La Presse Anarchiste

Pologne : La jeunesse déchaînée

Nous avons, dans notre précé­dente livrai­son, don­né de larges extraits d’un numéro de Homek, revue lib­er­taire parais­sant à Gdan­sk. La dif­fu­sion crois­sante des idées anti-autori­taires, visant à la fois l’É­tat, le Par­ti et l’Église, au sein de la jeunesse, ne manque pas d’éveiller l’in­térêt des mem­bres de Sol­i­darnosc et notam­ment de ceux qui s’ex­pri­ment dans la presse clandestine.

On pou­vait lire, dans le n°154 de Tygod­nik Mazowsze daté du 16 jan­vi­er 1986, l’in­ter­view d’un mil­i­tant de Sol­i­dar­ité de Wro­claw faisant le point sur les courants rad­i­caux qui par­courent la jeune généra­tion : punks, dont l’an­ti­con­formisme ves­ti­men­taire, loin d’être une mode, exprime une révolte authen­tique chère­ment payée : « il suf­fit que les flics les voient pour qu’ils les entraî­nent sous une porte cochère et les tabassent. Je con­nais des jeunes qui passent 48 heures au trou au moins une fois par mois» ; objecteurs de con­science du groupe Paix et Lib­erté ; groupes de lycéens par­mi lesquels se dis­tingue la Fédéra­tion de la Jeunesse Com­bat­tante à Varso­vie, Gdan­sk, Wro­claw, Nowa Huta, Gor­zow ; et enfin le Mou­ve­ment pour une Société Alter­na­tive (RSA) con­sti­tué l’an­née dernière à Gdan­sk autour de la revue Homek : « Il s’est beau­coup fait remar­quer à la man­i­fes­ta­tion du 1er mai 1985 : plusieurs cen­taines d’iro­quois aux cheveux ros­es ou verts vêtus de blousons noirs avec des lunettes bleu ciel, c’é­tait un sacré spec­ta­cle. Ils por­taient de grandes ban­deroles noires avec l’in­scrip­tion rouge sang « Sol­i­dar­ité pour­suit le com­bat ». Ils s’ex­hibent comme les punks et arborent à la fois des élé­ments emprun­tés à Sol­i­dar­ité et le noir des anar­chistes. ». Le même mil­i­tant de Wro­claw rap­porte la déter­mi­na­tion de ces cama­rades lorsqu’il s’ag­it d’en découdre avec les Zomos et il ajoute : « ils s’i­den­ti­fient à la résis­tance con­tre les rouges qu’ils détes­tent vis­cérale­ment. Mais en même temps ils sont très cri­tiques à l’é­gard des grandes fig­ures de Sol­i­dar­ité ; ce sont des “vio­ques” pour eux, des “has been”. Tout ce qui se passe dans les églis­es, ces réu­nions, ces chants, ces V de vic­toire, c’est du cirque pour eux. Ils pensent qu’ils sauront faire mieux, qu’ils ne seront pas mous comme nous le sommes à leurs yeux… Ils sont très act­ifs, ils par­courent toute la Pologne, nouent des con­tacts et dif­fusent leur revue Homek. Ils sont très liés aux gars de Nowa Huta, les jeunes sidérur­gistes appar­tenant à la même généra­tion. J’ai vu deux pub­li­ca­tions de Nowa Huta qui ont repro­duit inté­grale­ment la déc­la­ra­tion de principe du Mou­ve­ment pour une Société Alter­na­tive, un reportage sur lui, un compte-ren­du de son action de rue et l’in­ter­view d’un de ses membres. »

