La Presse Anarchiste

Lettre du Canada

… Vous vous êtes tou­jours inté­res­sé aux Dou­kho­bors, L’en-dehors a sou­vent entre­te­nu ses lec­teurs de cette secte que sa résis­tance au port des armes a ren­due célèbre et qui a tant souf­fert en Rus­sie à cause de son obs­ti­na­tion à tenir tête, sous ce rap­port, aux auto­ri­tés tsa­ristes. Une autre carac­té­ris­tique de cette secte est, le nudisme comme moyen de pro­tes­ta­tion contre les exi­gences de l’au­to­ri­té anglaise. Vous vous sou­ve­nez qu’ils le pra­ti­quèrent en public pour la pre­mière fois en 1903, dans la pro­vince de Sas­kat­che­wan lors­qu’on vou­lut les contraindre à se natu­ra­li­ser, à se recon­naître sujets du roi d’An­gle­terre (votre « ère nou­velle » en par­la lon­gue­ment à cette époque). 

Le nudisme des Dou­kho­bors n’est donc ni un nudisme hygié­nique, ni un nudisme éro­tique, mais un nudisme spi­ri­tuel, un nudisme de défense, un nudisme sym­bo­lique, l’ab­sence de vête­ments signi­fiant éga­li­té. Bien sur les ortho­doxes, dans une Réso­lu­tion adop­tée en octobre der­nier par leurs 24 anciens aient renon­cé à cette cou­tume (tout en décla­rant que le nudisme demeu­rait une par­tie de leur reli­gion), les extré­mistes dou­kho­bors conti­nuent à l’ap­pli­quer quand besoin s’en fait sen­tir. Dans les pri­sons et les péni­ten­ciers du Cana­da se trouvent encore 42 Dou­kho­bors condam­nés à cause de désha­billage en public et une mani­fes­ta­tion qui s’est pro­duite il y a quelque temps, à Sho­reacres, au sud-est de Colom­bie bri­tan­nique, au cœur de la colo­nie Dou­kho­bor, montre que les extré­mistes de la secte — « les Fils de la Liber­té » — n’ont pas renon­cé à employer ce moyen de protestation. 

Exa­mi­nons main­te­nant la réso­lu­tion dont j’ai par­lé plus haut et qui émane de la Com­mu­nion spi­ri­tuelle du Christ — autre­ment dit l’Or­tho­doxie Dou­kho­bor. Selon ce docu­ment, le nudisme n’a « jamais été com­pris comme il doit l’être, c’est-à-dire, comme il l’est aux yeux du peuple, pour une mani­fes­ta­tion de fana­tisme et d’er­reur… Si les Dou­kho­bors ont adop­té le nudisme, c’est comme un moyen natu­rel de défense contre les attaques d’élé­ments sans scru­pules se trou­vant dans l’au­to­ri­té et le public ». Pour eux, le ciel étant un lieu où on ne trouve « ni orphe­lins ni veuves, ni riches ni pauvres, où le mariage n’existe pas, où règne l’é­ga­li­té par­faite et la liber­té en toutes choses », cela explique « le but véri­table et la véri­table signi­fi­ca­tion du nudisme des Dou­kho­bors»… Quoi qu’il en soit, les ortho­doxes ont tenu leur pro­messe de ne pra­ti­quer le nudisme qu’au titre de « revi­vi­fi­ca­tion de l’es­prit du Christ au dedans de nous-mêmes ». 

La ques­tion du nudisme n’oc­cupe pas toute la Réso­lu­tion en ques­tion : elle insiste sur une autre croyance, de pre­mier ordre pour les dou­kho­bors ortho­doxes, celle qui fait des choses maté­rielles le sym­bole du diable et veut que ce soit par une extrême sim­pli­ci­té que l’homme puisse deve­nir l’i­mage de Dieu… « La racine de tous les maux se trouve dans l’ac­cep­ta­tion par le peuple du prin­cipe de la pro­prié­té pri­vée, qui oblige chaque indi­vi­du à acqué­rir (et par suite, à pro­té­ger et à défendre) cha­cun de ses biens. » 

Puisque nous par­lons des Dou­kho­bors, branche de l’a­nar­chisme chré­tien, je tra­duis pour vos lec­teurs un résu­mé dû à HENNACY, que je viens de lire dans une bro­chure inti­tu­lée Toward a moral­ly stron­ger Socie­ty.

« L’a­nar­chisme chré­tien ne cherche pas à impo­ser ses idées à autrui par les armes ou le vote. Le nou­veau sys­tème de Socié­té qu’il pré­co­nise advien­dra len­te­ment et gra­duel­le­ment à mesure que le peuple se ren­dra compte que la voie de l’É­tat et de la poli­tique est erro­née et n’a­bou­tit à rien. Espé­rer un monde pai­sible, sim­ple­ment en jetant par-des­sus bord la poli­tique, sans se sou­cier de déve­lop­per en pre­mier lieu la confiance en soi, la coopé­ra­tion, les com­mu­nau­tés agri­coles fédé­rées, c’est appe­ler le chaos… L’a­nar­chiste chré­tien ne perd pas son temps à démon­trer com­ment peut fonc­tion­ner une socié­té poli­tique avec un mini­mum de vio­lence. L’É­tat signi­fie tou­jours vio­lence des tri­bu­naux, des pri­sons, des armées, de la police. Dis­si­mu­ler leur bru­ta­li­té est éloi­gner l’a­vè­ne­ment de l’é­poque où cette bru­ta­li­té sera rem­pla­cée par une socié­té non-vio­lente.. Anar­chisme chré­tien équi­vaut à per­fec­tion­nisme opti­miste et c’est le mode de vie le plus réa­liste et le plus pra­tique qui soit… Ses prin­cipes peuvent se résu­mer en quatre mots : amour, liber­té, res­pon­sa­bi­li­té, décen­tra­li­sa­tion… La foi de l’a­nar­chiste chré­tien en une « terre nou­velle » n’est basée ni sur les pré­dic­tions de l’é­cri­ture, ni sur les pro­messes de poli­ti­ciens pro­fi­teurs de guerre, mais sur ces véri­tés éter­nelles recon­nues par cha­cun aux heures tran­quilles : que l’a­mour désarme et dompte le mal, que le cou­rage et la res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelles l’emportent sur l’in­do­lente sécu­ri­té de l’es­cla­vage, qu’une vie simple dans le foyer fami­lial en morale et en valeur édu­ca­tion­nelle les direc­tives des assem­blées, la vie de caserne des villes et la méthode méca­ni­sée de l’université.

William Ste­ven­son

La Presse Anarchiste