La Presse Anarchiste

Anarcho-syndicalisme

Le salaire est la somme d’argent que le capi­ta­liste paie pour un temps de tra­vail don­né, ou pour un tra­vail don­né. C’est le résul­tat d’une vente. La force de tra­vail de l’ouvrier est une mar­chan­dise comme une autre qui est échan­gée contre la mar­chan­dise du capi­ta­liste : l’argent. Le salaire, est le prix de cette mar­chan­dise-force de travail.

D’après les patrons, ce prix se déter­mine de la même façon que se déter­mine le prix de n’importe quelle mar­chan­dise, selon la loi de l’offre et de la demande. Quand il y a beau­coup de mar­chan­dises, autre­ment dit quand il y a du chô­mage, ce prix reste bas ; quand il y a peu de mar­chan­dises – plein emploi – le prix peut être élevé.

La concur­rence plus ou moins. aiguë entre les ven­deurs de la force de tra­vail – entre les sala­riés – est déter­mi­nante dans la fixa­tion du salaire. 

Si je vends ma force de tra­vail, c’est-à-dire ma capa­ci­té à accom­plir, pour un patron, un cer­tain tra­vail, c’est que je n’ai que ça. C’est ce qu’on appelle la liber­té du tra­vail : je suis libre de pro­po­ser mes ser­vices à n’im­porte quel patron, parce que je ne pos­sède moi-même pas de moyens de pro­duc­tion ; mais le patron est libre de ne pas m’embaucher.

Car je ne suis pas seul à cher­cher du tra­vail. De nom­breux autres ouvriers, employés, sont dans ce cas. Le patron a l’embarras du choix : il aura ten­dance à rete­nir ceux qui acceptent de tra­vailler pour le plus bas salaire. C’est ce qu’on appelle la liber­té d’entreprise.

Qui n’a jamais enten­du au moins. une fois cette phrase dans la bouche d’un patron, d’un chef ou d’un contre­maître : « Si vous n’êtes pas content, il y en a 50 qui attendent à la porte. »

Cette petite phrase résume par­fai­te­ment un des carac­tères essen­tiels du sala­riat : la concur­rence que les tra­vailleurs se font entre eux. La concur­rence est, au niveau maxi­mum quand les tra­vailleurs sont com­plè­te­ment iso­lés, inor­ga­ni­sé. Le patron a alors la part belle. La classe ouvrière a trou­vé des moyens de réduire cette concur­rence. C’est, essen­tiel­le­ment, le syn­di­ca­lisme. La fonc­tion pre­mière du syn­di­cat, c’est de grou­per les tra­vailleurs afin qu’ils se pré­sentent unis devant le patron et qu’ils refusent de tra­vailler en des­sous d’un cer­tain salaire. Plus le nombre de tra­vailleurs qui s’u­nissent est grand, plus les capi­ta­listes sont for­cés à s’incliner. 

On voit donc que, du fait, même que les tra­vailleurs s’as­so­cient pour refu­ser de se sou­mettre aux condi­tions du patron, et dans les formes d’or­ga­ni­sa­tion que les tra­vailleurs adoptent pour cela, se trouvent en germe la reven­di­ca­tion d’a­bo­li­tion du sala­riat ain­si que les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. 

En der­nière ins­tance, ce qui déter­mine la valeur du salaire, c’est la lutte des classes. La condi­tion essen­tielle pour le pro­fit du capi­ta­liste, c’est de main­te­nir les salaires les plus bas pos­sible. Jamais le salaire ne dépasse ce dont l’ou­vrier, dans son contexte socio­lo­gique par­ti­cu­lier, a besoin pour vivre : jamais le salaire ne dépasse ce que la classe capi­ta­liste a besoin que les sala­riés gagnent. Il s’a­git ici du salaire moyen de l’en­semble de la classe des sala­riés [[Dif­fé­rents grou­pe­ments s’op­posent à cette clas­si­fi­ca­tion en tra­vailleurs sala­riés d’une part et non sala­riés de l’autre. Ils s’ap­puient sur le fait que les P.-D.G. sont par­fois des sala­riés de leurs entre­prises. For­mel­le­ment, l’ar­gu­ment est valable, mais quant au fond il ne tient pas compte de plu­sieurs fac­teurs : 1) La qua­li­té de « sala­rié » du P.-D.G. est seule­ment une entour­lou­pette fis­cale ; 2) Le P.-D.G. ne vend pas sa force de tra­vail ; 3) le P.-D.G, est action­naire. Un P.-D.G, ne doit pas son poste au fait qu’il met sa force de tra­vail en vente sur le mar­ché du tra­vail, mais au fait qu’il est action­naire : Il n’est pas exploité.

