La Presse Anarchiste

Les objecteurs de conscience et nous

Depuis long­temps déjà nous rece­vons des lettres de cama­rades qui, dans un but évi­dem­ment louable, nous demande de pré­ci­ser notre atti­tude à l’é­gard de la Ligue pour l’ob­jec­tion de conscience.

D’au­cuns semblent croire que la Ligue des Réfrac­taires est abso­lu­ment soli­daire des objec­teurs de conscience dans leur action et dans leur atti­tude. Il nous parait néces­saire de dis­si­per l’é­qui­voque et d’é­ta­blir la dif­fé­rence ; aus­si bien nous sommes prêts, comme nous l’a­vons fait déjà, à aider et à sou­te­nir les objec­teurs dans leur action indi­vi­duelle de réfrac­taires à la loi militaire.

Nous avons sous les yeux un article d’An­dré Loru­lot, qui est un des ani­ma­teurs de cette Ligue où il est écrit [[ La Rumeur, 9 février 1928.]]: « Les objec­teurs de conscience ne sont pas des embus­qués puis­qu’ils acceptent. de se sou­mettre à un ser­vice civil, fût-il des plus rudes. Toute leur ambi­tion consiste à ne pas tuer. »

Et Loru­lot ter­mine ainsi :

« Don­nez, ô maîtres de la France rayon­nante cette preuve de votre amour de la paix. Libé­rez Che­vé et accor­dez aux objec teurs de conscience la satis­fac­tion légi­time qu’ils réclament. »

Ain­si l’am­bi­tion, toute l’am­bi­tion des objec­teurs de conscience consiste à ne pas tuer ? L’i­dée, certes, est noble, géné­reuse même ; elle ne nous suf­fit pas.

Réfrac­taires, enne­mis irré­duc­tibles de l’ar­mée et de l’au­to­ri­té, nous n’ac­cep­tons pas plus d’être embri­ga­dés dans un ser­vice civil que dans un ser­vice mili­taire, nous savons par expé­rience qu’en temps de guerre, toute l’ac­ti­vi­té de la nation (voir pro­jet Bon­cour) par­ti­cipe direc­te­ment ou indi­rec­te­ment à l’ac­com­plis­se­ment du crime. Que l’on fabrique des obus pour tuer, que l’on construise des auto­mo­biles ou des wagons pour trans­por­ter les troupes, que l’on empierre les routes où pas­se­ra la grosse artille­rie, ou que l’on pré­pare les pan­se­ments pour soi­gner assas­sins et assas­si­nés, le geste se résume mal­gré tout en quelques mots : par­ti­ci­pa­tion à la guerre.

Il ne nous convient pas non plus d’être les spec­ta­teurs impuis­sants et désar­més du plus mons­trueux des for­faits, toutes nos volon­tés d’hommes libres, toutes nos intel­li­gences de réfrac­taires, toutes nos forces d’an­ti­mi­li­ta­ristes res­te­ront ten­dues, farouches et inébra­lables vers ce but : empê­cher ou arrê­ter le mas­sacre, par tous les moyens.

Nous connais­sons les points faibles, la cui­rasse de police dont s’en­tourent les diri­geants et les pour­voyeurs de char­niers n’est pas invul­né­rable. Fils du peuple, nous nous sommes don­né pour tache de le défendre contre ceux qui, déli­bé­ré­ment, le poussent à la mort. Et puisque toutes les péti­tions, les sup­pliques, les larmes sont impuis­santes à détrô­ner le féroce égoïsme des mar­chands de canons et des fau­teurs de guerres il est néces­saire que les hommes réso­lus se pré­parent à l’action.

Nous ne serons peut-être pas le nombre ? Qu’im­porte, nous avons pour nous la jus­tesse de notre cause et la gran­deur de notre idéal. Objec­teurs de conscience ! Soit, mais à notre manière. Entre Tol­stoï et Émile Cot­tin nous avons choisi.

Le Comi­té d’Action 

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