La Presse Anarchiste

Gardarem lo PS

- Anne­cy confirme les enga­ge­ments de la direc­tion C.F.D.T. envers le P.S.
– L’hégémonie ouvrière est repous­sée, l’organisation cor­po­ra­tive des cadres maintenue
– de leur côté, les tra­vailleurs s’organisent quo­ti­dien­ne­ment contre toutes les autres classes sociales.


Tirer le bilan de trois ans d’activité en soixante inter­ven­tions, défi­nir une orien­ta­tion pour les trois années à venir en deux jours et treize amen­de­ments, tel fut le rôle dévo­lu au XXXVIIe congrès de la C.F.D.T.

Bref, le congrès a eu lieu. L’orientation est floue, le bilan est som­maire, à l’image du soin que les syn­di­cats ont appor­té au tra­vail de préparation. 

Les débats pré­pa­ra­toires au congrès ont été réel­le­ment lan­cés à par­tir du mois de jan­vier, avec la paru­tion dans Syn­di­ca­lisme-heb­do de l’avant-projet de réso­lu­tion géné­rale. La méthode pyra­mi­dale d’organisation des débats – de la confé­dé­ra­tion aux régions et fédé­ra­tions, puis aux éche­lons infé­rieurs, etc. – a ren­du qua­si­ment impos­sible le débat dans les struc­tures syn­di­cales les plus proches des tra­vailleurs, les délais à res­pec­ter pour rendre compte des dis­cus­sions et des prises de posi­tion étant trop courts. Ils ne seraient peut-être pas trop courts si les sec­tions, les syn­di­cats, les unions locales avaient des habi­tudes de tra­vail sur l’orientation du syn­di­ca­lisme. Mais c’est un pro­blème dont on les invite à se pré­oc­cu­per seule­ment au moment des congrès, d’autant que la pré­sence active en leur sein d’éléments « poli­tiques » freine la déli­bé­ra­tion sur les choix d’une poli­tique ouvrière. Nous revien­drons par la suite sur le sort réser­vé aux contri­bu­tions des struc­tures qui avaient pré­pa­ré le congrès. 

Envi­ron 1.900 indi­vi­dus, bap­ti­sés pour la cir­cons­tance « délé­gués man­da­tés » se sont donc retrou­vés à Anne­cy. Ils n’étaient pas seuls. Étaient éga­le­ment invi­tés dif­fé­rents atta­chés d’ambassades (ceux char­gés des affaires sociales, mal­gré tout), dont un repré­sen­tant des États-Unis, que le congrès ren­voya à ses chers B52. Ne man­quait au tableau que le cama­rade Laurent Lucas, par­ti com­battre le fas­cisme en Espagne.

Pas de maxime sur les murs. Un seul slo­gan : « 37e congrès ». Une dif­fé­rence à noter avec les congrès de la C.G.T.: les délé­gués se placent où ils veulent (pas à la tribune). 

De nom­breuses délé­ga­tions étran­gères – syn­di­cales celles-là – dont une des syn­di­cats d’Israël que les sif­flets des zélés défen­seurs des bour­geoi­sies natio­nales arabes contrai­gnirent à quit­ter la salle. Pour­quoi lui et pas le D.G.B., les T.U.C. ou la L.O.? Sans doute les sif­fleurs consi­dèrent-ils qu’il est nor­mal que les orga­ni­sa­tions syn­di­cales soient à la botte des gou­ver­ne­ments en place. 

Les délé­ga­tions qui recueillirent le plus d’applaudissements furent celles d’Espagne (S.T.V., U.G.T., U.S.O. ; la C.N.T. avait été oubliée par le ser­vice inter­na­tio­nal qui ne peut connaître toutes les orga­ni­sa­tions, sur­tout celles qui luttent) et un repré­sen­tant en exil de la C.U.T.

Alter­naient avec ces pré­sen­ta­tions les pre­mières inter­ven­tions sur la réso­lu­tion géné­rale, le feu ayant été ouvert par Edmond Maire, il faut noter que les syn­di­cats qui vou­laient inter­ve­nir sur la réso­lu­tion géné­rale avaient dû s’inscrire par cor­res­pon­dance quelques semaines avant le congrès, le cachet de la poste déter­mi­nant l’ordre de pas­sage. À ces syn­di­cats s’ajoutaient dix fédé­ra­tions et dix régions qui dis­po­saient du même temps de parole que les syn­di­cats et la C.M.T. et la C.E.S. qui dis­po­saient de plus de temps. Cent soixante-dix ins­crits, quatre vingt-six intervenants. 