Ce type d’ar­gu­ment sert en réa­li­té à cer­tains groupes gau­chistes pour nier le rôle et l’im­por­tance du sala­riat en tant que forme d’ex­ploi­ta­tion éco­no­mique des tra­vailleurs, et pour insis­ter sur l’oppression que subissent les indi­vi­dus, ce qui jus­ti­fie l’al­liance avec la petite bour­geoi­sie.]]. En effet, des dis­pa­ri­tés existent. Selon les sec­teurs indus­triels, les pro­fes­sions. Les fluc­tua­tions des salaires selon les sec­teurs, pro­fes­sions, sont dues pré­ci­sé­ment à la concur­rence entre sala­riés, au niveau de l’or­ga­ni­sa­tion des tra­vailleurs et au type de pro­duc­tion dans lequel les tra­vailleurs sont enga­gés [[Un exemple : les tra­vailleurs de l’in­dus­trie de la presse gagnent beau­coup plus que ceux du tex­tile. C’est que leur moyen de pres­sion sur le patron est aus­si beau­coup plus impor­tant. Un quo­ti­dien ne se stocke pas. S’il paraît même avec une heure de retard, c’est une catas­trophe pour le patron. Les lec­teurs achè­te­ront des quo­ti­diens concur­rents ; et le patron sera pri­vé de ses recettes de publi­ci­té qui sont consi­dé­rables (100 mil­lions d’an­ciens francs par jour pour le Figa­ro). En revanche, les tex­tiles se stockent et une semaine de grève ne touche pas immé­dia­te­ment le patron, dans la mesure où il écoule ses stocks.]].

Enfin, dans la limite des oscil­la­tions du salaire consé­quentes aux fluc­tua­tions de l’offre et de la demande, ce qui déter­mine le prix de la force de tra­vail, ce sont ses frais de pro­duc­tion, c’est-à-dire les frais à enga­ger pour que le tra­vailleur sub­siste et les frais néces­saires pour le former.

On voit donc que la hié­rar­chie des salaires est liée au mode de pro­duc­tion capi­ta­liste lui-même et qu’on ne sau­rait la com­battre si on ne com­bat en même temps le capi­ta­lisme, le salariat. 

Le tra­vailleur ne peut donc attendre aucune trans­for­ma­tion de fond de sa situa­tion dans le main­tien du salariat. 

Même dans l’ac­tion syn­di­cale reven­di­ca­tive, la concur­rence est impos­sible à sup­pri­mer. Même dans l’éventualité où la concur­rence serait nulle, l’aug­men­ta­tion des salaires se heurte à une bar­rière : lorsque les salaires, aug­mentent plus vite que la pro­duc­ti­vi­té, le taux de pro­fit baisse. Cela signi­fie que les capi­ta­listes réduisent les inves­tis­se­ments dans ce sec­teur, d’où réduc­tion de l’emploi ou rem­pla­ce­ment des ouvriers par des machines. 

Toute la « poli­tique sociale » de la bour­geoi­sie consiste à éco­no­mi­ser sur le coût de la force de tra­vail – sur les salaires – pour main­te­nir les pro­fits. Le capi­ta­liste va donc tendre à dimi­nuer l’importance de la main-d’œuvre dans son entre­prise, tout en déve­lop­pant, grâce au machi­nisme, les postes de tra­vail auto­ma­ti­sés ne deman­dant, de la part de l’ou­vrier, aucune formation. 

