La Presse Anarchiste

Le PCF face aux monopoles

Le Par­ti com­mu­niste a tenu son XXIIe Congrès. De nom­breux com­men­ta­teurs l’ont pré­sen­té comme un tour­nant impor­tant, à cause des dis­tances que le par­ti a prises par rap­port à l’U.R.S.S., du sou­tien à Leo­nid Pliouchtch et, sur­tout de l’a­ban­don de la notion de dic­ta­ture du prolétariat. 

Cela semble d’au­tant plus impor­tant que le Par­ti com­mu­niste est connu pour avoir été l’un de ceux qui se sont le plus fidè­le­ment ali­gnés sur l’U.R.S.S.

Pour sai­sir la mul­ti­pli­ci­té des fac­teurs qui peuvent expli­quer ces chan­ge­ments d’o­rien­ta­tion, un retour en arrière est nécessaire. 

Le rap­port des forces inter­na­tio­nales en 1976 s’est consi­dé­ra­ble­ment modi­fié par rap­port à 1920. De même, la géné­ra­tion des mili­tants — et des diri­geants — for­més dans la période sta­li­nienne des années trente cède la place à ceux for­més dans la résis­tance et après.

Le capi­ta­lisme a subi de pro­fondes muta­tions, de même que la classe ouvrière. Mais l’élé­ment le plus impor­tant est, depuis quelques années, la remon­tée spec­ta­cu­laire du Par­ti socia­liste qui, révé­lé lors du congrès pré­cé­dent, [consti­tue] un concur­rent du P.C. même dans la classe ouvrière. Les débats du XXIe congrès du P.C. avaient été lar­ge­ment domi­nés par les effets du rééqui­li­brage de la gauche qui s’é­tait effec­tué aux dépens du Par­ti com­mu­niste. Le mono­pole de ce der­nier sur la classe ouvrière com­men­çait à lui être contes­té, chose qu’il ne peut en aucun cas accepter. 

Le XXIIe congrès vise avant tout à faire le bilan des efforts effec­tués par le Par­ti com­mu­niste pour rat­tra­per le ter­rain per­du. « Le P.C.F. est bien le seul à se récla­mer de la classe ouvrière », a dit un délé­gué du XXIIe congrès.

le Par­ti vise à se déve­lop­per conjoin­te­ment dans les entre­prises et dans les couches « non mono­po­listes » de la bour­geoi­sie. La cam­pagne sur les liber­tés, le rejet de la dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat doivent pré­sen­ter le Par­ti aux couches petites bour­geoises comme le cham­pion de la liber­té. Pour cela, il doit faire de la sur­en­chère au Par­ti socia­liste, ce qui implique quelques conces­sions, qui n’en­gagent fina­le­ment pas beau­coup, telles que la condam­na­tion des camps et les déten­tions poli­tiques en U.R.S.S. Mais est-ce suf­fi­sant pour dire que ce par­ti a fon­da­men­ta­le­ment changé ?

Fluctuations et croissance

Le Par­ti com­mu­niste – sec­tion fran­çaise de l’Internationale com­mu­niste – des pre­mières années, une fois débar­ras­sé de la géné­ra­tion issue de la social-démo­cra­tie et celle issue du syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire, est un par­ti faible, mino­ri­taire, ultra-gau­chiste, les deux pre­miers qua­li­fi­ca­tifs expli­quant le troi­sième. Avec l’appui maté­riel et humain de l’U­nion sovié­tique, il va tout mettre en œuvre pour se déve­lop­per. De fait, l’his­toire du Par­ti com­mu­niste est liée dès le début à deux séries de faits : les fluc­tua­tions de la poli­tique inter­na­tio­nale et les rap­ports avec l’U­nion sovié­tique ; la stra­té­gie de prise de contrôle des orga­ni­sa­tions de masse du pro­lé­ta­riat français. 

Le Parti communiste et l’URSS

Le des­tin du Par­ti com­mu­niste a tou­jours lié à celui de l’URSS. Les 21 condi­tions d’ad­mis­sion à l’In­ter­na­tio­nale com­mu­niste sont sans ambi­guï­té : chaque par­ti natio­nal est étroi­te­ment subor­don­né aux direc­tives de l’ap­pa­reil cen­tral de l’In­ter­na­tio­nale. Cette der­nière était conçue dès le début comme l’ou­til de prise de pou­voir à l’é­chelle mon­diale, comme un par­ti mon­dial du prolétariat.

