La Presse Anarchiste

Avoir les mains libres

DANS l’ambiance de crise de la période actuelle, le mou­ve­ment de la gauche réfor­miste se carac­té­rise par deux faits prin­ci­paux : la divi­sion au sein des par­te­naires du Pro­gramme com­mun, une stra­té­gie syn­di­cale qui vise à ali­gner les orga­ni­sa­tions de masse sur les néces­si­tés du déve­lop­pe­ment propre à cha­cun des deux prin­ci­paux signa­taires du Pro­gramme commun. 

Depuis plus de dix ans, la stra­té­gie du Par­ti com­mu­niste repose sur « l’union de toutes les forces anti­mo­no­po­listes ». Le pro­gramme com­mun est la concré­ti­sa­tion de cette stra­té­gie. Il est fon­dé sur l’idée que : 

« L’union ne doit pas se faire par un ral­lie­ment aux inté­rêts spé­ci­fiques de la classe ouvrière, mais sur la base de la défense d’intérêts à la fois com­muns sur le plan natio­nal et diver­si­fiés selon les couches sociales concer­nées…» (France nou­velle, heb­do­ma­daire du P.C.F., 29 – 10 – 4 – 11-74.) 

L’analyse du Par­ti com­mu­niste peut se résu­mer ain­si : au sein même de la classe capi­ta­liste il existe deux frac­tions : le petit capi­tal et le grand capi­tal. Le pre­mier est assi­mi­lé au capi­tal natio­nal, le second au capi­tal inter­na­tio­nal. Il est néces­saire de bar­rer la route aux firmes mul­ti­na­tio­nales qui inves­tissent l’économie fran­çaise et la rendent dépen­dante du capi­tal étranger.

Il faut donc réunir dans une même coa­li­tion toutes les forces qui s’opposent aux grands mono­poles et qui veulent pré­ser­ver l’indépendance de la France. La classe ouvrière est par­tie pre­nante de ce mou­ve­ment d’opposition car, nous dit-on, la « poli­tique rétro­grade » qui refuse toute réforme sociale et toute amé­lio­ra­tion de la situa­tion maté­rielle des tra­vailleurs est direc­te­ment liée à l’emprise des grands mono­poles et du capi­tal étran­ger sur l’économie fran­çaise. Amé­lio­ra­tion de la condi­tion ouvrière et indé­pen­dance natio­nale vont donc de pair. Cette union doit être la plus large possible. 

Dans la décla­ra­tion de Georges Mar­chais au congrès du P.C.F. de Vitry, on peut lire : 

« La France ne se divise pas en deux moi­tiés dont les inté­rêts seraient dia­mé­tra­le­ment oppo­sés. La ligne de par­tage déci­sive se situe entre, d’une part, l’immense masse des Fran­çais qui vivent de leur tra­vail et servent le pays et, d’autre part, la caste étroite qui pos­sède et domine l’économie et l’État. Tous ceux-là peuvent s’unir parce qu’ils ont aujourd’hui un inté­rêt com­mun : secouer le joug du grand capi­tal, sor­tir la France de l’ornière, mieux vivre et tra­vailler dans la sécu­ri­té et la liberté. » 

Le XXle congrès du Parti communiste

Au len­de­main des élec­tions de mars 1974, le XXIe congrès du Par­ti com­mu­niste fran­çais a eu pour but de confir­mer les thèses de l’union du peuple de France, mais aus­si de reprendre en main l’organisation condi­tion­née par plu­sieurs années d’activités élec­to­rales exclusives. 

Il était néces­saire à la fois d’expliquer aux mili­tants peu sen­sibles aux sub­ti­li­tés des alliances contre nature, les néces­si­tés de l’ouverture à droite, et de mettre en œuvre une bat­te­rie de jus­ti­fi­ca­tions théo­riques à cette ouverture. 

