Le capital a existé longtemps avant les sociétés industrielles, c’est-à-dire longtemps avant le capitalisme – les deux termes ne sont pas synonymes. Le capital est simplement une valeur accumulée, qui a pris diverses formes au cours de l’histoire : capital usurier, capital commercial ou bancaire. Cela signifie que le processus par lequel certains individus accumulent â leur profit de la valeur s’est fait, au tours de l’histoire, grâce à l’usure, le commerce, ou la banque.
Pendant toute cette période. l’économie était caractérisée, par la séparation entre la production et le capital. Marx cite l’exemple…
« …Du capital marchand, qui passe commande à un certain nombre de producteurs immédiats, puis collecte leurs produits et les revend, en avançant parfois la matière première ou l’argent, etc. … le producteur immédiat continue à la fois de vendre sa marchandise et d’utiliser son propre travail… »
D’une part, des producteurs indépendants (artisans) fabriquent des marchandises, d’autre part des marchands écoulent les produits en imposant un écart entre leur prix et leur valeur : ils achètent à un prix inférieur à la valeur des marchandises et vendent à un prix supérieur. Il se forme ainsi une plus-value qui est appropriée par le marchand dans l’acte de la vente. L’appropriation de cette plus-value par le marchand est faite dans le circuit de circulation de la marchandise.
C’est ce qui caractérise la période pré-capitaliste : la production n’est pas soumise au capital. Le capital tire profit de la production, indirectement, par la vente, mais il ne la contrôle pas, il n’exploite pas de travailleurs salariés. Ce qui caractérise le capitalisme, c’est que les possesseurs de capitaux contrôlent non seulement les moyens d’échange mais aussi les moyens de production. Le commerce, auparavant autonome par rapport à la production, devient un secteur dépendant de l’industrie : le capital pénètre la sphère de la production. La plus-value accaparée ne provient. plus de la vente des marchandises, mais de leur production, ce qui implique travail parcellisé, travail salarié.
On ne produit pas pour satisfaire un besoin. mais pour faire du profit. Les moyens de production, autrefois propriété. de travailleurs indépendants. deviennent du capital et ces travailleurs indépendants, devenus salariés, se voient transformés en vendeurs d’une marchandise particulière appelée force de travail.
Ces précisions sont nécessaires pour comprendre les divergences qui opposent l’anarcho-syndicalisme à certains courants du mouvement socialiste. Nous essaierons, de montrer qu’il ne s’agit pas d’un débat académique.
Définir le capitalisme est une démarche indispensable pour définir le socialisme. Se tromper dans la première définition peut amener à qualifier de socialisme ce qui n’est qu’une forme particulière du capitalisme.
Le mode de production capitaliste ne peut se comprendre qu’en l’analysant au niveau du processus de production, non au niveau du marché.
Le capitalisme se définit avant tout par l’exploitation de main‑d’œuvre salariée : les formes prises par la circulation des marchandises, les formes juridiques de propriété des moyens de production ne sont que des variantes adoptées par le capitalisme selon les contextes historiques et nationaux pour maintenir les privilèges de classe.
Le mythe de la rationalité en économie capitaliste
L’économie de marché est un des mécanismes du fonctionnement du capitalisme, qui se caractérise par les traits suivants :
1. L’éparpillement de la propriété et du capital
La société capitaliste dans son sens le plus traditionnel est un régime. de propriété privée des moyens de production, où le capital est éparpillé, divisé en un grand nombre de mains. Une multitude de capitalistes produisent chaque type de produit offert sur le marché. Le choix des investissements se fait par décision d’un capitaliste individuel ou d’un groupe de capitalistes propriétaires individuellement.
2. Multiplicité des centres de décision
Le capitalisme traditionnel se caractérise par le fait que les décisions d’investissement ne répondent pas à un plan concerté de la part des capitalistes, mais sont faites selon le bon vouloir ou l’estimation particulière de chacun. Celui qui a « du flair » investit dans un secteur qui rapporte de gros profits. Aussitôt, d’autres capitalistes se précipitent pour investir dans ce secteur. Peu à peu, les profits baissent sous l’effet de la concurrence. Il se crée un équilibre et tout redevient calme jusqu’à la prochaine poussée.
