- Annecy confirme les engagements de la direction C.F.D.T. envers le P.S.
– L’hégémonie ouvrière est repoussée, l’organisation corporative des cadres maintenue
– de leur côté, les travailleurs s’organisent quotidiennement contre toutes les autres classes sociales.
Bref, le congrès a eu lieu. L’orientation est floue, le bilan est sommaire, à l’image du soin que les syndicats ont apporté au travail de préparation.
Les débats préparatoires au congrès ont été réellement lancés à partir du mois de janvier, avec la parution dans Syndicalisme-hebdo de l’avant-projet de résolution générale. La méthode pyramidale d’organisation des débats – de la confédération aux régions et fédérations, puis aux échelons inférieurs, etc. – a rendu quasiment impossible le débat dans les structures syndicales les plus proches des travailleurs, les délais à respecter pour rendre compte des discussions et des prises de position étant trop courts. Ils ne seraient peut-être pas trop courts si les sections, les syndicats, les unions locales avaient des habitudes de travail sur l’orientation du syndicalisme. Mais c’est un problème dont on les invite à se préoccuper seulement au moment des congrès, d’autant que la présence active en leur sein d’éléments « politiques » freine la délibération sur les choix d’une politique ouvrière. Nous reviendrons par la suite sur le sort réservé aux contributions des structures qui avaient préparé le congrès.
Environ 1.900 individus, baptisés pour la circonstance « délégués mandatés » se sont donc retrouvés à Annecy. Ils n’étaient pas seuls. Étaient également invités différents attachés d’ambassades (ceux chargés des affaires sociales, malgré tout), dont un représentant des États-Unis, que le congrès renvoya à ses chers B52. Ne manquait au tableau que le camarade Laurent Lucas, parti combattre le fascisme en Espagne.
Pas de maxime sur les murs. Un seul slogan : « 37e congrès ». Une différence à noter avec les congrès de la C.G.T.: les délégués se placent où ils veulent (pas à la tribune).
De nombreuses délégations étrangères – syndicales celles-là – dont une des syndicats d’Israël que les sifflets des zélés défenseurs des bourgeoisies nationales arabes contraignirent à quitter la salle. Pourquoi lui et pas le D.G.B., les T.U.C. ou la L.O.? Sans doute les siffleurs considèrent-ils qu’il est normal que les organisations syndicales soient à la botte des gouvernements en place.
Les délégations qui recueillirent le plus d’applaudissements furent celles d’Espagne (S.T.V., U.G.T., U.S.O. ; la C.N.T. avait été oubliée par le service international qui ne peut connaître toutes les organisations, surtout celles qui luttent) et un représentant en exil de la C.U.T.
Alternaient avec ces présentations les premières interventions sur la résolution générale, le feu ayant été ouvert par Edmond Maire, il faut noter que les syndicats qui voulaient intervenir sur la résolution générale avaient dû s’inscrire par correspondance quelques semaines avant le congrès, le cachet de la poste déterminant l’ordre de passage. À ces syndicats s’ajoutaient dix fédérations et dix régions qui disposaient du même temps de parole que les syndicats et la C.M.T. et la C.E.S. qui disposaient de plus de temps. Cent soixante-dix inscrits, quatre vingt-six intervenants.
Les interventions sur la résolution générale
Les deux premiers jours du congrès furent donc consacrés aux interventions sur la résolution générale, en huit minutes chaque syndicat intervenant allait essayer de « faire passer » le maximum de réflexions sur un point ou un autre de la résolution générale. C’est à cette occasion qu’apparut le peu de préparation apporté par les syndicats au congrès, encore faut-il préciser que les syndicats qui intervenaient étaient ceux qui avaient préparé ce congrès, mais dans la plupart des cas il s’agissait d’une préparation « spécialisée », tel syndicat intervenait par exemple sur l’union des forces populaires et négligeait la pratique syndicale, ou inversement, et le peu de temps dont disposaient les intervenants n’explique pas le manque de vision globale des syndicats sur les orientations de la C.F.D.T. Beaucoup d’intervenants donnèrent la position de leur structure sur l’U.F.P., des louanges béates alternaient aux critiques les plus fondées, par exemple celles de syndicats qui sont quotidiennement confrontées à des patrons appartenant au P.S. ; sur la pratique syndicale, mêmes différences, certains affirment que la clef pour le socialisme c’est faire des cartes, c’est renforcer l’obéissance des sections au syndicat tandis que d’autres rappellent qu’une grève ou toute autre action ébranlant sérieusement le pouvoir patronal ne peut, ne pourra se faire sans la participation d’un maximum de travailleurs, que c’est bien en associant quotidiennement tous les travailleurs au travail de la section que le syndicalisme offrira à la classe ouvrière toutes les garanties de démocratie qu’un programme, aussi séduisant soit-il, ne peut offrir. À ces interventions il faut ajouter les inévitables prises de paroles folkloriques qui permettent de brouiller les débats et d’utiliser pour ne rien dire le peu de temps disponible. Les régions avaient le souci, avant d’intervenir sur le fond, de présenter la réalité économique et syndicale qu’elles connaissaient ; ces constats permirent aux congressistes de mieux connaître la situation de la C.F.D.T., et surtout d’avoir présent dans l’esprit cette vérité que beaucoup oublient, les syndiqués sont encore aujourd’hui une minorité (pas toujours agissante) au sein de la classe ouvrière.
