La Presse Anarchiste

Hier et demain

Regard en arrière

Au 1er avril 1908, il y aura tout juste deux ans que l’«Avenir Social » a ouvert ses portes à ses pre­miers pensionnaires.

Il était pau­vre. Je l’ai dit dans notre pre­mier bul­letin, sans l’aide pécu­ni­aire de ma mère, je n’au­rais pas pu com­mencer cette ten­ta­tive. Cette dette de 4.740 francs, dont je par­le dans mon « état financier » c’est envers ma mère que je l’ai con­trac­tée. Heureuse­ment, d’ailleurs, que c’est ma mère qui est mon créanci­er, car tout autre n’au­rait peut-être ni sa patience, ni sa bonté.

Depuis deux ans, nous avons passé par bien des épreuves et il est peut-être bon de faire un résumé suc­cinct de ces deux années :

— Dés­espérant de trou­ver l’aide effi­cace et forte qui m’au­rait per­mis de réalis­er le plan que j’avais conçu, je me décidai à ten­ter seule, au 1er avril 1906, avec le mod­este sec­ours matériel que me prê­tait ma mère, l’œu­vre à laque­lle, depuis bien­tôt deux ans, j’avais don­né ce nom : l’«Avenir Social ». Je louai donc, à Neuil­ly-Plai­sance, un pavil­lon que seule la loca­tion d’une courte durée, m’avait fait choisir. L’œu­vre répondait si bien à un besoin que bien­tôt le pre­mier pavil­lon fut trop petit et que j’en dus louer un sec­ond, voisin du premier.

Ces deux loca­tions pren­dront fin au 1er avril 1908. L’in­com­mod­ité de cette divi­sion en deux pavil­lons, nous a apporté un sur­croît de tra­vail et de fatigue. Nos loy­ers atteignent 1.600 francs, plus les con­tri­bu­tions et les loca­tions d’eau, ce qui, cette année, a fait mon­ter le chiffre du loy­er à 2.003 francs. En regard de cette dépense, nous ne pou­vons met­tre aucun béné­fice. Nul rap­port n’a été tiré des maisons. Les jardins sont des jardins d’a­gré­ment ; les arbres n’ont d’u­tile que leur ombrage. Pas de potager, pas un fruit, pas un légume.

Par con­tre, tous les incon­vénients d’une instal­la­tion incom­plète, d’une habi­ta­tion ne répon­dant en rien aux besoins de notre œuvre. Pas de salle de bains. Il nous a fal­lu en installer une dans une des deux cuisines. Pas de salle pour les jeux et les récréa­tions les jours de pluie. Un réfec­toire trop petit et qui, par dessus le marché, doit être trans­for­mé en salle de récréa­tion. Une lin­gerie qui sert de ves­ti­aire et de réserve. Des dor­toirs mal dis­tribués. Une cui­sine six fois trop petite. Pour lava­bos, une mansarde au sec­ond étage, etc.

Comme on le voit, ce n’est pas l’idéal ; car il résulte de cette instal­la­tion défectueuse qu’on ne peut y avoir une bonne organ­i­sa­tion du tra­vail ; que l’or­dre y est dif­fi­cile­ment main­tenu, et que, pour y obtenir l’é­tat de pro­preté néces­saire, on a le dou­ble de fatigue que don­nerait une bonne installation.

Aus­si com­pren­dra-t-on sans peine que nous ayons hâte de déménager.

Déménagement

Mais, démé­nag­er. c’est vite dit. La réal­i­sa­tion en est plus difficile.

Car nous ne voulons point retomber dans les ennuis d’une mau­vaise et insuff­isante installation.

Je rap­pelle le plan que j’ai exposé dans notre bul­letin de l’an­née dernière, sur ce chapitre : AVENIR ET PROJETS.

Notre désir est de join­dre à notre école une petite ferme et quelque peu de ter­rain cul­tivable, où nos pupilles pren­dront des leçons d’a­gri­cul­ture. Out­re les innom­brables ser­vices que nous en tirerons au point de vue édu­catif, cela nous sera une source de petits prof­its d’or­dre économique, prof­its dont nos enfants béné­ficieront. Ain­si, tan­dis que nos élèves étudieront l’his­toire naturelle avec la vache, le porc, la poule, le canard, le lapin, les abeilles, etc.; notre cui­sine béné­ficiera de lait pur, d’œufs frais, de beurre non fre­laté, de crème, de fro­mage, de miel. Un grand potager don­nera des légumes et des fruits tout en per­me­t­tant aux enfants de s’in­stru­ire pra­tique­ment de tout ce qui regarde le jardinage.

À cette petite école agri­cole nous voudri­ons pou­voir, un peu plus tard, join­dre de petits ate­liers pour le fer et le bois…

Pour réalis­er tout cela, il faut une grande pro­priété, avec habi­ta­tion spa­cieuse, car nous voudri­ons pou­voir recevoir de cinquante à soix­ante enfants, soix­ante étant le nom­bre maximum.

Et, une grande pro­priété, pou­vant nous con­venir et n’être pas trop éloignée de Paris, puisque c’est surtout pour les petits parisiens pau­vres que notre œuvre a été faite, eh bien, out­re que cela ne se trou­ve pas, aus­si facile­ment qu’on le croit, c’est cher. Enten­dons-nous bien, c’est cher pour s’y installer et com­mencer ; car bien enten­du les avan­tages que pro­cur­era l’in­stal­la­tion néces­saire à notre école, auront vite fait de dédom­mager les avances de fonds du début. Mais débuter, tout est là. Com­bi­en ont été arrêtés par cette implaca­ble rai­son matérielle : l’im­pos­si­bil­ité d’un bon début, le manque d’ar­gent pour bien partir.

Aujourd’hui

En cette fin de jan­vi­er 1908, quoique nous n’ayons bien­tôt plus que deux mois pour attein­dre l’ex­pi­ra­tion de nos deux loca­tions de Neuil­ly, nous ne pou­vons pas dire encore où nous irons. Depuis août dernier, nous cher­chons cepen­dant. Nous avons vu des quan­tités de pro­priétés à louer ; quelques-unes nous ont intéressés ; mais pour la majorité c’é­tait trop petit, trop incommode.

Nous avons bien trou­vé, certes, une pro­priété qui sem­blerait faite tout exprès pour ce que nous voulons réalis­er. Tout y est : de la place pour loger 60 enfants, et assez de ter­rain à cul­tiv­er et d’in­stal­la­tion pour l’él­e­vage, pour nour­rir nos enfants sans rien tir­er de l’ex­térieur. De plus, à 22 kilo­mètres de Paris, dans une admirable cam­pagne, avec facilite d’une com­mu­ni­ca­tion tout près de la pro­priété même.

Le rêve, vous dis-je ! Mais com­ment le réalis­er, le saisir, le faire vivre ? Car, pour s’in­staller là il faudrait un petit cap­i­tal, et nous sommes pau­vres, hélas ! si pauvres.

Ah ! je puis assur­er que je n’ai jamais sen­ti la tristesse de notre pau­vreté, comme le jour où je me suis trou­vée en face de cette pos­si­bil­ité de don­ner à l’«Avenir Social » le cadre qu’il lui faut, et que je n’ai pu le faire à cause de cette mis­érable ques­tion d’argent.

Il est des jours, vrai­ment, où je suis navrée de n’être pas riche, puisque, en notre époque, être riche c’est être fort.

M.V.


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