Les interventions sur la résolution générale

Les deux pre­miers jours du congrès furent donc consa­crés aux inter­ven­tions sur la réso­lu­tion géné­rale, en huit minutes chaque syn­di­cat inter­ve­nant allait essayer de « faire pas­ser » le maxi­mum de réflexions sur un point ou un autre de la réso­lu­tion géné­rale. C’est à cette occa­sion qu’apparut le peu de pré­pa­ra­tion appor­té par les syn­di­cats au congrès, encore faut-il pré­ci­ser que les syn­di­cats qui inter­ve­naient étaient ceux qui avaient pré­pa­ré ce congrès, mais dans la plu­part des cas il s’agissait d’une pré­pa­ra­tion « spé­cia­li­sée », tel syn­di­cat inter­ve­nait par exemple sur l’union des forces popu­laires et négli­geait la pra­tique syn­di­cale, ou inver­se­ment, et le peu de temps dont dis­po­saient les inter­ve­nants n’explique pas le manque de vision glo­bale des syn­di­cats sur les orien­ta­tions de la C.F.D.T. Beau­coup d’intervenants don­nèrent la posi­tion de leur struc­ture sur l’U.F.P., des louanges béates alter­naient aux cri­tiques les plus fon­dées, par exemple celles de syn­di­cats qui sont quo­ti­dien­ne­ment confron­tées à des patrons appar­te­nant au P.S. ; sur la pra­tique syn­di­cale, mêmes dif­fé­rences, cer­tains affirment que la clef pour le socia­lisme c’est faire des cartes, c’est ren­for­cer l’obéissance des sec­tions au syn­di­cat tan­dis que d’autres rap­pellent qu’une grève ou toute autre action ébran­lant sérieu­se­ment le pou­voir patro­nal ne peut, ne pour­ra se faire sans la par­ti­ci­pa­tion d’un maxi­mum de tra­vailleurs, que c’est bien en asso­ciant quo­ti­dien­ne­ment tous les tra­vailleurs au tra­vail de la sec­tion que le syn­di­ca­lisme offri­ra à la classe ouvrière toutes les garan­ties de démo­cra­tie qu’un pro­gramme, aus­si sédui­sant soit-il, ne peut offrir. À ces inter­ven­tions il faut ajou­ter les inévi­tables prises de paroles folk­lo­riques qui per­mettent de brouiller les débats et d’utiliser pour ne rien dire le peu de temps dis­po­nible. Les régions avaient le sou­ci, avant d’intervenir sur le fond, de pré­sen­ter la réa­li­té éco­no­mique et syn­di­cale qu’elles connais­saient ; ces constats per­mirent aux congres­sistes de mieux connaître la situa­tion de la C.F.D.T., et sur­tout d’avoir pré­sent dans l’esprit cette véri­té que beau­coup oublient, les syn­di­qués sont encore aujourd’hui une mino­ri­té (pas tou­jours agis­sante) au sein de la classe ouvrière. 

L’heure de la sortie

Mille neuf cents délé­gués, man­da­tés ou non, doivent être logés et nour­ris ; cette tâche incom­bait à l’U.D. de Haute-Savoie qui ne put résoudre le pro­blème de la nour­ri­ture qu’en « ven­ti­lant » les congres­sistes en petits paquets sur tous les hôtels de la région. Ain­si cer­tains se trou­vèrent-ils logés à plus de vingt kilo­mètres d’Annecy, compte tenu de l’horaire (8 h – 12 h 30 /​ 14 h 30 – 19 h 30) les pos­si­bi­li­tés d’échanges se limi­taient bien sou­vent aux dis­cus­sions de tables. Ces contacts, bien que limi­tés, per­mirent aux délé­gués qui ne connaissent pas l’interprofessionnel de décou­vrir des réa­li­tés et des pra­tiques dif­fé­rentes de celles de leur sec­teur professionnel. 

La salle où se dérou­lait le congrès était pré­cé­dée d’un han­gar ser­vant d’antichambre où plu­sieurs stands ser­vaient de points de ral­lie­ment pen­dant les poses : ani­ma­tion audio-visuelle, jour­naux, tabac, P. et T., Grif­fet, librai­rie confé­dé­rale (pre­mier au hit parade : Fre­do Krum­now), condi­tions de tra­vail. Près des portes le ser­vice d’ordre fil­trait inlassablement. 