Si le P.C.F. recon­naît bien l’existence de deux classes fon­da­men­tales entre les­quelles se situent des couches inter­mé­diaires, sa défi­ni­tion de la bour­geoi­sie est curieuse : elle se limite au sec­teur des grands mono­poles. Dans les Cahiers du Com­mu­nisme d’avril 1974, les arti­sans, petits patrons, petites et moyennes entre­prises, mais aus­si les « grandes entre­prises du sec­teur non mono­po­liste » sont pla­cées dans un « degré inter­mé­diaire entre les deux classes fondamentales ».

Ailleurs, dans France nou­velle, les petites et moyennes entre­prises sont consi­dé­rées comme de simples « col­lec­teurs de plus-value » au pro­fit des mono­poles, ce qui per­met, en leur don­nant un rôle pas­sif, d’amenuiser leur rôle dans l’exploitation du prolétariat. 

Une dis­tinc­tion avait déjà été faite entre petites et moyennes entre­prises et grand capi­tal (grand capi­tal natio­nal + multinationales). 

Main­te­nant l’ennemi se réduit aux groupes mul­ti­na­tio­naux, ce qui du coup place l’ensemble du capi­tal natio­nal, « grand capi­tal » natio­nal com­pris, du bon côté de la bar­rière. Une telle argu­men­ta­tion amène néces­sai­re­ment des mili­tants à se poser des ques­tions. Dans la tri­bune de dis­cus­sion ouverte par l’Humanité, on peut lire, le 23 – 9‑1974 :

« La ligne de démar­ca­tion ne passe plus entre grandes entre­prises et P.M.E., mais entre groupes déjà mul­ti­na­tio­naux et entre­prises de toutes tailles dont aujourd’hui l’activité se réa­lise sur le ter­ri­toire national. » 

Ce même mili­tant conclut en demandant : 

« Pour­rait-on alors consi­dé­rer que notre atti­tude de prin­cipe à l’égard du capi­tal jusque-là domi­nant, aujourd’hui déva­lo­ri­sé, doit être la même qu’à l’égard des P.M.E.? Peut-on envi­sa­ger que les sala­riés des Ciments fran­çais mani­festent avec leurs patrons ? » 

On com­mence par col­la­bo­rer avec les petits patrons et on finit avec les mono­poles natio­naux… Le sou­tien aux petites entre­prises contre les mono­poles consiste à rendre au mar­ché la sou­plesse de la période de libre concur­rence. C’est, his­to­ri­que­ment, un pas en arrière, à une époque où le mot d’ordre du pro­lé­ta­riat doit être : SUPPRESSION DU MARCHÉ !

En outre, qui dit concur­rence dit com­pé­ti­ti­vi­té. Or celle-ci, en ce qui concerne la petite entre­prise, est direc­te­ment liée au taux d’exploitation subi par l’ouvrier. L’alliance avec les P.M.E. ne peut signi­fier qu’une trêve entre patrons et ouvriers, dont ces der­niers feraient les frais.

La séré­ni­té du XXle congrès du Par­ti com­mu­niste devait être trou­blée par les résul­tats des élec­tions légis­la­tives par­tielles. Le P.C. per­dait des voix dans cinq cir­cons­crip­tions sur six au pro­fit des socia­listes. Alors que le congrès avait pour but d’expliquer les besoins de l’ouverture à droite, cette même ouver­ture était sanc­tion­née par un échec aux élec­tions qui pro­fi­taient aux socia­listes ! Ces mêmes socia­listes tenaient à peu près au même moment des « Assises pour le socia­lisme » dont le docu­ment pré­pa­ra­toire conte­nait une cri­tique de gauche contre le P.C.F.!

