La Presse Anarchiste

Déclaration du comité fédéral de l’ASRAS

Le comi­té fédé­ral de l’Alliance syn­di­ca­liste révo­lu­tion­naire et anar­cho-syn­di­ca­liste (ASRAS) réuni au len­de­main des mou­ve­ments déclen­chés par la CGT et ma CFDT les 7 et 23 juin, constate :

1° Que le mot d’ordre de « grève géné­rale » de vingt-quatre heures de la C.G.T pas été orga­ni­sé comme il aurait dû l’être par ses initiateurs. 

Les diri­geants de la C.G.T. n’ont pas mis tout en œuvre pour réus­sir une véri­table grève de vingt-quatre heures, qui aurait dû être le point de départ d’une riposte géné­ra­li­sée de la classe ouvrière à poli­tique anti-ouvrière du patro­nat et de l’État.

C’est ain­si que dans plu­sieurs régions et sec­teurs indus­triels impor­tants, les res­pon­sables C.G.T. se sont éver­tués à limi­ter la durée de l’ar­rêt de tra­vail. À l’E.D.F., pas de cou­pure géné­ra­li­sée du cou­rant ; chez Renault, à Billan­court, pas d’ap­pel à la grève ; dans les entre­prises impor­tantes, selon les conseils de diri­geants de Fédé­ra­tion, la grève géné­rale s’est trans­for­mée en arrêt limi­té à une ou deux heures. 

Cette atti­tude n’est pas pour sur­prendre : la bureau­cra­tie qui dirige la C.G.T. n’a nul­le­ment l’in­ten­tion d’or­ga­ni­ser des actions d’en­ver­gure et géné­ra­li­sées. Les périodes élec­to­rales et pré-élec­to­rales doivent se dérou­ler dans le « calme, l’ordre, et la digni­té ». C’est une néces­si­té pour les poli­ti­ciens, de droite comme de gauche, qu’il en soit ain­si. Sans comp­ter que la doc­trine de la coexis­tence paci­fique se tra­duit par la volon­té de l’ap­pa­reil du P.C.F. d’empêcher que l’ac­tion ouvrière débouche sur de puis­sants mou­ve­ments d’ensemble ris­quant de remettre en cause le main­tien de l’é­qui­libre déci­dé par les diri­geants de l’Est et l’Ouest. S’il arrive, comme en mai 1968, que la classe ouvrière, par son irrup­tion, dérange les plans arrê­tés, toute la tac­tique du P.C.F. consiste à cana­li­ser le mou­ve­ment, à le récu­pé­rer pour le dévoyer dans la voie élec­to­rale qui ne peut que per­pé­tuer le régime capitaliste. 

2° Les diri­geants de la C.F.D.T., quant eux, pré­co­nisent des formes de lutte, qui conduisent inévi­ta­ble­ment au mor­cel­le­ment, voire à la dis­per­sion de l’ac­tion du mou­ve­ment ouvrier organisé. 

Les diri­geants de la C.F.D.T. s’en tiennent aux conflits d’en­tre­prises. Or les actions d’en­tre­prises, aus­si dures et exem­plaires soient-t-elles – et qui ont besoin de toute notre soli­da­ri­té agis­sante – peuvent, à la rigueur et dif­fi­ci­le­ment, régler des pro­blèmes de salaire, de clas­si­fi­ca­tion, de condi­tions de tra­vail concer­nant l’entreprise. 

Dif­fi­ci­le­ment, disons-nous, en effet. Pour leur poli­tique sala­riale, les patrons s’en tiennent géné­ra­le­ment, et fer­me­ment, aux consignes du gou­ver­ne­ment et du C.N.P.F., qui ont, de fait, blo­qué la pro­gres­sion des salaires entre 5 et 6% en 1972. 

Il est évident que ces actions loca­li­sées sont inadap­tées pour les reven­di­ca­tions géné­rales des tra­vailleurs, telles que les qua­rante heures et la retraite à 60 ans. 

Ain­si, quand la C.F.D.T. pré­co­nise dans son texte la forme d’ac­tion suivante : 

« Nous sommes per­sua­dés qu’une grève tour­nante au niveau natio­nal désor­ga­ni­se­rait l’é­co­no­mie et contrain­drait nos adver­saires à céder aux reven­di­ca­tions des tra­vailleurs. C’est pour cela que nous pro­po­sons, par rou­le­ment. des grèves pro­fes­sion­nelles (métaux, bâti­ment, chi­mie) inter­ca­lées de grèves inter­pro­fes­sion­nelles régio­nales, l’Ouest, le Midi, etc., se relayant les unes les autres », elle reprend à son compte la tac­tique la plus désas­treuse, la plus démo­bi­li­sa­trice : celle qui consiste à frag­men­ter l’ac­tion des tra­vailleurs ; les uns après les autres, jamais ensemble, per­met­tant ain­si au patro­nat et à l’État d’organiser leur résistance.

Si une par­tie de la classe ouvrière a débrayé sans illu­sion, « parce qu’il faut quand même faire quelque chose », une par­tie impor­tante de celle-ci a refu­sé de s’as­so­cier aux manœuvres des 7 et 23 juin 1972. Nom­breux sont les mili­tants qui ont ain­si, consciem­ment, clai­re­ment mon­tré qu’ils n’en­tendent plus être des pions dociles qu’on mani­pule au gré d’in­té­rêts poli­ti­co-élec­to­raux qui n’ont rien à voir avec la défense des revendications.