C’é­tait l’é­tat-major d’une armée de pro­lé­taires dont chaque par­ti natio­nal n’é­tait qu’une divi­sion affec­tée à un sec­teur du front mondial. 

Les rap­ports de l’In­ter­na­tio­nale avec ses sec­tions natio­nales étaient du même type que ceux qui relient les diverses ins­tances à l’intérieur d’une même orga­ni­sa­tion centralisée. 

L’exé­cu­tif de l’In­ter­na­tio­nale enten­dait être infor­mé dans le détail de toutes les acti­vi­tés poli­tiques, idéo­lo­giques, d’or­ga­ni­sa­tion du par­ti fran­çais. Il enten­dait aus­si déci­der en matière de stra­té­gie : c’é­tait d’ailleurs la tâche spé­ci­fique dès congrès. Il est impos­sible d’a­na­ly­ser la poli­tique du Par­ti com­mu­niste sans avoir à l’es­prit les résul­tats des dif­fé­rentes déli­bé­ra­tions du Komin­tern. L’exé­cu­tif de l’In­ter­na­tio­nale. enten­dait éga­le­ment déci­der en matière de tac­tique élec­to­rale et syn­di­cale, et en matière d’or­ga­ni­sa­tion. Les pro­blèmes de direc­tion, de postes de res­pon­sa­bi­li­té étaient abor­dés nomi­na­ti­ve­ment et tran­chés à Moscou. 

Au cours de la Deuxième Guerre mon­diale, l’In­ter­na­tio­nale allait être dis­soute (en 1943). À cela, des rai­sons pra­tiques : les liai­sons deve­naient de plus en plus dif­fi­ciles à cause de la guerre ; mais aus­si des rai­sons de poli­tique inter­na­tio­nale : cela per­met­tait de déve­lop­per la stra­té­gie d’u­nion natio­nale consé­cu­tive à la guerre. Les com­mu­nistes met­taient l’ac­cent sur l’u­ni­té patrio­tique anti­fas­ciste, ce qui por­tait en par­ti­cu­lier le Par­ti com­mu­niste au gou­ver­ne­ment de recons­truc­tion natio­nale en France. 

La sup­pres­sion du Komin­tern sup­pri­mait éga­le­ment tout inter­mé­diaire entre les par­tis natio­naux et le par­ti sovié­tique. Le bureau poli­tique sovié­tique pou­vait sur­veiller dans le détail à la fois les par­tis com­mu­nistes des pays d’Eu­rope de l’Est sous influence sovié­tique directe, et les par­tis des pays d’Eu­rope de l’Ouest où les com­mu­nistes par­ti­ci­paient ou aspi­raient à par­ti­ci­per à des gou­ver­ne­ments de coalition. 

La dis­so­lu­tion de l’In­ter­na­tio­nale devait donc res­ser­rer les liens entre les par­tis natio­naux et le Centre, car il s’a­gis­sait plus que jamais, dans les condi­tions de la guerre et de l’a­près-guerre, de défendre l’U­nion sovié­tique. Alors que le bureau de l’In­ter­na­tio­nale com­mu­niste avait été (for­mel­le­ment) auto­nome, les fonc­tions du Komin­tern sont main­te­nant trans­fé­rées à un ser­vice du Comi­té cen­tral du Par­ti sovié­tique. Le contrôle est plus étroit que jamais. 

Ce n’est que dans ce cadre-là que la poli­tique d’a­près-guerre du Par­ti com­mu­niste fran­çais peut se com­prendre. Cela montre com­bien sont fausses les ana­lyses qui réduisent cette poli­tique à une volon­té ser­vile de se rendre utile à la bourgeoisie. 

Le contrôle des organisations de masse

Il est impos­sible de com­prendre ce qu’est le Par­ti com­mu­niste fran­çais sans se réfé­rer à l’é­vo­lu­tion qui l’a conduit à obte­nir le contrôle sur la CGT. Ce contrôle est d’une impor­tance vitale car pen­dant long­temps on pou­vait dire que qui contrô­lait la CGT contrô­lait la classe ouvrière fran­çaise. Et cela reste encore aujourd’­hui lar­ge­ment vrai. 