3. Concurrence
Il y a donc entre capitalistes une concurrence à mort que vient tempérer seulement la nécessité de lutter contre l’ennemi commun, le prolétariat. Cette concurrence, liée à l’éparpillement du capital et à la multiplicité des centres de décision, exacerbée par la course au profit, a plusieurs conséquences. Certains capitalistes sont éliminés de la course ; par la faillite, ils se retrouvent dans l’armée anonyme du salariat, ou alors, tout en conservant une position privilégiée, ils se trouvent placés sous la dépendance des plus forts. Ils conservent la qualité de capitalistes, mais perdent leur autonomie de décision.
Les économistes bourgeois prêtent à un tel système un grand nombre de vertus :
« Lorsque la concurrence parfaite règne sur tous les marchés, l’économie fonctionne avec l’efficience la plus grande possible. En effet, aucun producteur ne peut obtenir de recettes supplémentaires en agissant sur les prix, mais seulement par une réduction de son coût de production. Là où il y a profits anormaux, la liberté d’entrée (c’est-à-dire la possibilité pour d’autres capitalistes d’investir dans ce secteur – ndlr.) permet d’accroître la production et d’abaisser les prix. Toute modification des désirs des consommateurs se communique aux producteurs par l’intermédiaire des modifications du prix des biens. Ces modifications se répercutent elles-mêmes sur les prix des facteurs de production qui sont attirés dans certains emplois ou écartés dans d’autres emplois. L’économie n’est pas menacée par le sous-emploi de facteurs de production (c’est-à-dire des machines tournant en-dessous de leurs capacités de production ndlr.) ; ceux-ci sont en effet mobiles et se déplacent des zones de production délaissées par les consommateurs vers les zones où se porte la demande. La concurrence parfaite assure à la fois l’équilibre et la meilleure répartition des ressources de l’économie… (Raymond Barre, Principes d’analyse économique, polycopié de l’Institut d’études politiques.).
Il va de soi que la rationalité attribuée par M. Barre à l’économie de marché est parfaitement orientée dans le sens de la rationalité bourgeoise. En effet si un capitaliste, en régime de concurrence parfaite, ne peut « obtenir de recettes supplémentaires en agissant sur les prix », mais seulement par une « réduction de son coût de production, cela, pour le prolétaire, ne signifie qu’une chose : aggravation de l’exploitation, soit par la prolongation de la journée de travail, soit par l’augmentation de la productivité et de l’intensité du travail, soit par l’élimination de la main‑d’œuvre humaine due à l’introduction du machinisme.
Ainsi, nous disent encore les économistes bourgeois, l’économie de marché est un mécanisme qui assure une rationalité au système. Sans marché, les consommateurs ne pourraient pas faire connaître leurs besoins, les entrepreneurs ne sauraient pas quoi produire pour satisfaire les besoins !
La réalité des choses est un peu moins idyllique, en effet :
— Le capitalisme de libre concurrence, où existe une multitude de petits capitaux individuels en concurrence entre eux, où existe une multitude de capitalistes produisant chaque type de produit, ce capitalisme-là n’a existé qu’en une brève période de l’histoire, et encore de façon beaucoup moins caractéristique qu’elle n’est présentée généralement. La phase concurrentielle du capitalisme a été rapidement remplacée par le capitalisme de monopole, dans lequel une ou plusieurs grosses entreprises assurent la production d’une marchandise et peuvent influer sur les conditions du marché, ou même manipuler le marché.
« Ce géant qu’est la fabrication en série ne peut conserver sa puissance que si son effet vorace est pleinement et perpétuellement satisfait (…) Il est indispensable que les produits soient consommés au rythme accéléré de leur sortie des chaînes de fabrication, et il faut éviter à tout prix l’accumulation de stocks… (Paul Mazur, boursier de Wall Street, cité par Vance Packard, L’art du gaspillage.)
— Le capitalisme de (relative) libre concurrence implique une grande fluidité de capitaux : dès que les taux de profit baissent dans une branche, on investit dans une autre. Cela suppose que le capital nécessaire pour réinvestir dans cette autre branche n’est pas trop considérable. On peut facilement « retirer ses billes » d’un secteur où les machines (capital mort) sont peu importantes par rapport à la force de travail (capital vivant), comme dans le travail intérimaire, pour prendre un exemple extrême. Mais lorsqu’on investit par exemple dans la sidérurgie, où l’importance relative des machines est considérable, les mouvements de capitaux sont difficiles.
Le marché dans le capitalisme de monopoles
Et l’histoire montre que le capital évolue vers une concentration croissante ; des masses de plus en plus grandes de capital sont nécessaires pour investir, ce qui exclut les détenteurs de petit ou de moyen capital.