L’heure de la sortie
Mille neuf cents délégués, mandatés ou non, doivent être logés et nourris ; cette tâche incombait à l’U.D. de Haute-Savoie qui ne put résoudre le problème de la nourriture qu’en « ventilant » les congressistes en petits paquets sur tous les hôtels de la région. Ainsi certains se trouvèrent-ils logés à plus de vingt kilomètres d’Annecy, compte tenu de l’horaire (8 h – 12 h 30 / 14 h 30 – 19 h 30) les possibilités d’échanges se limitaient bien souvent aux discussions de tables. Ces contacts, bien que limités, permirent aux délégués qui ne connaissent pas l’interprofessionnel de découvrir des réalités et des pratiques différentes de celles de leur secteur professionnel.
La salle où se déroulait le congrès était précédée d’un hangar servant d’antichambre où plusieurs stands servaient de points de ralliement pendant les poses : animation audio-visuelle, journaux, tabac, P. et T., Griffet, librairie confédérale (premier au hit parade : Fredo Krumnow), conditions de travail. Près des portes le service d’ordre filtrait inlassablement.
Une seule solution, la résolution
Le troisième jour débuta par la réponse du secrétaire général aux interventions. Orientation clairement définie sur un point : l’union des forces populaires, avec toujours l’autogestion comme référence suprême, mais jamais définie. Les passages les plus clairs étaient les attaques contre tout ce qui sortait d’une ligne confédérale que le congrès devait entériner. Après cette mise au point, le vote sur les amendements pouvait débuter.
La commission des résolutions avait bien travaillé, qu’on en juge : sur 750 amendements, 13 retenus, et quels amendements ! Des textes mal rédigés, prêtant à l’équivoque ou au contraire traduisant des positions peu présentes à la C.F.D.T., en un mot ils ne devaient pas passer, ils ne sont pas passés. Il est également vrai que les amendements n’étaient pas tant présentés pour figurer dans la résolution générale que pour faire un bon score. Le but de l’extrême gauche à ce congrès, c’était : plus de 20 %. Les amendements sont rodés, ils deviendront les chevaux de bataille d’un futur congrès. Le principal souci de bon nombre de militants d’organisations trotskystes étant pour le moment de gagner la confiance de tous pour accéder à des postes de responsabilité, dans cet esprit il est normal que celui qui espère pour bientôt un poste de permanent n’aille pas compromettre des années d’efforts pour un amendement qui n’a pas toutes les chances d’être retenu.
Las d’être toujours confrontés à l’alternative trotskystes ou P.S., bon nombre de délégués votaient sans illusion les amendements en souhaitant un rassemblement d’une gauche syndicale, rassemblement qui se ferait autour de luttes exemplaires comme celles de Lip ou Cerisay. Avec un désintéressement touchant, toutes les organisations d’extrême gauche s’offraient, chacune pour son compte, à être la direction de ce mouvement. Il est évident que tous ces fins politiques sont avides d’élargir leur audience à l’intérieur de la C.F.D.T. en rassemblant ceux qui ont vu sans enthousiasme la prise en main de l’appareil par le P.S.
Finir le congrès
Il fallait élire le bureau national, ce qui fut fait. À noter que les représentants des fédérations signataires du texte dit de contribution au débat furent tous élus, ce qui permettra à la confédération de prendre les mesures les plus droitières avec une équipe de gauche. Les commissions sur les conditions de travail ne permirent pas une avancée de la réflexion des congressistes à cause des conditions de travail au sein de ces commissions (300 personnes intervenant n’importe comment, sur n’importe quoi). Il y eut encore à amender et voter la résolution action, même combat, en plus rapide, que pour la résolution générale, voter un rapport financier que seuls les permanents comprenaient et le dernier jour se termina par un discours de G. Declercq qui occupa la scène tandis que les congressistes les plus rusés disparaissaient de la salle, laissant le syndicaliste en liberté à ses métaphores de banquet du rotary. Il ne restait plus qu’à chanter l’Internationale, ce que tout le monde fit en hâte, tout le congrès remarqua la prudente réserve des membres de la commission exécutive qui s’abstenaient de lever le poing devant les caméras de la télévision. C’est peut-être cela le commencement de l’union des forces populaires.