Une seule solution, la résolution

Le troi­sième jour débu­ta par la réponse du secré­taire géné­ral aux inter­ven­tions. Orien­ta­tion clai­re­ment défi­nie sur un point : l’union des forces popu­laires, avec tou­jours l’autogestion comme réfé­rence suprême, mais jamais défi­nie. Les pas­sages les plus clairs étaient les attaques contre tout ce qui sor­tait d’une ligne confé­dé­rale que le congrès devait enté­ri­ner. Après cette mise au point, le vote sur les amen­de­ments pou­vait débuter. 

La com­mis­sion des réso­lu­tions avait bien tra­vaillé, qu’on en juge : sur 750 amen­de­ments, 13 rete­nus, et quels amen­de­ments ! Des textes mal rédi­gés, prê­tant à l’équivoque ou au contraire tra­dui­sant des posi­tions peu pré­sentes à la C.F.D.T., en un mot ils ne devaient pas pas­ser, ils ne sont pas pas­sés. Il est éga­le­ment vrai que les amen­de­ments n’étaient pas tant pré­sen­tés pour figu­rer dans la réso­lu­tion géné­rale que pour faire un bon score. Le but de l’extrême gauche à ce congrès, c’était : plus de 20 %. Les amen­de­ments sont rodés, ils devien­dront les che­vaux de bataille d’un futur congrès. Le prin­ci­pal sou­ci de bon nombre de mili­tants d’organisations trots­kystes étant pour le moment de gagner la confiance de tous pour accé­der à des postes de res­pon­sa­bi­li­té, dans cet esprit il est nor­mal que celui qui espère pour bien­tôt un poste de per­ma­nent n’aille pas com­pro­mettre des années d’efforts pour un amen­de­ment qui n’a pas toutes les chances d’être retenu. 

Las d’être tou­jours confron­tés à l’alternative trots­kystes ou P.S., bon nombre de délé­gués votaient sans illu­sion les amen­de­ments en sou­hai­tant un ras­sem­ble­ment d’une gauche syn­di­cale, ras­sem­ble­ment qui se ferait autour de luttes exem­plaires comme celles de Lip ou Ceri­say. Avec un dés­in­té­res­se­ment tou­chant, toutes les orga­ni­sa­tions d’extrême gauche s’offraient, cha­cune pour son compte, à être la direc­tion de ce mou­ve­ment. Il est évident que tous ces fins poli­tiques sont avides d’élargir leur audience à l’intérieur de la C.F.D.T. en ras­sem­blant ceux qui ont vu sans enthou­siasme la prise en main de l’appareil par le P.S.

Finir le congrès

Il fal­lait élire le bureau natio­nal, ce qui fut fait. À noter que les repré­sen­tants des fédé­ra­tions signa­taires du texte dit de contri­bu­tion au débat furent tous élus, ce qui per­met­tra à la confé­dé­ra­tion de prendre les mesures les plus droi­tières avec une équipe de gauche. Les com­mis­sions sur les condi­tions de tra­vail ne per­mirent pas une avan­cée de la réflexion des congres­sistes à cause des condi­tions de tra­vail au sein de ces com­mis­sions (300 per­sonnes inter­ve­nant n’importe com­ment, sur n’importe quoi). Il y eut encore à amen­der et voter la réso­lu­tion action, même com­bat, en plus rapide, que pour la réso­lu­tion géné­rale, voter un rap­port finan­cier que seuls les per­ma­nents com­pre­naient et le der­nier jour se ter­mi­na par un dis­cours de G. Declercq qui occu­pa la scène tan­dis que les congres­sistes les plus rusés dis­pa­rais­saient de la salle, lais­sant le syn­di­ca­liste en liber­té à ses méta­phores de ban­quet du rota­ry. Il ne res­tait plus qu’à chan­ter l’Internationale, ce que tout le monde fit en hâte, tout le congrès remar­qua la pru­dente réserve des membres de la com­mis­sion exé­cu­tive qui s’abstenaient de lever le poing devant les camé­ras de la télé­vi­sion. C’est peut-être cela le com­men­ce­ment de l’union des forces populaires.

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