« L’in­su­bor­di­na­tion de nos ouvriers nous a fait son­ger à nous pas­ser d’eux. Nous avons fait et pro­vo­qué tous les efforts d’in­tel­li­gence ima­gi­nables pour rem­pla­cer le ser­vice des hommes par des ins­tru­ments plus dociles, et nous en sommes venus à bout. La méca­nique a déli­vré le capi­tal de l’op­pres­sion du tra­vail. Par­tout où nous employons encore un homme, ce n’est que pro­vi­soi­re­ment, en atten­dant qu’on invente pour nous le moyen de rem­plir sa besogne sans lui. »

Ces paroles d’un manu­fac­tu­rier anglais. citées par Prou­dhon, sont révé­la­trices. Mais n’en dédui­sons pas que les patrons sont eux aus­si à leur manière pour la sup­pres­sion du sala­riat ! « C’est comme si, com­men­tait Prou­dhon le minis­tère entre­pre­nait de déli­vrer le bud­get de l’oppression des contribuables. »

La lutte du pro­lé­ta­riat en vue d’aménager sa place dans le sys­tème du sala­riat n’a aucun débou­ché pos­sible. Elle ne peut abou­tir qu’à la consti­tu­tion de sec­teurs entiers de la classe ouvrière exclus des « bien­faits » des avan­tages acquis : aujourd’­hui les immi­grés, les inté­ri­maires, les auxi­liaires, les vaca­taires, demain autre chose. Le sala­riat dans son prin­cipe même tend à oppo­ser les tra­vailleurs les uns les autres. Il est la meilleure arme du capi­ta­lisme, tant pri­vé que d’É­tat, contre la classe ouvrière. 

Là où il y a sala­riat, il y a capi­ta­lisme. Le sala­riat est la forme don­née au tra­vail pour per­mettre l’exploitation du pro­lé­ta­riat. Le sala­riat est une forme de sti­mu­la­tion au tra­vail dans une socié­té fon­dée sur l’ex­ploi­ta­tion : tra­vailler aux condi­tions impo­sées par le patron ou ne pas pou­voir survivre. 

Les effets du salariat

Cette situa­tion a des consé­quences sur l’exis­tence immé­diate du tra­vailleur sala­rié, qui déter­minent ses condi­tions de vie. Ces der­nières peuvent se concré­ti­ser de trois façons : le tra­vailleur est exclu du pro­duit de son tra­vail, il est exclu de son outil de tra­vail, enfin le sala­riat tend constam­ment, en sus­ci­tant la concur­rence et en iso­lant les tra­vailleurs, à les exclure de leur classe. Com­prendre les effets du sala­riat sur le tra­vailleur indi­vi­duel et sur le pro­lé­ta­riat en tant que classe per­met à la fois de com­prendre le sens de la lutte révo­lu­tion­naire à mener et de sai­sir les lignes géné­rales de la socié­té à construire après la des­truc­tion du capitalisme. 