3° Quant à la C.G.T.-F.O., le refus d’en­ga­ger l’ac­tion géné­rale, l’im­mo­bi­lisme du bureau confé­dé­ral face à l’of­fen­sive du patro­nat et du gou­ver­ne­ment accen­tuent le glis­se­ment de cette orga­ni­sa­tion vers un conser­va­tisme social étroit qui a de moins en moins de rap­ports avec le réfor­misme traditionnel. 

L’af­fir­ma­tion du prin­cipe de l’in­dé­pen­dance syn­di­cale contre toutes les ten­ta­tives d’in­té­gra­tion du syn­di­ca­lisme n’est qu’une for­mule théo­rique et abs­traite lar­ge­ment insuf­fi­sante, si elle n’est pas accom­pa­gnée d’une action déci­dée pour les reven­di­ca­tions des tra­vailleurs, ce qui est loin d’être le cas. 

L’au­to­sa­tis­fac­tion affi­chée publi­que­ment par les res­pon­sables de la C.G.T.-F.O., leurs appré­cia­tions quant aux résul­tats de la poli­tique contrac­tuelle pour 1972 deviennent de plus en plus insup­por­tables. Rap­pe­ler, comme vient de le faire son secré­taire géné­ral, que la C.G.T.-F.O. a eu quel­que­fois l’i­ni­tia­tive d’ac­tions natio­nales impor­tantes est conforme à là véri­té his­to­rique ; mais nous sommes en 1972 et le com­bat ouvrier ne se nour­rit pas uni­que­ment de souvenirs. 

Alors que toute la poli­tique éco­no­mique et sociale du patro­nat et de l’É­tat est par­fai­te­ment syn­chro­ni­sée à par­tir des options du VIe Plan, la théo­rie avan­cée par le bureau confé­dé­ral F.O., selon lequel il ne « faut pas glo­ba­li­ser » les reven­di­ca­tions, donc les actions, cor­res­pond en fait à un refus d’af­fron­ter les réa­li­tés les plus élémentaires. 

Ces consta­ta­tions sur les posi­tions des bureau­cra­ties syn­di­cales ne nous amènent pas pour autant à conclure qu’elles sont le seul frein au déve­lop­pe­ment de la lutte des tra­vailleurs, qui seraient prêts, à en croire cer­taines théo­ries, à aller beau­coup plus loin. Les mili­tants de l’Al­liance savent que toutes les condi­tions pour une trans­for­ma­tion radi­cale de la socié­té sont loin d’être réunies. Ils savent aus­si que la satis­fac­tion des reven­di­ca­tions sur le pou­voir d’a­chat, les qua­rante heures, la retraite ne remettent pas en cause fon­da­men­ta­le­ment le régime capitaliste. 

Mais parce qu’ils sont quo­ti­dien­ne­ment confron­tés aux réa­li­tés, ils savent que la lutte pour obte­nir les reven­di­ca­tions est en per­ma­nence indis­pen­sable, pour conqué­rir de nou­veaux droits et avan­tages, ce qui est la tâche pre­mière du syndicalisme. 

C’est par l’ac­tion de classe contre le patro­nat, le gou­ver­ne­ment, pour l’ex­ten­sion de leurs acquis que se for­ge­ra chez les tra­vailleurs la claire conscience de leur situa­tion d’ex­ploi­tés et de la néces­si­té de la des­truc­tion du régime capi­ta­liste et de l’État. 

Dès lors, le rôle des mili­tants syn­di­ca­listes révo­lu­tion­naires et anar­cho-syn­di­ca­listes consiste essen­tiel­le­ment, pour la période qui vient, par­tout où ils sont pré­sents, assem­blées de tra­vailleurs, assem­blées et congrès syn­di­caux, à pro­po­ser l’é­lar­gis­se­ment de l’ac­tion pour les reven­di­ca­tions com­munes ; à expli­quer que les mou­ve­ments spo­ra­diques, dis­pa­rates, tour­nants non seule­ment sont inef­fi­caces mais se révèlent démo­bi­li­sa­teurs et dan­ge­reux ; à leur oppo­ser le « tous ensemble », la géné­ra­li­sa­tion des luttes et à pré­ci­ser qu’il ne fau­dra pas s’ar­rê­ter en che­min comme en mai 1968 et se conten­ter des accords de Gre­nelle ; à rap­pe­ler avec force que les conquêtes sociales arra­chées au patro­nat ont tou­jours été acquises par l’ac­tion directe de classe, et non par le bul­le­tin de vote. 

Dans les mois qui viennent, la situa­tion sera domi­née par les pré­oc­cu­pa­tions élec­to­rales des par­tis de gauche et de droite. 

Les cama­rades de l’A.S.R.A.S. mili­te­ront pour expli­quer qu’a­vec ou sans gou­ver­ne­ment d’u­nion de la gauche, il est pos­sible d’obtenir :
– L’aug­men­ta­tion uni­forme des salaires et l’é­chelle mobile,
– La retraite à soixante ans de suite,
– Le retour aux qua­rante heures immédiatement ; 

sur ces bases mini­males, qui concernent des mil­lions de sala­riés, face à la coa­li­tion patro­nat-État, oppo­sons la coa­li­tion ouvrière. 

En même temps qu’ils agissent inlas­sa­ble­ment pour que l’or­ga­ni­sa­tion syn­di­cale soit sous le contrôle per­ma­nent des syn­di­qués, pour que les struc­tures fédé­ra­listes du syn­di­ca­lisme soient pré­ser­vées, pour que les syn­di­cats – grou­pe­ment essen­tiel et seul fon­dé sur un cri­tère de classe – luttent contre l’in­té­gra­tion sous toutes ses formes, les mili­tants de l’Al­liance agi­ront pour que l’ac­tion ouvrière soit por­tée au plus haut niveau possible. 

Le 28 juin 1972 

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