La Presse Anarchiste

Pour l’organisation des anarcho-syndicalistes

Né d’un conflit de ten­dances au sein de la Pre­mière Inter­na­tio­nale, majo­ri­taire dans de nom­breux pays au début du siècle, l’anarchosyndicalisme rejaillit des pro­fon­deurs de la classe des tra­vailleurs sala­riés lorsqu’une par­tie de ces tra­vailleurs tentent de prendre en mains leur des­ti­née. Lors des der­nières grandes grèves de Pologne, Gie­rek n’a‑t-il pas dit : « Des conseils ouvriers sans par­ti, mais c’est de l’anarchosyndicalisme ! ».

Les mili­tants de l’Alliance syn­di­ca­liste, en revanche, ne consi­dèrent pas la pra­tique et la théo­rie de l’anarchosyndicalisme comme acquises et révé­lées une fois pour toutes. Nous pen­sons que la condi­tion pre­mière indis­pen­sable est de mili­ter là où la classe ouvrière est orga­ni­sée, dans les orga­ni­sa­tions et les struc­tures repré­sen­ta­tives des travailleurs.

Il nous semble en consé­quence inté­res­sant d’observer la stra­té­gie de l’anarchosyndicalisme dans le mou­ve­ment ouvrier pour en déga­ger des leçons afin de rendre plus effi­cace notre pra­tique actuelle. 

Dans la fin du XIXe siècle, l’A.I.T. va ten­ter de ras­sem­bler l’ensemble des tra­vailleurs pour construire le socia­lisme ; elle était à la fois orga­ni­sa­tion de classe et avait voca­tion de masse. Le com­bat mené par une frac­tion des mili­tants de l’Internationale pour trans­for­mer les sec­tions natio­nales en par­tis poli­tiques par­le­men­taires – ten­ta­tive qui réus­si­ra vingt ans plus tard – abou­ti­ra à la dis­so­lu­tion de l’organisation.

La vieille Inter­na­tio­nale ne res­te­ra vivante que dans les pays ibé­riques où après maints écueils les tra­vailleurs por­tu­gais et espa­gnols sau­ront orga­ni­ser des orga­ni­sa­tions syn­di­cales révo­lu­tion­naires de masse. 

Dans les autres pays euro­péens, la lutte entre social-démo­cra­tie et syn­di­ca­lisme-révo­lu­tion­naire va emplir de tumulte usines, fau­bourgs et salles de réunion ; peu à peu, à mesure que les condi­tions de tra­vail et l’expérience acquise dans les luttes s’améliorent, dans la mesure aus­si où l’expérience par­le­men­taire se concré­tise, pen­dant cette longue période de 1871 à 1914 où les divers inté­rêts capi­ta­listes ne jettent pas le monde indus­triel dans la guerre, se satis­fai­sant de se par­ta­ger le monde par colo­nies inter­po­sées, peu à peu l’anarcho-syndicalisme regagne du ter­rain. « La C.G.T., disait James Guillaume, est la renais­sance de la vieille Inter­na­tio­nale » ; dans les pays ger­ma­niques où la social-démo­cra­tie était très puis­sante, des bas­tions étaient conquis, en Suède et en Allemagne . 

La C.G.T.

En France, par exemple, tous les cou­rants coha­bitent dans la jeune C.G.T., sans qu’aucun ne prenne réel­le­ment la direc­tion de l’organisation. Si on se réfère aux docu­ments de l’époque, on s’aperçoit que les mili­tants anar­cho-syn­di­ca­listes se conten­taient d’assurer une pré­sence active dans l’organisation ; leur tra­vail n’était pas coor­don­né et se retrou­vait sou­vent en accord avec les autres socia­listes dans l’action quo­ti­dienne, et c’est à par­tir de cette action qu’ils fai­saient avan­cer les choses, notam­ment la pra­tique de l’action directe. 

Par­lant de cette époque, l’actuelle C.G.T. dans ses cours de for­ma­tion syn­di­cale dénonce « tout ce qu’avait de ges­ti­cu­la­toire » l’anarcho-syndicalisme au début du siècle ; et il est vrai qu’à par­tir de 1909 le groupe de La Vie ouvrière a ten­du à consti­tuer des noyaux de mili­tants for­més, pour réagir contre le verbalisme. 