• Exclu du produit de son travail

Le capi­ta­lisme n’a pu se déve­lop­per, dans l’his­toire, qu’à par­tir du moment où la pro­duc­ti­vi­té du tra­vail humain a atteint un cer­tain niveau, c’est-à-dire au moment où les hommes ont pu pro­duire suf­fi­sam­ment pour qu’il y ait un sur­plus, et au moment où ce sur­plus a pu être acca­pa­ré par une mino­ri­té, et échan­gé contre d’autres pro­duits. Le pro­lé­ta­riat moderne n’ap­pa­raît qu’a­vec le déve­lop­pe­ment à grande échelle du machi­nisme dans l’in­dus­trie, c’est-à-dire au moment où la petite pro­duc­tion mar­chande de type arti­sa­nal laisse la place à la grande pro­duc­tion indus­trielle. L’ar­ti­san qui pro­duit dans sa bou­tique une paire de bottes est maître du pro­duit de son tra­vail. C’est lui qui a ache­té le cuir, il l’a tra­vaillé avec ses propres outils, c’est lui-même qui le vend, et il vit du pro­duit de son tra­vail. Il vend son tra­vail, c’est-à-dire les bottes qu’il a fabri­quées. L’ou­vrier sala­rié tra­vaille dans le local du patron, avec l’ou­til du patron, sur des matières pre­mières ache­tées par le patron. Les bottes que l’ou­vrier fabrique, c’est le patron qui les vend. L’ou­vrier ne vend pas son tra­vail, les bottes qu’il fabrique : il vend sa force de tra­vail, sa capa­ci­té à fabri­quer des bottes pour son patron, en échange d’un salaire. L’ou­vrier n’est pas maître du pro­duit de son tra­vail. De plus, l’ou­vrier ne touche qu’une par­tie de la valeur qu’il a pro­duite, le reste est appro­prié par le capi­ta­liste. l’ex­clu­sion du tra­vailleur par rap­port au pro­duit de son tra­vail est le résul­tat de la trans­for­ma­tion de la force de tra­vail en marchandise.

• Exclu de l’outil de travail

Le deuxième aspect du sala­riat s’ex­prime dans l’ex­clu­sion de l’ou­vrier par rap­port à l’ou­til de tra­vail, par la divi­sion du tra­vail. Pour qu’il y ait exploi­ta­tion, il faut non seule­ment qu’il y ait vente « libre » du tra­vail, c’est-à-dire concur­rence entre les tra­vailleurs, il faut que chaque tra­vailleur soit inter­chan­geable, la pre­mière condi­tion impli­quant d’ailleurs la seconde. La divi­sion du tra­vail est une condi­tion indis­pen­sable à l’ex­ploi­ta­tion du travail. 

Le tra­vail sala­rié implique, pour per­mettre la concur­rence des tra­vailleurs entre eux et l’ap­pro­pria­tion de la plus-value, la divi­sion du tra­vail manuel-intel­lec­tuel, un tra­vail consti­tué de gestes répé­ti­tifs, divi­sés, par­cel­li­sés, néces­si­tant un mini­mum de for­ma­tion, ce qui per­met de rem­pla­cer n’im­porte quel tra­vailleur par n’im­porte quel autre travailleur. 

L’ou­vrier indi­vi­duel­le­ment ne pro­duit rien com­plè­te­ment, il ne fabrique qu’une par­tie d’un tout dont il peut ne pas voir l’ob­jet fini. L’ou­til sur lequel il tra­vaille n’est pas pour l’ou­vrier un ins­tru­ment, c’est l’ou­vrier qui est l’ins­tru­ment de l’outil. 

• Exclu de sa classe

L’ef­fet ultime du sala­riat est le chô­mage. Les chô­meurs en viennent à se consi­dé­rer – et à être consi­dé­rés – comme une caté­go­rie à part, « en réserve » de la lutte des classes. Ils n’ont aucun moyen de pres­sion maté­riel direct sur la bourgeoisie. 

Les syn­di­cats éga­le­ment ont ten­dance à les consi­dé­rer comme des tra­vailleurs à part. Ce sont des gens qui ne votent pas aux élec­tions pro­fes­sion­nelles. Les par­tis de « gauche » réfor­mistes leur laissent comme seule pers­pec­tive le bul­le­tin de vote, c’est-à-dire l’at­tente, ver­tu essen­tielle du chômeur… 

Pour nous, le chô­meur est un tra­vailleur comme les autres. Les unions locales de syn­di­cats doivent consti­tuer un pôle d’or­ga­ni­sa­tion et d’ac­tion dès tra­vailleurs sans emploi. Des mil­liers de chô­meurs, unis et orga­ni­sés, prêts à employer l’ac­tion directe sont une aus­si grande menace pour la bour­geoi­sie qu’au­tant de grévistes. 

Par quoi remplacer le salariat ?