— Enfin, l’intervention croissante de l’État, rendue indispensable précisément par ces masses colossales de capitaux nécessaires pour investir dans des secteurs vitaux de l’économie, limite le champ d’action du capitalisme privé, sans jamais remettre en cause le caractère capitaliste de l’économie, précisons-le. Cette intervention de l’État au service du capital peut se faire différemment : par les nationalisations, c’est-à-dire par la prise en charge de secteurs non rentables mais nécessaires aux grandes entreprises ; par des dénationalisations d’entreprises devenues rentables ; par des commandes d’État à l’industrie privée ; par des subsides directs ou indirects, des tarifs fiscaux spéciaux, etc.
Aujourd’hui, le capitalisme ne peut plus se passer de l’intervention économique de l’État. Dans le capitalisme de monopoles, les profits proviennent :
- De l’action des capitalistes sur l’élévation des prix de vente au-dessus du prix de production ;
– De mesures de discrimination de prix que les monopoles s’accordent entre eux ;
– Des avantages dus à une meilleure productivité.
On voit donc que deux sur trois des causes résultent de mesures obtenues en jouant sur le marché.
1. Elévation du prix de vente
Dans le capitalisme de monopoles, le marché subit de profondes transformations dans ses formes à la suite de la concentration du capital industriel. Un chiffre est éloquent pour exprimer cette concentration : en 1880, il y avait 735 sociétés sidérurgiques aux États-Unis ; en 1950, 16.
« Par entreprise multinationale, on entend les sociétés qui opèrent dans plusieurs pays et qui, s’articulant en diverses formes productives, soit à caractère horizontal (développement massif d’une même production), soit à caractère vertical (ensemble de plusieurs processus de production), sont en mesure de contrôler le marché non selon les nécessités que celui-ci inspire mais selon leur programme de vente et d’expansion. En admettant qu’on puisse encore parler de marché aujourd’hui… En fait, il manque ce qui constitue, dans l’économie classique, les présupposés dont il tire son origine, et sa validité. Le marché, pour être tel, dans la définition généralement acceptée, est le moment de rencontre entre les multiples forces productives et la grande masse de consommateurs et surtout le lieu de formation des prix auxquels une quantité de produits est vendue.
« La concentration des entreprises et la conséquente élimination de la concurrence a amené les grandes entreprises à considérer le marché non plus comme le moment de formation des prix et de la quantité vendable, mais comme une énorme boutique où qui peut ou veut achète à un prix prédéterminé. » (Rivista Anarchica, février 1972).
Les petits capitalistes sont éliminés de la course, absorbés, ou vivent sous la dépendance des grosses firmes. Pour produire avec un maximum de rentabilité, il faut réunir un capital considérable en machines, outillage… ce qui place des moyens de plus en plus grands sous le contrôle d’un nombre de plus en plus réduit de capitalistes. Ceux-ci ont donc la possibilité de se tailler la part du lion sur le marché en expulsant les petits et moyens fabricants.
Ceux des capitalistes qui surnagent entrevoient la possibilité de limiter la concurrence qu’ils se font entre eux et de s’entendre pour éviter la hausse de prix .
« La concurrence est dépassée ; elle aboutit à la coopération par la fusion des entreprises et par la constitution d’ententes internationales », dit un dirigeant du trust chimique ICI. Lord Melchett, en 1927.
La constitution de monopoles suppose certaines conditions préalables cependant :
- La dimension moyenne des entreprises doit être suffisamment grande. Si les entreprises sont trop petites, cela favorise les transferts rapides de capitaux d’une branche à l’autre selon la variation du taux de profit.
– La multiplicité des petites entreprises empêche la constitution de monopoles car il faut en contrôler un trop grand nombre pour contrôler le marché national ;
– La centralisation et la concentration du capital créent les conditions favorables au développement des monopoles, grâce à la création de très grosses entreprises en nombre réduit, ayant un énorme capital immobilisé.
La concentration capitaliste peut revêtir de nombreuses formes. Nous en retiendrons trois, les plus caractéristiques :
- Le trust. – C’est un groupement financier auquel des sociétés jusqu’alors concurrentes confient leurs actions, et qui reçoivent en échange des certificats qui attestent la proportion dans laquelle ils souscrivent à l’entente. Le mot a pris plus tard un sens plus général.