C’est au tour de Tygod­nik Mazowsze lui-même de don­ner des extraits de la revue des lib­er­taires de Gdan­sk dans un arti­cle inti­t­ulé « Aimerons-nous Homek ? », paru dans le n°157 du 5–6 févri­er 1986. Voici par exem­ple l’analyse que font nos cama­rades des man­i­fes­ta­tions pour l’an­niver­saire du 13 décem­bre : « Après un pre­mier mou­ve­ment de troupe des Zomos (il serait dif­fi­cile de par­ler d’at­taque) la plu­part des gens ont reculé. Pour eux la par­tic­i­pa­tion à la messe représen­tait le sum­mum du courage. Ils se sont défoulés pra­tri­o­tique­ment, en raf­fer­mis­sant leur cœur et en endor­mant leur con­science… Le curé a appelé à ren­tr­er joyeuse­ment chez soi, à ne pas tomber dans les provo­ca­tions, à rester vig­i­lant (ça ne vous rap­pelle rien?). Pour ma part, je suis opti­miste, puisque je crois que nous avons touché le fond et que l’on ne peut descen­dre plus bas. J’e­spère que c’est moi qui ai rai­son, non le pes­simiste, pour qui c’est déjà bien puisque mieux c’est impos­si­ble. ». On relève dans la même série d’ex­traits une cri­tique sans con­ces­sion du scoutisme, qui à l’in­star du mou­ve­ment con­cur­rent des Pio­nniers « n’est rien d’autre que la mil­i­tari­sa­tion de la jeunesse, une ten­ta­tive d’u­ni­formi­sa­tion et de nivellement ».

Le chroniqueur de Tygod­nik Mazowsze con­clut : « On ne trou­ve pas dans Homek les déc­la­ra­tions de la TKK, ni des descrip­tions de notre mar­ty­rologe nationale. Le jour­nal s’adresse aux jeunes, appelle à la pra­tique et pousse aux actions con­crètes. Avec la devise : « pas de vie sans risque ».

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Selon des infor­ma­tions recueil­lies par Iztok en sep­tem­bre, Homek serait main­tenant une revue men­su­elle alors qu’au début elle parais­sait tout les 15 jours. Le mou­ve­ment aurait per­du un peu de la dynamique qui l’an­i­mait en 84–85 lorsqu’il se fit remar­quer au cours des man­i­fes­ta­tions du 1er mai et du 13 octo­bre, mais aus­si à chaque rassem­ble­ment de foule de quelque impor­tance per­me­t­tant de venir scan­der des slo­gans ou de lancer des tracts : lors des matchs de foot­ball de l’équipe Lechia, lors des con­certs de rock (et par­ti­c­ulière­ment au « Wood­stock polon­ais », fes­ti­val de rock alter­natif à Jaroczyn), et même lors du départ des pèlerins pour Czestochowa.

Aujour­d’hui, RSA se con­sacre surtout à la lutte con­tre le ser­vice mil­i­taire, lutte qui compte aujour­d’hui en Pologne de nom­breux adeptes, cer­tains revendi­quant le droit de faire un ser­vice civ­il, d’autres refu­sant toute forme de ser­vice. Le cas le plus con­nu est celui de Woj­ciech Jankows­ki de Gdan­sk, enseignant âgé de 22 ans, qui a refusé, et de faire son ser­vice, et d’être déclaré inapte ; il a été arrêté en 85 et con­damné à 3 ans et demi de prison. Il vient d’être libéré mais pas à la faveur de l’«Amnistie générale », le porte-parole du gou­verne­ment ayant déclaré que cela ne con­cer­nait pas les objecteurs de con­science. Woj­ci­ch Jankows­ki avait entamé une grève de la faim illim­itée et une man­i­fes­ta­tion fut même organ­isée à Wro­claw par « Lib­erté et paix » pour deman­der sa libéra­tion et celle de Jaroslaw Nakiel­s­ki. Ce dernier est tou­jours en prison de même que Ryszard Bonows­ki et 3 objecteurs de Gdan­sk, dont Andrzej Mis­zk (sans oubli­er les 800 objecteurs religieux, témoins de Jéhovah).

Pour ce qui est des pub­li­ca­tions, RSA en a lancé une nou­velle cet été : Szweyk (« le brave sol­dat Schveyk ») pub­li­ca­tion paci­fiste et anti­mil­i­tariste por­tant en exer­gue la phrase suiv­ante : « un bon sol­dat est un sol­dat qui pense le moins pos­si­ble ». D’autre part, nous avons appris l’ex­is­tence de la revue Zero à Wro­claw qui ressem­blerait beau­coup à Homek, seule­ment Zero est plus épaisse et paraît tous les 3–4 mois. 


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