La lutte pour l’a­bo­li­tion du sala­riat est insé­pa­rable de la lutte pour l’or­ga­ni­sa­tion du pro­lé­ta­riat – l’as­so­cia­tion ouvrière qui a pour but de lut­ter contre la concur­rence n’est qu’une étape qui ne se suf­fit pas à elle-même.

Le pro­lé­ta­riat orga­ni­sé doit viser à détruire l’État, abo­lir la pro­prié­té pri­vée des moyens de pro­duc­tion et l’ap­pro­pria­tion pri­vée des res­sources de la société.

Dans la socié­té capi­ta­liste, le tra­vailleur doit vendre sa force de tra­vail ; le pro­lé­ta­riat, en tant que classe, se trouve exclu des moyens de pro­duc­tion. Il ne déter­mine pas : l’objet du tra­vail ; les condi­tions de tra­vail ; la répar­ti­tion des richesses produites. 

Une socié­té socia­liste aura pour but d’organiser les tra­vailleurs pour qu’ils puissent inter­ve­nir à ces trois niveaux. Ain­si, de même qu’on peut dire qu’un régime où il y a sala­riat est for­cé­ment un régime capi­ta­liste, on peut dire qu’un régime qui se pré­ten­drait socia­liste et où le pro­lé­ta­riat n’in­ter­vien­drait pas à ces trois niveaux ne serait pas socialiste.

• Détermination de l’objet du travail

Quelle est la fina­li­té du tra­vail ? Pour­quoi pro­duire tel objet plu­tôt que tel autre ? Pro­duire en fonc­tion des besoins sociaux et non pour le pro­fit. Éli­mi­ner la pro­duc­tion parasitaire. 

La déter­mi­na­tion de l’ob­jet du tra­vail par la classe ouvrière est la pre­mière mesure à prendre pour par­ve­nir à l’a­bo­li­tion du sala­riat. Déter­mi­ner l’ob­jet du tra­vail, cela ne signi­fie pas que chaque entre­prise puisse déci­der ce qu’elle devra pro­duire. Cela signi­fie que la classe ouvrière déter­mi­ne­ra col­lec­ti­ve­ment les orien­ta­tions géné­rales de la pro­duc­tion et les mesures à prendre pour adap­ter la pro­duc­tion de chaque entre­prise à ces orientations. 

Aujourd’­hui, en régime capi­ta­liste, la moti­va­tion de la pro­duc­tion est la recherche du pro­fit. Dans un sys­tème socia­liste, la pro­duc­tion est orien­tée vers la satis­fac­tion des besoins. Si on ne crée pas d’hô­pi­taux, de crèches, d’é­coles, etc., c’est parce que ce sont des inves­tis­se­ments non pro­duc­tifs. En revanche, si des cen­taines de savants se sont pen­chés pen­dant plus de dix ans sur le pro­blème de fabri­quer un appa­reil pho­to pola­roïd, c’est parce que c’est ren­table. Bien sûr, avoir un pola­roïd est agréable, mais en regard des besoins sociaux réels des tra­vailleurs, c’est du gas­pillage. La loi du pro­fit fait qu’en régime capi­ta­liste des besoins fon­da­men­taux – san­té, loge­ment, trans­ports, etc.– ne sont pas satis­faits ou sont sabo­tés, tan­dis que des besoins sont arti­fi­ciel­le­ment sus­ci­tés, dont la satis­fac­tion pro­cure des pro­fits considérables.

Contrô­ler l’ob­jet du tra­vail, c’est-à-dire la déter­mi­na­tion col­lec­tive par la classe ouvrière de l’o­rien­ta­tion de la pro­duc­tion en vue de satis­faire ses besoins propres est donc un point essen­tiel de la lutte contre le sala­riat, l’ex­ploi­ta­tion, et pour le socialisme. 