Au début de la révo­lu­tion russe le pro­blème consis­tait à ral­lier les mili­tants syn­di­ca­listes révo­lu­tion­naires, l’élé­ment le plus dyna­mique dans le mou­ve­ment ouvrier fran­çais. Ceux-ci pen­saient que le syn­di­ca­lisme suf­fit à tout, qu’il peut conduire la classe ouvrière à la révo­lu­tion sociale et à la créa­tion d’une socié­té sans classe. Rien n’é­tait plus oppo­sé aux concep­tions bol­che­viques qui déve­lop­paient. la théo­rie de la subor­di­na­tion du syn­di­cat au par­ti, seul centre de direc­tion du mou­ve­ment ouvrier. 

Or, au début de la révo­lu­tion russe, le manque d’in­for­ma­tion aidant, les syn­di­ca­listes révo­lu­tion­naires fran­çais voyaient dans les soviets en Rus­sie une appli­ca­tion aux condi­tions de ce pays, de leurs propres prin­cipes. D’une façon géné­rale la notion d’in­dé­pen­dance syn­di­cale était trop forte dans le mou­ve­ment ouvrier fran­çais pour que les bol­che­viks russes puissent s’y oppo­ser de front. 

Dans la C.G.T.U., issue d’une scis­sion de la C.G.T. en 1921, les com­mu­nistes ten­te­ront de faire adop­ter leurs positions. 

En 1929 au Xe Plé­num du Comi­té exé­cu­tif de l’In­ter­na­tio­nale réuni à Mos­cou, un texte est rédi­gé que les com­mu­nistes fran­çais doivent défendre au congrès de la C.G.T.U.

« Le congrès pré­cise enfin, sa déter­mi­na­tion de tra­vailler sur tous les ter­rains en accord étroit avec le Par­ti com­mu­niste, seul par­ti du pro­lé­ta­riat et de la lutte des classes révo­lu­tion­naires, qui au tra­vers de toutes les batailles de la période écou­lée, a conquis sa place de seule avant-garde pro­lé­ta­rienne diri­geante du mou­ve­ment ouvrier. »

Les com­mu­nistes fran­çais, connais­sant les condi­tions propres au mou­ve­ment ouvrier de leur pays, n’é­taient pas très enthou­siastes à faire adop­ter aux syn­di­cats de la C.G.T.U. une telle pro­po­si­tion. Ils ajou­tèrent de leur propre ini­tia­tive un para­graphe qui en atté­nue les effets, dans lequel il est dit que la recon­nais­sance du rôle diri­geant du par­ti « ne sau­rait être inter­pré­tée comme la subor­di­na­tion du mou­ve­ment syn­di­cal », etc. Le Komin­tern dénon­ça vio­lem­ment cette ini­tia­tive et exi­gea que la sec­tion fran­çaise condam­nât cette faute politique :

« Soi-disant des­ti­née à dis­si­per la confu­sion qui régnait au sein de la majo­ri­té confé­dé­rale, cette adjonc­tion atté­nue et révise en fait la défi­ni­tion du rôle diri­geant qui était conte­nu dans le texte pri­mi­tif. Elle est dans son fond une conces­sion à la mino­ri­té et aux élé­ments hési­tants de la majo­ri­té et doit être abso­lu­ment reje­tée par les com­mu­nistes. » (Cahiers du bol­che­visme, janv. 1930.)

Les méthodes bolcheviques dans le mouvement syndical

La suite des évé­ne­ments allait mettre en évi­dence la défaite théo­rique des concep­tions bol­che­viques, et leur vic­toire pra­tique. Sous la pous­sée de l’opinion ouvrière, le Par­ti com­mu­niste allait renon­cer à pro­cla­mer la pré­émi­nence du par­ti, pour se conten­ter de mettre le prin­cipe en application. 

La réuni­fi­ca­tion syn­di­cale de 1936 indi­quait en théo­rie le retour à la concep­tion tra­di­tion­nelle du syn­di­ca­lisme en France, uni­taire, de masse. En réa­li­té, cette réuni­fi­ca­tion allait ser­vir au P.C., ins­tru­ment de com­bat désor­mais rodé, pour se lan­cer à l’as­saut des postes de commande. 

Tra­di­tion­nel­le­ment dans le mou­ve­ment ouvrier fran­çais exis­taient deux cou­rants : le socia­lisme réfor­miste qui s’oc­cu­pait sur­tout d’é­lec­tions mais qui avait aus­si une branche syn­di­cale ; le syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire qui ne s’oc­cu­pait pas du tout d’é­lec­tions et ne se consa­crait qu’au syndicalisme. 

