La Presse Anarchiste

Peut-on vivre sans autorité ?

Free­dom du 23 mars 1946 nous raconte l’his­toire d’une expé­rience ten­tée à Peck­ham par un groupe de bio­lo­gistes qui dési­raient étu­dier le com­por­te­ment humain dans cer­taines cir­cons­tances (il s’a­git du « Peck­ham Health Centre » — Centre sani­taire de Peck­ham, fon­dé par le Dr G. Scott William­son). Le pro­blème était de savoir com­ment agi­raient des êtres humains libres — libres d’a­gir comme ils l’en­ten­draient et de réa­li­ser leurs dési­rs, étant enten­du qu’ils seraient pla­cés dans un milieu pour­vu de toutes sortes de com­mo­di­tés, d’une pis­cine et d’un théâtre à une nur­se­ry et à une « café­té­ria » (sorte de café de tempérance). 

Pas de règles ni de règle­ments. Pas d’au­to­ri­té autre que l’in­fluence morale du Dr William­son. Pen­dant huit mois ce fut le chaos et la fan­tai­sie, puis tout à coup les membres de cette petite com­mu­nau­té apprirent à user natu­rel­le­ment de leur liber­té ; dès lors l’ordre régna, mais un ordre pro­duit par une évo­lu­tion libre, par l’as­so­cia­tion mutuelle natu­relle et volon­taire. L’ex­pé­rience a duré quatre ans et ne fut inter­rom­pue que par l’é­va­cua­tion due à la guerre. Ces bio­lo­gistes sont arri­vés à deux conclu­sions : 1° l’i­nu­ti­li­té des « chefs », 2° que la concur­rence ne semble pas être une carac­té­ris­tique du com­por­te­ment humain en régime de liber­té. En fait, une par­faite har­mo­nie régnait et les nom­breuses acti­vi­tés de ce milieu se déve­lop­paient spon­ta­né­ment, sans qu’il fût besoin de recou­rir à des comi­tés per­ma­nents ou des admi­nis­tra­teurs. L’ex­pé­rience a si bien réus­si que le Dr William­son se pro­pose de la renou­ve­ler à Coven­try où il a fait appel à 600 familles, qui orga­ni­se­ront elles-mêmes leur com­mu­nau­té, réa­li­se­ront leur plan de recons­truc­tion — cela selon leurs besoins — éta­bli­ront leur tra­vail agri­cole et bâti­ront jus­qu’à leurs égouts. Per­sonne ne com­man­de­ra, et une fois de plus la preuve sera don­née qu’a­vec du sens com­mun et de la sagesse pra­tique les gens ordi­naires peuvent se tirer d’af­faire, pour­vu qu’on les laisse libres.

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Why de jan­vier-février 1946, s’oc­cupe des indiens Hopi, cette tri­bu où selon Wayne Den­nis, on ne ren­contre « ni police, ni tri­bu­naux, ni amendes, ni châ­ti­ments… Le conseil muni­ci­pal est un corps reli­gieux lequel, afin de conser­ver sa pure­té d’es­prit, ne se mêle pas aux dis­cus­sions qui peuvent sur­ve­nir. Le sys­tème de gou­ver­ne­ment indi­gène est une forme pra­tique d’a­nar­chisme ». La tri­bu Hopi se trouve dans l’A­ri­zo­na, à 70 miles à l’est du Grand Canyon et ses onze vil­lages nombrent 3.500 habi­tants. Mal­gré les six Mis­sions qui les évan­gé­lisent, très peu par­mi eux renoncent à leur reli­gion ances­trale, l’a­do­ra­tion du Soleil, de la Terre, des Nuages, etc. Pas de jours de fête chez eux, de dimanches, d’an­ni­ver­saires patrio­tiques, mais des jour­nées consa­crées à la danse. Leur lan­gage ignore la malé­dic­tion. Ils se refusent à répandre le sang d’au­trui (le meurtre et le sui­cide sont incon­nus par­mi eux). Leur prin­ci­pale ver­tu est la bon­té et le par­don : ils ignorent la ven­geance, l’i­vro­gne­rie, Ils ne tolèrent pas la paresse, à cause des dif­fi­cul­tés que le cli­mat oppose à la culture. Sans connaître quoi que ce soit de Freud ou de la psy­cho­lo­gie moderne, leurs concep­tions de la vie sexuelle ne connaissent aucune dis­si­mu­la­tion et leur jeu­nesse n’est pas nour­rie d’i­dées fausses à ce sujet. Sans lan­gage écrit, la réci­pro­ci­té uni­ver­selle et la jus­tice cos­mique sont les bases de leur vie. Per­sonne n’a faim chez eux, même alors que quelques-uns par­mi eux soient plus à leur aise que la majo­ri­té. Leurs méde­cins, leurs prêtres, leurs chefs ne sont pas des pares­seux, puisque tra­vaillant plus que les autres, ils ne reçoivent pas de rétri­bu­tion pécu­niaire. Des tests qui leur furent pro­po­sés, il res­sort qu’en intel­li­gence ils sur­passent en géné­ral les autres indiens et même les blancs. Cette curieuse tri­bu, vivant iso­lée, entou­rée par un hos­tile désert, méri­te­rait une étude approfondie.

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