Mais pré­ci­sons bien : le contrôle par­tiel que les tra­vailleurs pour­raient obte­nir dans cer­taines entre­prises dans le régime capi­ta­liste ne consti­tue pas une mesure « socia­liste ». La déter­mi­na­tion des objec­tifs de pro­duc­tion n’a de por­tée révo­lu­tion­naire qu’a­près l’ex­pro­pria­tion de la bour­geoi­sie. Ajou­tons qu’elle n’a de sens que si le débat est por­té au sein des asso­cia­tions ouvrières : il s’a­git donc d’ex­clure la déter­mi­na­tion faite par des groupes inter­classes qui agi­raient par sub­sti­tu­tion de pou­voirs, qui déci­de­raient « au nom de la classe ouvrière », en ser­vant bien enten­du d’autres inté­rêts que les siens. 

Nous ne pou­vons pas dire dans quel cadre orga­ni­sa­tion­nel cela se fera, mais on peut dire dans quel cadre cela pour­rait se faire : le syn­di­ca­lisme. En effet, l’or­ga­ni­sa­tion syn­di­cale, grou­pe­ment pro­lé­ta­rien par défi­ni­tion, étend ses rami­fi­ca­tions au plan indus­triel dans toutes les entre­prises, au plan géo­gra­phique dans toutes les loca­li­tés. Si elle peut per­mettre l’u­ni­fi­ca­tion de l’ac­tion du pro­lé­ta­riat qui se trouve dis­sé­mi­né dans tout le pays, elle peut éga­le­ment par le recen­se­ment, la décen­tra­li­sa­tion du débat, l’u­ni­fi­ca­tion des déci­sions, orga­ni­ser le contrôle sur la pro­duc­tion et ses orientations. 

En résu­mé, un régime où le tra­vailleur n’a pas la pos­si­bi­li­té de déter­mi­ner libre­ment ce pour quoi il tra­vaille ne peut pas être appe­lé socia­liste. Un régime où une mino­ri­té. de pro­fes­sion­nels de la poli­tique décident seuls de ce pour quoi l’ou­vrier tra­vaille n’est pas un régime socialiste. 

• Déterminer les conditions de travail

En régime capi­ta­liste, le tra­vailleur est obli­gé d’ac­cep­ter de tra­vailler aux condi­tions assi­gnées par le patron. Les amé­na­ge­ments à ce prin­cipe ont tou­jours été le résul­tat de luttes, d’un rap­port de force où la classe ouvrière a impo­sé au patron un cer­tain recul. Les congés payés, la Jour­née de huit heures, etc., ne nous ont pas été don­nés de bonne grâce. Mais quoi qu’on fasse, sous le régime du pro­fit, il y a tou­jours un point au-delà duquel on ne peut pas aller : quand le pro­fit du capi­ta­liste est mena­cé, il a, nous l’avons vu, des moyens indi­rects pour se retour­ner contre les travailleurs. 

C’est donc par une remise en cause glo­bale du sys­tème de pro­duc­tion qu’on pour­ra par­ve­nir à une amé­lio­ra­tion réelle des condi­tions de tra­vail. En effet, si un capi­ta­liste achète des machines, c’est parce que le coût de ces machines est infé­rieur au coût de la main-d’œuvre néces­saire pour assu­rer la même pro­duc­tion : il ne tient pas compte de l’é­co­no­mie en fatigue.

Cette reven­di­ca­tion est éga­le­ment un point impor­tant dans la lutte pour l’a­bo­li­tion du sala­riat. Elle est étroi­te­ment liée à la pré­cé­dente. Les ouvriers qui tra­vaillent aux pièces sur des machines dan­ge­reuses n’a­vaient pas au début de sys­tème de sécu­ri­té. Devant les reven­di­ca­tions ouvrières consé­quentes aux acci­dents répé­tés, les patrons trouvent la solu­tion en ins­tal­lant des sys­tèmes de sécu­ri­té. Mais cela ralen­tit le rythme du tra­vail, et donc dimi­nue la paie de l’ou­vrier. Celui-ci a donc ten­dance à ne pas uti­li­ser le sys­tème de sécu­ri­té. Ça, c’est l’or­ga­ni­sa­tion capi­ta­liste du tra­vail, qui ne son­ge­ra jamais à sup­pri­mer le tra­vail aux pièces, et encore moins les postes de tra­vail dangereux.