Cet évé­ne­ment allait tour­ner une page dans les rela­tions entre le P.C. et le P.S. Pour ne pas se lais­ser débor­der sur la gauche par le P.S., le Par­ti com­mu­niste va prendre l’initiative d’actions qui, si elles avaient été menées par d’autres, auraient été qua­li­fiées d’«aventuristes » : occu­pa­tion des bureaux du ministre du Tra­vail par les élus du P.C.F., enva­his­se­ment de l’antichambre du secré­ta­riat d’État au Loge­ment, occu­pa­tions d’agences natio­nales pour l’emploi par les jeu­nesses communistes. 

Querelle P.C.-P.S.

Au len­de­main des élec­tions par­tielles, le P.C.F. ouvre les hos­ti­li­tés. En signant le Pro­gramme com­mun, le P.C. savait qu’il contri­bue­rait gran­de­ment à ren­for­cer le P.S.

Mais le but de l’accord était que le P.S. attire sur la droite un élec­to­rat que le P.C. savait ne jamais pou­voir gagner. Or pré­ci­sé­ment, le P.S. gagne des voix à gauche, dans le mou­ve­ment ouvrier, au détri­ment du P.C. Si ce der­nier peut accep­ter de perdre la pre­mière place au plan élec­to­ral, il ne peut se per­mettre de perdre en même temps son hégé­mo­nie dans la classe ouvrière. Le dur­cis­se­ment appa­rent du P.C. a donc pour but de se pré­sen­ter devant la classe ouvrière et devant ses propres mili­tants comme le seul par­ti ouvrier. 

D’autre part, le Pro­gramme com­mun avait été éla­bo­ré dans la pers­pec­tive d’un taux de crois­sance de 7 à 8%. Prendre le pou­voir actuel­le­ment obli­ge­rait les nou­veaux gou­ver­nants aux choix suivants : 

1) Main­te­nir le régime capi­ta­liste, l’économie de mar­ché et de pro­fit, et donc prendre des mesures d’austérité contre la classe ouvrière. 

2) Ou alors : satis­faire les reven­di­ca­tions ouvrières, prendre des mesures radi­cales et liqui­der l’économie de mar­ché dans ses formes actuelles, ins­tau­rer une pla­ni­fi­ca­tion rigou­reuse de type capi­ta­liste d’État.

Le Par­ti com­mu­niste, aus­si bien que le Par­ti socia­liste, ne veulent pas être obli­gés de choi­sir entre ces deux solu­tions. Ne tenant pas du tout à adop­ter la deuxième solu­tion, ils pensent que le moment actuel est le plus mal choi­si pour prendre le pou­voir. Pen­dant long­temps, le P.C. a nié l’existence d’une crise éco­no­mique inter­na­tio­nale. Mini­mi­sant les causes réelles de la crise, met­tant en cause la mau­vaise ges­tion des mono­poles, la rapa­ci­té du « grand patronat ».

Aujourd’hui, il a fini par la recon­naître mais en même temps il refuse de la gérer dans les condi­tions actuelles. 

Les pers­pec­tives actuelles de l’union de la gauche sont les suivantes : 

1) Les diri­geants socia­listes et com­mu­nistes s’engageraient réel­le­ment dans la défense de la classe ouvrière et orga­ni­se­raient l’action sur le ter­rain de classe dans la lutte syn­di­cale ; mais cela ris­que­rait de déclen­cher un pro­ces­sus de grève géné­rale qui pour­rait por­ter l’union de la gauche au pou­voir par une mobi­li­sa­tion extra-parlementaire. 

2) Les diri­geants socia­listes et com­mu­nistes se refusent de poser le pro­blème de la prise du pou­voir, du ren­ver­se­ment du gou­ver­ne­ment Gis­card-Chi­rac parce que le moment est le plus mal choi­si qui soit, et attendent une échéance élec­to­rale plus favo­rable. Les mou­ve­ments de grève récents montrent assez que c’est cette poli­tique que pra­tiquent le P.C. et le P.S. : P.T.T., S.N.C.F., Néo­gra­vure, Georges-Lang, Renault, etc. 