Sur le ter­rain syn­di­cal, les deux cou­rants se fai­saient concur­rence, mais cette concur­rence fai­sait par­tie des règles du jeu. Le par­ti socia­liste n’a­vait pas de poli­tique glo­bale d’ac­tion dans les syn­di­cats, les mili­tants socia­listes dans les syn­di­cats agis­saient en conscience, n’é­taient pas tenus à une dis­ci­pline stricte d’or­ga­ni­sa­tion. Les luttes de ten­dance expri­maient des oppo­si­tions nées sur le ter­rain même du syn­di­ca­lisme, à par­tir de pro­blèmes propres au syn­di­cat, et non des diver­gences stra­té­giques éla­bo­rées par des états-majors exté­rieurs au mou­ve­ment syndical. 

Les com­mu­nistes allaient intro­duire des méthodes qui modi­fie­ront les règles du jeu et devant les­quelles socia­listes et syn­di­ca­listes révo­lu­tion­naires se trou­vèrent com­plè­te­ment désem­pa­rés, inca­pables de réagir ; les uns comme les autres furent fina­le­ment balayés de leurs posi­tions fortes. 

La clef de cette réus­site réside bien sûr dans l’ins­tru­ment for­mé par le Par­ti com­mu­niste ; mais la méthode de péné­tra­tion repo­sait plus pré­ci­sé­ment sur deux éléments : 

1) Les fractions

Une frac­tion est l’organisation spé­ci­fique des mili­tants com­mu­nistes qui se trou­ve­raient dans une orga­ni­sa­tion exté­rieure au Par­ti (syn­di­cats, coopé­ra­tives, asso­cia­tions diverses), des­ti­née à aug­men­ter l’in­fluence du Par­ti et à appli­quer, sa poli­tique. « La frac­tion, en accord avec le Comi­té cor­res­pon­dant du Par­ti, pré­sente des can­di­dats à tous les postes impor­tants de l’organisation dans laquelle elle tra­vaille. » (Sta­tuts de 1925.) Autre­ment dit, la frac­tion est des­ti­née à appli­quer, sans pou­voir auto­nome, la poli­tique du par­ti dans toute orga­ni­sa­tion exté­rieure au parti. 

2) Les cadres polyvalents

Dans la concep­tion léni­niste, le par­ti est une armée dont les mili­tants sont les sol­dats. Depuis la bol­che­vi­sa­tion en 1924, le Par­ti dis­po­sait d’une réserve très mobile de cadres poly­va­lents et per­ma­nents. La réuni­fi­ca­tion de la G.G.T. inter­vient à une époque où l’é­norme gon­fle­ment des effec­tifs syn­di­caux, à la suite du front popu­laire, pro­voque un débor­de­ment de l’en­ca­dre­ment des struc­tures syn­di­cales : les mili­tants ne sont pas pré­pa­rés à accueillir cette ruée. 

Le par­ti va uti­li­ser ses cadres pro­fes­sion­nels ; il cen­tra­lise l’in­for­ma­tion, envoie des hommes là où des postes sont à pour­voir, dis­tri­bue les forces ; le rôle des frac­tions est d’imposer les cadres para­chu­tés. L’im­pré­pa­ra­tion des adhé­rents nou­veaux, les flot­te­ments pro­vo­qués par l’af­flux bru­tal d’adhé­rents sont mis à profit. 

Les struc­tures hori­zon­tales, inter­pro­fes­sion­nelles, jouent un rôle capi­tal dans le pro­ces­sus d’in­ves­tis­se­ment. Les unions locales, dépar­te­men­tales, moins spé­cia­li­sées, plus indif­fé­ren­ciées que les struc­tures pro­fes­sion­nelles, servent de base d’action. 

En peu de temps, la qua­si-tota­li­té de la confé­dé­ra­tion est diri­gée par les mili­tants com­mu­nistes. Aus­si le ton change-t-il ; il n’est plus néces­saire de pro­cla­mer la subor­di­na­tion du syn­di­cat au par­ti. On ajoute une clause aux sta­tuts de la Confé­dé­ra­tion qui sti­pule que le mou­ve­ment syn­di­cal s’ad­mi­nistre dans l’in­dé­pen­dance : ce qui compte, c’est le contrôle effectif. 

C’est à par­tir de 1936 que se des­sine l’i­mage de la C.G.T. d’au­jourd’­hui, où la notion d’in­dé­pen­dance du syn­di­cat, héri­tée du mou­ve­ment ouvrier fran­çais, est pro­cla­mée, mais où les méthodes de contrôle héri­tées du léni­nisme sont appli­quées de façon dis­crète (pas tou­jours) mais efficace. 