L’arrivée du bol­che­visme dans les syn­di­cats va poser les pro­blèmes cru­ciaux du mou­ve­ment anar­cho­syn­di­ca­liste. En effet, avant 1917, nous nous trou­vons devant une situa­tion où tout le monde semble res­pec­ter la règle du jeu, concré­ti­sée par la Charte d’Amiens. La lec­ture de ce « docu­ment » montre la posi­tion ambi­guë plus ou moins accep­tée par ses rédac­teurs : le syn­di­cat reste l’organisation essen­tielle des tra­vailleurs, mais l’existence – donc de fait le pou­voir – des par­tis poli­tiques, des cha­pelles et des groupes divers est admise. Devant le tra­vail de frac­tion, la Charte d’Amiens sera impuis­sante et le mou­ve­ment ouvrier dans la C.G.T. sera peu à peu contrô­lé par le par­ti com­mu­niste. Com­ment une orga­ni­sa­tion inexis­tante avant la Pre­mière Guerre mon­diale est-elle arri­vée à contrô­ler toute une orga­ni­sa­tion ouvrière ? La réponse en est très simple : les mili­tants com­mu­nistes avaient un but, le contrôle de la C.G.T. ; ils étaient orga­ni­sés, donc efficaces. 

Face à ce dan­ger pour le mou­ve­ment ouvrier, quelle fut l’action des mili­tants syn­di­ca­listes-révo­lu­tion­naires de l’époque ? La réponse est simple : désor­ga­ni­sés, ils per­dirent pied dans tous les sec­teurs où ils étaient en majo­ri­té. Ils étaient dans l’ensemble dans une posi­tion de repli, lais­sant donc l’initiative aux com­mu­nistes. Les uns, prin­ci­pa­le­ment tra­vailleurs du Livre, res­te­ront à la C.G.T., d’autres iront à la C.G.T.U., d’autres encore avec Pierre Bes­nard, iront à la C.G.T.S.R. La situa­tion fran­çaise n’était pas une excep­tion, et au plan inter­na­tio­nal le même pro­ces­sus se déroule. 

L’AI.T. de 1923

En 1923 était créée à Ber­lin la nou­velle A.I.T. Une des pièces maî­tresses de cette inter­na­tio­nale était la C.N.T. espa­gnole. Mais la C.N.T., tout comme la C.G.T. por­tu­gaise, était une orga­ni­sa­tion de masse. Ce n’était pas le cas de nom­breuses sec­tions de l’A.I.T.

Si consti­tuer une inter­na­tio­nale anar­cho-syn­di­ca­liste était – et reste – un point fon­da­men­tal pour les mili­tants com­mu­nistes liber­taires, la forme que se don­nèrent la majo­ri­té des sec­tions natio­nales fut une gêne à l’organisation de la classe ouvrière sur des bases anar­cho-syn­di­ca­listes. En effet, créer des confé­dé­ra­tions sans syn­di­cats, ou autour d’une fédé­ra­tion solide mais fai­ble­ment implan­tée, revint à se cou­per des tra­vailleurs, à se marginaliser. 

II n’y a qu’à réflé­chir à la situa­tion actuelle de nos cama­rades sué­dois de la S.A.C. face au mono­pole de l’embauche de la Land­sor­ga­ni­sa­tion pour mesu­rer l’étendue du pro­blème. On nous objec­te­ra que la C.G.T.S.R. ne ras­sem­blait pas beau­coup d’adhérents, certes (envi­ron 10.000 pen­dant la guerre d’Espagne) mais pou­vait par son heb­do­ma­daire, Le Com­bat syn­di­ca­liste influen­cer de nom­breux mili­tants res­tés à la C.G.T. Encore aurait-il fal­lu que ceux-ci soient orga­ni­sés. Mais par sou­ci de ne pas faire comme les adver­saires, ces cama­rades pra­ti­quaient en fait le sui­cide individuel. 

Aujourd’hui…

L’après-guerre, avec l’échec reten­tis­sant de la C.N.T. fran­çaise, l’enlisement dans F.O., la C.G.T. menée de main de maître par le P.C., sem­blait avoir son­né le glas de l’anarcho-syndicalisme. Mai 68 sur­vint et cer­tains par­lèrent d’une résur­gence de ce mou­ve­ment, puisque dans les faits les tra­vailleurs réaf­fir­maient ses pos­tu­lats. Pour les mili­tants actuels, la tâche n’est pas facile. Les tra­vailleurs sont dis­per­sés dans trois confé­dé­ra­tions, le sec­teur ter­tiaire se déve­loppe, bou­le­ver­sant les cli­chés tra­di­tion­nels des sec­teurs com­ba­tifs, bâti­ment, livre, etc. Bref, le tra­vail est à reprendre à zéro. Dans Soli

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