– Le holding. – C’est une société de participation qui permet de contrôler de nombreuses entreprises en concentrant le contrôle financier sur la société mère. Ce système présente l’avantage de contrôler beaucoup de sociétés avec un minimum de capital.
– Les fusions d’entreprises. – C’est la forme la plus efficace de concentration. L’indépendance juridique ou financière des sociétés constitutives disparaît pour former un ensemble homogène.
On entrevoit que la circulation des marchandises à l’intérieur même des groupes monopolistes – et qui est d’autant plus grande que les groupes contrôlent plus d’entreprises – sont des relations d’échange qui, pour être monnayées, n’en sont pas moins surtout des artifices comptables ou fiscaux.
Si une concurrence subsiste, elle se situera soit entre les groupes monopolistes, soit entre groupes monopolistes et secteurs non monopolistes, et non entre entreprises contrôlées par un même groupe.
2. Discrimination des prix de vente et manipulations
Les monopoles profitent de discriminations de prix faites en leur faveur. mais également parviennent, en s’entendant entre eux, à supprimer la concurrence sur les prix.
« Jadis, un fabricant avait une entreprise individuelle. Ensuite… (il y eut) plusieurs associés. Plus tard, l’affaire dépassa le capital que pouvaient fournir deux ou trois associés et des sociétés anonymes devaient apparaître… Maintenant, nous avons atteint une nouvelle étape, et il est nécessaire de regrouper un certain nombre de sociétés anonymes en ce que nous appelons une coalition. »(Ch. Wilson, Unilever, I, p. 65).
Mais les « coalitions » n’empêchent pas la guerre entre les monopoles ou les manipulations pour écraser les concurrents. Vers la fin du siècle dernier, une multitude de sociétés se concurrençaient dans la production de pétrole aux États-Unis. Le groupe Rockefeller qui réunissait la majorité des raffineries obtint le monopole des pipe-lines. La Standard Oil parvint à raffiner 90 % de la production US de pétrole. Les producteurs étaient obligés de vendre leur pétrole à la Standard Oil, puisqu’elle était seule à pouvoir l’acheminer vers les raffineries. Les producteurs de pétrole faisaient la queue tous les jours devant les bureaux du trust Rockefeller pour pouvoir vendre au prix imposé par Rockefeller.
En 1927, le trust américain de l’aluminium ALCOA produisait également du magnésium. Le trust Dow Chemicals. se spécialisait dans le magnésium. Une entente fut arrangée : ALCOA arrête sa production de magnésium, en échange de quoi Dow Chemicals livre à ALCOA tout le magnésium dont il a besoin, à un prix de 40 % inférieur au prix payé sur le marché. Quand on peut s’entendre…
La U.S. Steel Corporation avait le monopole du chemin de fer dans la région des mines. Ce monopole oblige les vendeurs à accepter les prix imposés par la U.S. Steel.
Les monopoles, liés aux groupes financiers, se procurent des crédits et des capitaux à peu de frais. Les petites et moyennes sociétés se voient imposer des conditions exorbitantes.
Inversement les groupes financiers peuvent manipuler le marché grâce au contrôle qu’ils ont sur les moyens de financement. Une grande banque allemande envoya, en 1901, la lettre suivante à une société de production de ciment. Une assemblée générale des actionnaires de la compagnie devait avoir lieu, lors de laquelle « des mesures pourraient être prises qui pourraient impliquer des changements dans vos entreprises qui seraient inacceptables pour nous. Pour ces raisons, et à notre profond regret, nous sommes obligés de supprimer dorénavant les crédits que nous vous avions jusqu’alors accordés… Mais si ladite assemblée générale ne prend pas les mesures inacceptables pour nous, et si nous recevons des garanties appropriées à ce sujet quant à l’avenir, nous serions disposés. à ouvrir des négociations avec vous pour vous accorder de nouveaux crédits. » (Oskar Stillich, « Geld und Bankwesen », p. 147).
3. Monopoles, source de gaspillage
Dans la mesure où les monopoles s’entendent pour atténuer, ou même supprimer la concurrence, ils peuvent, nous l’avons vu, imposer sur le marché des prix surélevés par rapport au prix de production mais également imposer des produits de qualité médiocre, rapidement usagés si ce n’est dangereux. pour la santé. Un certain nombre de pratiques sont employées qui aboutissent à un fantastique gaspillage.