Le PCF aujourd’hui

La poli­tique du P.C..F. aujourd’­hui est sans ambi­guï­té, elle se résume à la défense de l’in­té­rêt natio­nal, du capi­tal natio­nal. L’exemple du Concorde est carac­té­ris­tique mais loin d’être le seul : à la tri­bune du congrès, un pilote de ligne, annon­çant l’au­to­ri­sa­tion du sur­vol du ter­ri­toire amé­ri­cain, fut accla­mé fré­né­ti­que­ment. Les hési­ta­tions du gou­ver­ne­ment et de l’o­pi­nion publique amé­ri­cains étaient sui­vis de très près, et un refus aurait été inter­pré­té comme un acte d’hos­ti­li­té de l’im­pé­ria­lisme amé­ri­cain contre l’in­dus­trie et la tech­nique fran­çaises (et anglaises aus­si, peut-être). 

La pers­pec­tive dans laquelle se situe l’ar­gu­men­ta­tion du Par­ti com­mu­niste est celle de la construc­tion d’un régime capi­ta­liste d’État.

La poli­tique géné­rale de De Gaulle a visé à débar­ras­ser la France de ses colo­nies, qui consti­tuaient un poids mort et une entrave à son déve­lop­pe­ment éco­no­mique, et à créer les bases d’une indus­trie moderne, concen­trée et com­pé­ti­tive. Le pays, enli­sé dans ses pro­blèmes colo­niaux, avait accu­mu­lé un retard consi­dé­rable dans ce domaine. 

Cepen­dant, le déve­lop­pe­ment de la com­pé­ti­ti­vi­té de l’in­dus­trie fran­çaise s’est accom­pa­gné d’un contrôle accru du capi­tal amé­ri­cain sur l’é­co­no­mie. Le VIe Plan sti­pu­lait que les inves­tis­se­ments directs des États-Unis pour­raient dou­bler de la période 1964 – 1967 prise comme base de réfé­rence, à 1975. 

Face à cette situa­tion, le Par­ti com­mu­niste déve­loppe une ana­lyse en deux points. 

Le capitalisme de monopoles

L’é­co­no­mie fran­çaise est domi­née par quelques mono­poles diri­gés par le capi­tal amé­ri­cain. La classe capi­ta­liste en tant que telle est divi­sée en deux caté­go­ries oppo­sées. Il y a celle qui pro­fite direc­te­ment de la « dila­pi­da­tion du patri­moine natio­nal par le capi­tal U.S. », et celle qui est vic­time de cette dilapidation. 

Il y a une frac­tion de la bour­geoi­sie fran­çaise qui est direc­te­ment liée aux mono­poles mul­ti­na­tio­naux, c’est celle qui dirige actuel­le­ment, la France. C’est elle qui repré­sente le « grand capi­tal » qu’il faut com­battre. Mais il y a aus­si le petit capi­tal qui est, au même titre que le pro­lé­ta­riat, vic­time des grands mono­poles, et dont la classe ouvrière doit cher­cher l’alliance. 

Le terme « petit capi­tal » ne désigne pas la petite bour­geoi­sie arti­sa­nale et com­mer­ciale, mais tout le capi­tal qui n’ap­par­tient pas aux grands mono­poles, toute la par­tie du capi­tal natio­nal qui est sus­cep­tible d’une alliance avec la classe ouvrière. 

La stra­té­gie qui découle d’une telle ana­lyse est claire : on doit for­mer une vaste alliance anti-mono­po­liste s’é­ten­dant de la classe ouvrière et la pay­san­ne­rie à toutes les frac­tions de la bour­geoi­sie qui ne sont pas liées aux grands monopoles. 

L’État

À cette ana­lyse cor­res­pond éga­le­ment une concep­tion par­ti­cu­lière du rôle de l’É­tat. L’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion du capi­tal et sa concen­tra­tion conduit à un accrois­se­ment consi­dé­rable du rôle de l’É­tat. L’É­tat aujourd’hui sert aux grands mono­poles mul­ti­na­tio­naux pour assu­rer leur domi­na­tion sur le capi­tal national. 

Dans la concep­tion du P.C.F., l’in­ter­ven­tion de l’État est com­prise comme une fonc­tion tech­nique, neutre. Les rap­ports de l’É­tat et des mono­poles sont sai­sis comme un détour­ne­ment des fonc­tions éco­no­miques de l’É­tat en faveur des grands monopoles. 