Contrôle de l’ob­jet du tra­vail, contrôle des condi­tions de tra­vail, il reste aux tra­vailleurs à conqué­rir le plus impor­tant : le contrôle de l’af­fec­ta­tion des ressources.

• Contrôle de l’affectation des ressources

Le capi­ta­lisme se défi­nit non pas seule­ment par la pro­prié­té pri­vée des moyens de pro­duc­tion, mais aus­si par le fait que le patron a la liber­té d’af­fec­ter le sur­pro­duit en fonc­tion de ses inté­rêts propres. Le pro­duit du tra­vail de mil­lions d’hommes et de femmes, déduc­tion faite de ce dont ils ont besoin pour sub­sis­ter, est appro­prié par des indi­vi­dus en pro­por­tion peu nom­breux, Cette richesse appro­priée, les capi­ta­listes ne l’u­ti­lisent pas pour satis­faire les besoins de la socié­té mais pour satis­faire leurs besoins propres. Les « socia­listes » qui entendent expro­prier les capi­ta­listes pour remettre à un appa­reil incon­trô­lé l’af­fec­ta­tion des res­sources sociales ne font que pro­po­ser de chan­ger de régime d’ex­ploi­ta­tion. La classe ouvrière devra se don­ner toutes les garan­ties pour conser­ver la direc­tion du pro­ces­sus de déci­sion : elle devra non pas copier l’or­ga­ni­sa­tion bour­geoise de la socié­té en chan­geant seule­ment les têtes, elle devra trans­fé­rer tous les centres de déci­sion dans ses orga­ni­sa­tions de classe. 

C’est dans ses orga­ni­sa­tions de classe que devront être faits les choix sur l’o­rien­ta­tion géné­rale de la pro­duc­tion, des inves­tis­se­ments, de déve­lop­pe­ment, etc. Il ne s’a­git donc pas d’une « prise au tas » uto­pique ; il ne s’a­git pas de redis­tri­buer inté­gra­le­ment le pro­duit social car cela équi­vau­drait à reve­nir à la petite pro­duc­tion artisanale. 

Des défal­ca­tions devront être faites : sur le pro­duit social avant d’ef­fec­tuer la répar­ti­tion individuelle :

- Pour rem­pla­cer les moyens de pro­duc­tion usagés ;
– Pour accroître la production ;
– Pour consti­tuer un fonds de réserves. 

De ce qui reste du pro­duit social, il faut encore défalquer :

- Les frais géné­raux d’administration ;
– Le fonds d’in­ves­tis­se­ment des besoins de la communauté ;
– Un fonds des­ti­né aux non-pro­duc­tifs : enfants, éco­liers, malades, vieux, etc. 

Les postes bud­gé­taires sont com­muns à toute socié­té indus­trielle déve­lop­pée même si le régime socia­liste en crée­ra d’autres. Mais le capi­ta­lisme se carac­té­rise par ceci que d’une part la classe ouvrière n’a aucun contrôle sur eux et d’autre part que tout est fait pour lui obs­cur­cir, lui com­pli­quer la chose, et l’empêcher d’a­voir même envie de s’in­té­res­ser à la question. 

Le socia­lisme ne consiste pas à prendre au hasard un ouvrier et à le char­ger d’é­ta­blir la comp­ta­bi­li­té natio­nale ; il consis­te­ra à sim­pli­fier la comp­ta­bi­li­té géné­rale, à éle­ver le niveau de connais­sances des tra­vailleurs à la com­pré­hen­sion du milieu qui les entoure. Le contrôle de l’af­fec­ta­tion des res­sources sociales est un pro­blème col­lec­tif, il com­mence par le contrôle au niveau que le tra­vailleur est apte à connaître le mieux, son cadre de vie, l’en­tre­prise et la loca­li­té, pour s’é­tendre ensuite à un niveau plus global.

La Presse Anarchiste