– Limitation de la production
Avant de se lancer .dans une nouvelle production, le capitaliste analyse le marché pour savoir si le produit sera vendu. Si la capacité d’absorption du marché est supérieure à la production effectuée, cela importe peu, car la demande étant alors supérieure à l’offre, cela augmente les profits. Dans le cas contraire, si la production dépasse la demande, il y a risque d’effondrement des prix.
L’arme principale du trust est donc la diminution de la production en regard des besoins afin de faire monter les prix.
En 1935, le cartel du cuivre, en faisant baisser les stocks de 35 % et en limitant la production, provoqua une hausse des prix de 150 %. La même année, une société canadienne ayant des installations industrielles valant 28.000 dollars en reçut 79.500 du cartel des producteurs de boîtes en carton pour cesser la production pendant deux ans.
– Frein à l’application d’innovations techniques
L’énorme masse de capitaux engagés en matériel fait que l’amortissement est rendu plus long. Si une technique de production nouvelle est introduite précipitamment, ces capitaux peuvent être dévalorisés avant d’avoir été amortis. Indépendamment de cela, puisque les profits reposent sur le contrôle du marché par la limitation de la production, l’introduction de nouvelles techniques n’est pas rendue urgente. Il est donc préférable d’empêcher ces nouvelles techniques d’être mises en application. On achète donc des brevets d’invention, et on les met dans un tiroir.
En 1930, une ampoule électrique qui, selon les estimations, aurait économisé dix millions de dollars aux consommateurs de courant électrique a été inventée, mais n’a pas été mise sur le marché.
– Détérioration de la qualité des marchandises
Les défenseurs de l’économie de marché affirment que la qualité essentielle du système est le libre choix des consommateurs sur les produits qu’ils achètent ; rien n’est plus faux.
« On sait généralement qu’avec de telles imperfections du marché, la concurrence ne garantit point que le consommateur en recevra toujours pour son argent. Aussi bien les industriels anonymes, qui n’ont pas de réputation à perdre, que des trusts géants qui n’ont à se soucier que d’une concurrence inefficace, peuvent exploiter l’ignorance du consommateur. » (Stocking & Watkins, « Monopoly and free enterprise », pp. 134 – 136).
Des bureaux de recherche dans des firmes automobiles se consacrent à l’étude de la résistance des pièces… non pas pour améliorer celles-ci mais pour calculer la durée moyenne de vie de certaines pièces vitales dont l’usure nécessite le changement de la voiture. La durée moyenne de vie d’une voiture est artificiellement diminuée pour pousser à la consommation. En jargon de métier cela s’appelle « rejection pattern ». C’est la quantité limite de manipulation d’une marchandise, au-delà de laquelle le client risque de refuser le produit. En clair, cela se traduit ainsi :
« Le chiffre d’affaires maximum exige la construction la moins chère pour la durée minimum tolérée par le client. » (cité par V. Packard, L’art du gaspillage).
Le vocabulaire des commis des grands trust chargés des études de marché est très parlant. Citons quelques exemples :
- puff limit (« limite de gonflage ») : la quantité limite de vide qui peut, sans éveiller de soupçon, être contenue dans un paquet pour faire apparaître celui-ci comme une meilleure affaire. Ainsi, les lessives sont « gonflées » d’un produit neutre qui ne sert à rien ou auquel on attribue des vertus bidons, pour faire augmenter la quantité ;
– container flash time (littéralement : « temps d’apparition de l’emballage ») : largeur d’exposition d’un paquet sur une étagère nécessaire pour attirer de façon optimale l’œil du client ;
– package grab level (« hauteur de saisie d’un paquet ») : la meilleure hauteur de l’étagère pour qu’un client puisse saisir un objet. On met le produit le moins cher en bas ou tout à fait en haut, et le plus cher à la hauteur optimale.
Tout ceci est très scientifiquement étudié par d’éminents psychologues du comportement, dont le rôle se résume à ceci : MANIPULATION.
Nous terminerons cette première partie en disant que si l’économie de marché peut prendre diverses formes, dans tous les cas elle aboutit à un gaspillage effréné de ressources, de temps et de vies.
Le capitalisme de monopoles ne supprime pas la concurrence et le chaos de la production capitaliste ; il ne fait que les transférer à un niveau supérieur, entre antagonistes de plus en plus puissants disposant de plus en plus de pouvoir pour manipuler les hommes et exploiter les travailleurs. Nous verrons dans le prochain article les caractérisations du marché dans les pays capitalistes d’État et ce que le mouvemente anarcho-syndicaliste propose comme perspectives.