J. Col­pin, devant le Comi­té cen­tral du P.C.F. des 20 – 21 jan­vier, déclare qu’il vaut mieux « per­sua­der les tra­vailleurs, les démo­crates, que la vic­toire exi­ge­ra un puis­sant ras­sem­ble­ment popu­laire lar­ge­ment majo­ri­taire, sanc­tion­né le moment venu par le suf­frage uni­ver­sel et qu’il faut le pré­pa­rer dans le déve­lop­pe­ment des luttes quotidiennes ».

En clair, cela signi­fie : atten­dons 1978 et fai­sons juste ce qu’il faut de luttes reven­di­ca­tives pour main­te­nir notre contrôle sur les masses…

Il résulte de cela que l’ordre du jour n’est pas la prise du pou­voir. L’alliance P.C.-P.S. perd de son inté­rêt immé­diat. En plus, la que­relle P.C.-P.S. pré­sente un avan­tage : elle brise dans l’esprit des tra­vailleurs l’élan uni­taire et coupe court aux pers­pec­tives d’une grève géné­rale qui ren­ver­se­rait le gou­ver­ne­ment Gis­card-Chi­rac dans le moment le plus défa­vo­rable pour l’union de la gauche. Dans cette polé­mique, le P.S. fait figure d’agressé. Mais que lui reproche au juste le P.C.F.? «…Les condi­tions dans les­quelles il s’affirme prêt à par­ti­ci­per au pou­voir avec Gis­card d’Estaing ne sont pas claires », dit G. Plissonnier.

Mais ce der­nier oublie qu’au moment des légis­la­tives de 1973, le P.C. et le P.S. se décla­raient prêts il par­ti­ci­per au pou­voir en gar­dant Pom­pi­dou. D’ailleurs, Georges Mar­chais, en jan­vier 1973, déclarait : 

« Dès lors qu’une majo­ri­té de gauche serait élue, le pré­sident de la Répu­blique devra dési­gner un Pre­mier ministre dans cette majo­ri­té et accep­ter la for­ma­tion d’un gou­ver­ne­ment de la gauche unie appli­quant la poli­tique vou­lue par le pays. » 

Si le P.C.F. dénonce les ten­ta­tions du Par­ti socia­liste vers les alliances avec la droite, il pra­tique lui-même une poli­tique d’alliances avec les patrons « non mono­po­listes », les cadres, les gaul­listes. Le Par­ti com­mu­niste demande constam­ment à Mit­ter­rand de réaf­fir­mer son atta­che­ment au Pro­gramme com­mun, mais il avait accep­té, pen­dant la cam­pagne des élec­tions pré­si­den­tielles, de sou­te­nir Mit­ter­rand sur la base d’une charte dis­tincte au Pro­gramme com­mun, et qui pré­voyait la for­ma­tion d’un gou­ver­ne­ment for­mé de per­son­na­li­tés, com­mu­nistes inclus, et non for­mé des par­tis de gauche en tant que tels. Alors, Mit­ter­rand-Mar­chais, bon­net blanc-blanc bonnet ?

La que­relle P.C.-P.S. n’est qu’un voile jeté devant les yeux des tra­vailleurs pour les empê­cher de mener des actions sur le ter­rain de classe qui pour­raient rompre les règles du jeu électoral. 

En s’alliant avec le P.S., le Par­ti com­mu­niste cherche à se mon­trer devant les classes moyennes, et une par­tie de la bour­geoi­sie, comme un par­ti de gou­ver­ne­ment, un par­ti cré­dible, responsable. 

Quant au Par­ti socia­liste, sa mon­tée dans la classe ouvrière est direc­te­ment liée avec son alliance avec le P.C.F. S’engager dans une poli­tique trop ouver­te­ment à droite, remettre en cause le Pro­gramme com­mun serait pour lui un sui­cide poli­tique. Il déta­che­rait de lui les nom­breux adhé­rents gagnés par son actuel « cours à gauche ».