La signi­fi­ca­tion pra­tique de cette théo­rie est que les fonc­tions tech­niques de l’É­tat, actuel­le­ment détour­nées, peuvent être uti­li­sées au pro­fit des inté­rêts natio­naux par un simple chan­ge­ment de pou­voir politique. 

En d’autres termes, une fois que nous aurons chas­sé la poi­gnée d’u­sur­pa­teurs qui gou­verne au nom des mono­poles, on pour­ra uti­li­ser l’É­tat pour ser­vir les inté­rêts réels de la nation. 

De telles posi­tions n’ont de sens que dans un pays ayant atteint un degré rela­ti­ve­ment éle­vé de déve­lop­pe­ment des forces pro­duc­tives et de concen­tra­tion du capi­tal. Cette poli­tique est par­fai­te­ment adap­tée au moment, aux condi­tions actuelles de crise géné­ra­li­sée de l’é­co­no­mie capi­ta­liste mon­diale. En cas d’ap­pro­fon­dis­se­ment de la crise, la seule pos­si­bi­li­té de sur­vie du capi­ta­lisme sera dans une inter­ven­tion géné­ra­li­sée de l’É­tat dans l’é­co­no­mie qui impo­se­ra des mesures de natio­na­li­sa­tion très poussées. 

Le Par­ti com­mu­niste est le seul à pou­voir accom­plir ce pro­gramme, et sa nature même le pré­dis­pose à rem­plir cette tâche. 

Sou­li­gnons com­bien sont fausses les théo­ries qui assignent au P.C.F. la fonc­tion d’agent du capi­tal pri­vé dans la classe ouvrière. Si le Par­ti com­mu­niste peut deve­nir – et il y aspire – le gérant du capi­tal natio­nal dans le cadre d’un gou­ver­ne­ment d’al­liance avec cer­taines couches de la bour­geoi­sie natio­nale non mono­po­liste, il ne peut y par­ve­nir qu’en s’op­po­sant radi­ca­le­ment aux frac­tions capi­ta­listes liées aux mono­poles. Mais, quoi qu’i1 en dise éga­le­ment, il ne peut y par­ve­nir qu’en bous­cu­lant quelque peu toutes les couches de la bour­geoi­sie, petite et moyenne qui, par courte vue, pré­ju­gé, ou même par inté­rêt, s’op­po­se­ront à un sys­tème capi­ta­liste d’État. 

Si l’ins­tau­ra­tion d’un régime capi­ta­liste d’É­tat est la seule issue pour pré­ser­ver des rap­ports de pro­duc­tion capi­ta­listes en période de crise appro­fon­die du monde bour­geois, cela ne peut se faire sans rup­ture dou­lou­reuse avec les couches liées au capi­ta­lisme dans sa forme pri­vée ou mono­po­liste. Chaque période de restruc­tu­ra­tion pro­fonde qui conduit à une concen­tra­tion bru­tale du capi­tal pro­duit des oppo­si­tions tout aus­si bru­tales, voire san­glantes, de la part des frac­tions lésées de la bour­geoi­sie. La tran­si­tion du capi­ta­lisme de mono­poles au capi­ta­lisme d’É­tat ne fait pas exception. 

On peut donc esti­mer à leur juste valeur les affir­ma­tions qui font du XXIIe congrès un tour­nant his­to­rique du Par­ti. Si notre ana­lyse est juste, il ne s’a­git que de l’a­bou­tis­se­ment de 50 ans d’his­toire, qui com­mence avec l’ins­tau­ra­tion d’un régime capi­ta­liste d’É­tat en Rus­sie sur les ruines d’une révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne écra­sée en 1921, et qui se pour­suit avec la pos­si­bi­li­té de moins en moins loin­taine de réa­li­sa­tion d’un régime de même nature, dans des condi­tions dif­fé­rentes, en France. 

Le Par­ti com­mu­niste prend-il ses dis­tances avec l’URSS ? Dans la vision glo­bale des évé­ne­ments, on voit qu’il se situe au contraire dans la droite ligne d’une stra­té­gie d’ex­pan­sion d’un sys­tème dont l’U.R.S.S. est le modèle. 

La dénon­cia­tion des camps en U.R.S.S., le rejet de la dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat n’ont, dans cette pers­pec­tive, abso­lu­ment aucune impor­tance historique.

La Presse Anarchiste