familles de la CNT et 10 de l’UGT s’installèrent dans la pre­mière. Par­tant de là, le nombre des col­lec­ti­vistes allait s’élever très rapidement. »

Soneja

« Le mou­ve­ment liber­taire y était très ancien — sans doute remon­tait-il à l’époque de la Pre­mière Inter­na­tio­nale. En 1921, plu­sieurs de nos cama­rades orga­ni­sèrent une coopé­ra­tive plâ­trière afin de se libé­rer du patro­nat et de réa­li­ser une œuvre construc­tive. Dix ans plus tard, presque tout le plâtre uti­li­sé dans le vil­lage et les envi­rons sor­tait de leur entre­prise qui, en 1936, dis­po­sait d’un capi­tal liquide de 300 000 pese­tas. Un salaire jour­na­lier de 7 pese­tas pour un homme de métier étant, dans ces vil­lages, consi­dé­ré excellent, il s’agissait là, d’une petite fortune.

« Les res­sources dont ils purent dis­po­ser per­mirent à nos cama­rades de construire une petite école dont ils firent pré­sent au syn­di­cat local et qu’ils main­te­naient de leur deniers. Puis ils fon­dèrent une socié­té cultu­relle et une biblio­thèque publique. Grâce à eux, Sone­ja n’avait pas d’enfants illet­trés. Aus­si les consi­dé­rait-on comme les plus idéa­listes de la région, et leur élé­va­tion morale, qui en fai­sait sou­vent les arbitres dans cer­tains litiges, était proverbiale.

« Après le 19 juillet, un nou­veau conseil muni­ci­pal fut élu, où ils consti­tuèrent la majo­ri­té. Comme à Segorbe, l’industrie fut socia­li­sée la pre­mière. Ce n’est qu’en mars sui­vant que le syn­di­cat géné­ral local entre­prit de socia­li­ser ce qu’il pou­vait dans l’agriculture, tou­jours dans les pro­prié­tés aban­don­nées par les fas­cistes, dans les ter­rains délais­sés par manque d’initiative pri­vée ou dans les cas d’incapacité physique.

« On ne par­ve­nait pas à la plé­ni­tude d’autres loca­li­tés. On fit tout de même du bon tra­vail, qui s’améliora par la suite. »

L’Estrémadure, les Asturies

Plus qu’ailleurs manquent les chiffres pour ces deux régions.

L’Andalousie

La par­tie la plus influen­cée par la pro­pa­gande anar­chiste était sous contrôle fas­ciste » 120 col­lec­ti­vi­tés regrou­pant 130 000 tra­vailleurs sont don­nées sur l’autre par­tie pour le début de 1938 et 300 col­lec­ti­vi­tés pour la fin de l’année.

Le Pays basque

C’est le gou­ver­ne­ment local qui contrôle l’économie et les banques.

La Castille

La Cas­tille était sous l’influence socia­liste et gou­ver­ne­men­tale » les idées liber­taires n’y avaient que très peu péné­tré par rap­port à d’autres régions. L’insurrection fran­quiste modi­fia la situa­tion : après la fuite des grands pro­prié­taires ter­riens, des admi­nis­tra­teurs du Front popu­laire sont nom­més qui sont socia­listes répu­bli­cain et com­mu­nistes, mais cette ges­tion par le haut va se révé­ler inef­fi­cace. Avec l’avancée des troupes fran­quistes et le départ du gou­ver­ne­ment pour Valence, l’initiative popu­laire va se réveiller et l’influence liber­taire s’accentuer avec l’intervention des liber­taires madri­lènes qui vont pré­co­ni­ser le sys­tème col­lec­ti­viste à l’exemple de l’Aragon et du Levant.

Gas­ton Leval estime à quelque 300 le nombre des col­lec­ti­vi­tés qui exis­taient en mars 38 dans les deux Cas­tilles (UGT et CNT sou­vent réunies). À noter la fusion des pay­sans CNT (100 000) et des tra­vailleurs de la dis­tri­bu­tion CNT (13 000) dans un seul orga­nisme pour assu­rer une meilleure coor­di­na­tion de fonc­tion com­plé­men­taire. Les col­lec­ti­vi­sa­tions indus­trielles de mars 37 furent plu­tôt contrô­lées par le pouvoir.

Le 20 mai 1939 aura lieu le défi­lé de la vic­toire fran­quiste à Madrid.

La Presse Anarchiste