P.C. et P.S. ont l’un et l’autre trop besoin de main­te­nir les accords signés pour que la « que­relle » soit autre chose qu’une action dic­tée par la néces­si­té, en cette période post-élec­to­rale, de reprendre en main ses mili­tants pour le pre­mier, d’organiser ses forces pour le second. La « que­relle » n’a de sens que si on a à l’esprit que les élec­tions sont encore loin dans l’avenir, que chaque par­ti cherche à se ren­for­cer, à rééqui­li­brer les forces en vue des pro­chaines consul­ta­tions élec­to­rales. D’ici là, il sera tou­jours temps d’organiser de spec­ta­cu­laires réconciliations… 

Les assises

Presque au même moment où se dérou­lait le congrès du P.C.F., avaient lieu des « Assises pour le socia­lisme » (les 12 et 13 octobre 1974) qui avaient pour objec­tif de ras­sem­bler un cou­rant autour du Par­ti socia­liste par­mi les mili­tants du P.S.U. et de la C.F.D.T.

II fal­lait pro­fi­ter de l’élan don­né par les pré­si­den­tielles pour consti­tuer un grand cou­rant de gauche non com­mu­niste. « Il s’agit, à par­tir d’un texte éla­bo­ré en com­mun sur un pro­jet de socié­té, de ras­sem­bler tous les socia­listes dans le même Par­ti socia­liste », dit Pierre Mau­roy dans l’Unité, n°127. Ce pro­jet fut un échec. Tout au plus a‑t-il per­mis de ral­lier une petite par­tie du P.S.U. et des cadres de la C.F.D.T., ceux qui étaient de toute façon déjà convaincus. 

La par­ti­ci­pa­tion de diri­geants de cette cen­trale, au titre de la C.F.D.T. et sans man­dat, a sou­le­vé une vague de pro­tes­ta­tions à la base. L’opération « congrès du P.S.U. », où le diri­geant de ce par­ti, Michel Roc­card, devait rame­ner ce par­ti au sein du Par­ti socia­liste, a été un fias­co complet.

Tout au plus les assises ont-elles per­mis d’affirmer la voca­tion du P.S. à consti­tuer une alter­na­tive social-démo­crate au Par­ti com­mu­niste. Dans ce sens-là, l’opération a été suf­fi­sam­ment réus­sie pour que le P.C. s’en inquiète. Dans l’Humanité, on peut lire en effet le 25 octobre 1974 : 

« Le mot d’ordre constam­ment répé­té de la néces­si­té d’un pré­ten­du rééqui­li­brage des forces de gauche prend un carac­tère de plus en plus per­ni­cieux parce qu’il com­porte, lui aus­si, l’idée de réduire l’influence communiste. »

Jouant l’indignation ver­tueuse, le Par­ti com­mu­niste déclare que l’émulation, c’est très bien, mais qu’elle « ne peut consis­ter, pour l’un des par­te­naires, à se don­ner pour objec­tif de se ren­for­cer au détri­ment de l’autre pour impo­ser sa volonté ». 

« Nous sommes fon­dés à nous deman­der si tel n’est pas, au-delà de la gauche, l’objectif du Par­ti socia­liste quand nous lisons, dans la décla­ra­tion finale des Assises : “L’heure peut être proche où le socia­lisme fran­çais aura à jouer un rôle déter­mi­nant dans la res­pon­sa­bi­li­té du pou­voir, ce qui revient à dire que le Par­ti socia­liste s’attribuerait le pou­voir de décision.”» 

Pen­dant la cam­pagne élec­to­rale, une vague d’adhésions avait gon­flé les rangs du Par­ti socia­liste. Les Assises n’ont pas contri­bué à les gon­fler beau­coup plus : la mon­tée du P.S. est essen­tiel­le­ment élec­to­rale, pas mili­tante. Voyons rapi­de­ment le pro­ces­sus de cette montée. 

La montée du Parti socialiste

En 1969, le Par­ti socia­liste a envi­ron 50.000 adhé­rents, un nombre infi­ni­ment moins éle­vé de mili­tants. Ses liens avec la classe ouvrière sont très loin­tains, ils n’existent que par les rela­tions du par­ti avec les bureau­cra­ties de la F.E.N. et de F.O.

Le P.S. n’a pas de sec­tions d’entreprise, contrai­re­ment au Par­ti com­mu­niste. Son appa­ri­tion dans les entre­prises est qua­si nulle. C’est une ruine, mais une ruine qui a encore des murs solides. Aux moments les plus bas, il conser­ve­ra envi­ron 15% des voix dans le corps élec­to­ral. Ce qui fait la force du P.S. est son implan­ta­tion dans les muni­ci­pa­li­tés : 30.000 élus locaux se réclament de lui en 1969.

En 1967, une frac­tion se dégage qui affirme la néces­si­té de réno­ver le par­ti. La condi­tion de cette réno­va­tion est l’alliance avec le Par­ti com­mu­niste. Mit­ter­rand repren­dra cette idée en 1971. Au congrès d’Epinay, une majo­ri­té se dégage en faveur de la nou­velle orien­ta­tion, regrou­pant la ten­dance de « gauche » (C.E.RE.S.) et la vieille bureau­cra­tie municipale. 

Le bilan de ce cours nou­veau est posi­tif : le Par­ti socia­liste compte aujourd’hui 140.000 adhé­rents. Des sec­tions se créent dans des régions où le par­ti était jusque-là absent. Des mili­tants du P.S.U. et de la C.F.D.T. adhèrent. Des sec­tions d’entreprise com­mencent à se créer : 800 envi­ron, contre plus de 5.000 pour le par­ti communiste…

Mais c’est sur­tout au niveau élec­to­ral que le P.S. pro­gresse. Aux légis­la­tives de 1973, l’Union de la gauche démo­crate et socia­liste de Mit­ter­rand, alliée au radi­caux de gauche, gagne 1.300.000 élec­teurs sur 1968 et atteint presque le score du P.C. (20,65% pour l’U.G.D.S. contre 21,34% pour le P.C.).

L’électorat du P.S. se rajeu­nit et se déve­loppe dans les villes. Les ouvriers repré­sentent 27% de son élec­to­rat, 1.800.000 voix (contre 2.600.000 pour le P.C.); les employés 21% de son élec­to­rat. Cela signi­fie que 48% des élec­teurs du Par­ti socia­liste sont des tra­vailleurs sou­mis à l’exploitation capitaliste.

Paral­lè­le­ment, le Par­ti socia­liste déve­loppe son influence au plan syn­di­cal, en inci­tant ses adhé­rents à s’inscrire à la C.F.D.T., et en inci­tant les adhé­rents de la C.F.D.T. à s’inscrire au P.S. Pré­ci­sons qu’au niveau de l’appareil diri­geant de la C.F.D.T., les liens existent depuis un cer­tain temps, depuis que le P.S. avait oppor­tu­né­ment choi­si l’option « autogestionnaire ».

Il reste que la capa­ci­té d’organisation et de mobi­li­sa­tion du P.S. reste très faible dans la classe ouvrière. C’est ce qui explique le refus sys­té­ma­tique du Par­ti socia­liste devant toute pro­po­si­tion du Par­ti com­mu­niste visant à une action uni­taire à la base. Le P.S. mon­tre­rait sa fai­blesse à la fois en quan­ti­té et en qua­li­té. Ses mili­tants seraient débor­dés par le nombre et ce serait éga­le­ment une révé­la­tion du faible niveau poli­tique de ses cadres. Fai­sant allu­sion au der­nier congrès du Par­ti socia­liste à Pau, le Par­ti com­mu­niste avait rai­son de dire qu’il « n’a pas été un congrès tour­né vers les luttes, expri­mant la volon­té de com­bat des masses popu­laires, on n’y a pas enten­du la voix des entre­prises, des bureaux…»

C’est pré­ci­sé­ment pour pal­lier cette défi­cience que le P.S. avait orga­ni­sé les Assises avec la col­la­bo­ra­tion empres­sée d’une par­tie impor­tante de la bureau­cra­tie de la C.F.D.T.

Le P.S. dans la C.F.D.T.

La jus­ti­fi­ca­tion des mili­tants de la C.F.D.T. favo­rables à la tenue des Assises était que l’entrée en masse d’adhérents C.F.D.T. au P.S. per­met­trait de contrô­ler et d’orienter le par­ti. L’argument n’a pas convain­cu. La direc­tion de la C.F.D.T. rêve depuis quinze ans d’un par­ti auquel elle pour­rait se rat­ta­cher, dans lequel elle for­me­rait une gauche syn­di­cale, où elle pour­rait impul­ser des orien­ta­tions. Ce rêve ayant échoué, la direc­tion de la C.F.D.T. se trouve désem­pa­rée. Elle avait mal ana­ly­sé la situa­tion, et en par­ti­cu­lier les rai­sons pour les­quelles ses adhé­rents ont voté Mit­ter­rand. Cette mau­vaise ana­lyse tient en grande par­tie à la struc­ture interne de la confé­dé­ra­tion. Il y a une cou­pure énorme entre l’appareil et la base, et l’information ne cir­cule pas. D’autre part, cet appa­reil confé­dé­ral est consti­tué d’une grande quan­ti­té de secré­taires confé­dé­raux, conseillers tech­niques, qui n’ont jamais tra­vaillé, qui n’ont aucune expé­rience syn­di­cale, et qui sont des uni­ver­si­taires ou anciens élèves des grandes écoles : Sciences po ou Ecole natio­nale d’administration.

Après 1968, la C.F.D.T. s’était déve­lop­pée sur des posi­tions « ori­gi­nales », sinon très claires, en oppo­si­tion à celles de la C.G.T. Ces posi­tions ont per­mis de for­mer une frange de mili­tants qui ont mon­tré à tra­vers la grève de Lip leur capa­ci­té d’organisation. À la suite de l’élection pré­si­den­tielle, un accord C.G.T.-C.F.D.T. a été signé qui consti­tue un renie­ment impli­cite de la grève de Lip et qui amène un ali­gne­ment de la C.F.D.T. sur la C.G.T., sur la plu­part des ques­tions : hié­rar­chie, aug­men­ta­tions uni­formes, etc. 

Paral­lè­le­ment, pour contre­ba­lan­cer l’opposition de cer­taines struc­tures de base (sec­tions syn­di­cales, syn­di­cats), par rap­port aux impé­ra­tifs du déve­lop­pe­ment du Par­ti socia­liste, la direc­tion confé­dé­rale ren­force l’appareil : on tente de don­ner le pou­voir aux régions plu­tôt qu’aux syn­di­cats, de limi­ter le rôle de l’interprofessionnel, en déman­te­lant les unions dépar­te­men­tales au pro­fit de struc­tures mieux contrô­lées par l’appareil, en cen­tra­li­sant l’argent, ce qui per­met d’étouffer les syn­di­cats oppositionnels. 

Le résul­tat est que les adhé­rents par­ti­cipent de moins en moins à la vie syn­di­cale. À une récente réunion du syn­di­cat de la métal­lur­gie de la région pari­sienne, il y avait 7 pré­sents, sur 35.000 adhé­rents… Les mili­tants de base ont ten­dance à se replier sur leur sec­tion d’entreprise et à se dés­in­té­res­ser du reste. C’est d’ailleurs ce que veut l’appareil confé­dé­ral : avoir les mains libres. 

La Presse Anarchiste