La Presse Anarchiste

Anarcho-syndicalisme

L’assimilation du capi­ta­lisme d’État au socia­lisme est abu­sive, elle a des causes his­to­riques com­plexes dont l’origine remonte au débat entre les deux prin­ci­paux cou­rants de la pre­mière Inter­na­tio­nale. Déter­mi­nante éga­le­ment fut la prise en compte par le par­ti bol­che­vik du pro­gramme de déve­lop­pe­ment du capi­ta­lisme russe sur des bases nationales. 

L’apparition de ten­dances vers le capi­ta­lisme d’État dans les sec­teurs les plus faibles de l’impérialisme mon­dial s’explique sur­tout, en der­nier res­sort, par des condi­tions inté­rieures à ces pays. L’impérialisme crée un type par­ti­cu­lier de rap­ports entre métro­poles indus­trielles et pays domi­nés. Ces der­niers sont de simples four­nis­seurs de matières pre­mières et, éven­tuel­le­ment, de main‑d’œuvre. Les matières pre­mières sont trans­for­mées dans les métro­poles et retournent sous forme de mar­chan­dise dans les pays domi­nés. Dans ce cycle, les pays du tiers monde n’ont aucune chance de pou­voir déve­lop­per une éco­no­mie natio­nale indépendante. 

Les divi­sions entre frac­tions natio­na­listes dans les pays domi­nés par l’impérialisme expriment les oppo­si­tions d’intérêt entre les frac­tions de la bour­geoi­sie autoch­tone. Dans Soli­da­ri­té ouvrière de novembre 1974, dans un article sur les anciennes colo­nies du Por­tu­gal, nous disions au sujet de l’Angola – reve­nu depuis au pre­mier plan de l’actualité – que cer­taines frac­tions natio­na­listes « repré­sentent les inté­rêts de la bour­geoi­sie com­pra­dore [[«…on entend tra­di­tion­nel­le­ment par bour­geoi­sie com­pra­dore la frac­tion bour­geoise qui n’a pas de base propre d’accumulation du capi­tal, qui agit en quelque sorte comme simple “inter­mé­diaire” du capi­tal impé­ria­liste étran­ger (…) et qui est ain­si, du triple point de vue éco­no­mique, poli­tique et idéo­lo­gique, entiè­re­ment inféo­dée au capi­tal étran­ger. » (Nikos Pou­lant­zas, Les classes sociales dans le capi­ta­lisme aujourd’hui, Édi­tions du Seuil)]] (FNLA) inféo­dée au capi­tal étran­ger. Elles servent d’intermédiaires à celui-ci, pré­co­nisent l’établissement d’une solu­tion néo-colo­niale en jouant, au sein du pays, sur les fac­teurs de dis­so­lu­tion : régio­na­lisme, tri­ba­lisme. Les autres pré­co­nisent une solu­tion natio­nale rigou­reuse parce qu’ils ne sont pas liés direc­te­ment au capi­tal étran­ger ou au capi­tal tout court, et jouent sur les fac­teurs d’unification, en par­ti­cu­lier sur le contrôle éta­tique de l’économie ».

Dans ce même article, nous disions éga­le­ment que les mou­ve­ments natio­na­listes du tiers monde se trouvent devant l’alternative suivante : 

  1. Ten­ta­tive de créer un centre auto­nome d’accumulation pri­mi­tive du capi­tal, néces­si­tant un cer­tain nombre de condi­tions éco­no­miques et poli­tiques rigou­reuses : cen­tra­li­sa­tion, par­ti unique d’une part, de l’autre contrôle ou pro­prié­té éta­tique de la pro­duc­tion, pla­ni­fi­ca­tion, fer­me­ture au mar­ché mon­dial et contrôle du com­merce exté­rieur ; C’est le capi­ta­lisme d’État ;
  2. Ou alors inté­gra­tion au mar­ché impé­ria­liste, ouver­ture des fron­tières aux capi­taux étran­gers, par­ti­ci­pa­tion à la divi­sion inter­na­tio­nale du tra­vail en se limi­tant au rôle d’exportateur de matières pre­mières ; c’est la solu­tion néo-coloniale. 

L’application de l’une ou l’autre méthode n’est pas une ques­tion de choix, mais de rap­port de force entre les dif­fé­rentes frac­tions de la bour­geoi­sie natio­nale, et d’opportunité sur le plan international. 

Dans la pra­tique, les condi­tions favo­rables à la créa­tion d’un régime capi­ta­liste d’État auto­nome et sou­ve­rain ne se sont réa­li­sées que deux fois dans l’histoire, à la faveur de cir­cons­tances inter­na­tio­nales excep­tion­nel­le­ment favo­rables, et à la suite de deux guerres mon­diales qui ont pro­vo­qué un affai­blis­se­ment tem­po­raire des États impé­ria­listes euro­péens et américains. 

Si des cir­cons­tances inter­na­tio­nales excep­tion­nel­le­ment favo­rables ont per­mis à ces États de se consti­tuer, un contexte natio­nal excep­tion­nel­le­ment favo­rable leur ont per­mis de se conser­ver (éten­due ter­ri­to­riale, popu­la­tion, res­sources, orga­ni­sa­tion disciplinée). 

La conjonc­tion de ces deux séries de fac­teurs est peu sus­cep­tible de se renou­ve­ler. Il s’est créé une bipo­la­ri­sa­tion des rap­ports inter­na­tio­naux entre les deux grandes formes domi­nantes et concur­rentes du capi­ta­lisme – mono­po­liste et d’État – qui fait qu’aujourd’hui, aucune lutte de libé­ra­tion natio­nale ne peut plus exis­ter sans se mettre sous la dépen­dance directe d’un des deux blocs, sans que l’État nou­vel­le­ment consti­tué ou en for­ma­tion ne devienne le satel­lite for­mé sur le modèle de l’un ou de l’autre bloc. Le cas est extrê­me­ment net pour l’Angola ; l’UNITA. et le FLNA sont sou­te­nus par les impé­ria­listes occi­den­taux tan­dis que le MPLA est sou­te­nu par l’URSS

L’URSS : un cas particulier

Dans la théo­rie mar­xiste clas­sique, le régime qui devait le plus natu­rel­le­ment bas­cu­ler vers le socia­lisme était celui qui serait par­ve­nu au degré le plus éle­vé d’industrialisation, car il aurait réuni le maxi­mum de condi­tions pour la réa­li­sa­tion du socia­lisme. Cette thèse s’étant mon­trée fausse, Lénine expli­qua que la révo­lu­tion avait pu se décla­rer en Rus­sie parce que celle-ci était le maillon le plus faible de la chaîne impérialiste. 

En réa­li­té, la révo­lu­tion russe a pu conser­ver ses acquis capi­ta­listes d’État (éta­ti­sa­tion, pla­ni­fi­ca­tion) pré­ci­sé­ment parce que, par­mi les maillons les plus faibles de impé­ria­lisme, elle était le maillon le plus fort ; c’est-à-dire que par­mi les pays domi­nés par l’impérialisme euro­péen, elle était celui qui pos­sé­dait les meilleurs atouts, elle était celui qui était le mieux capable de déve­lop­per une éco­no­mie indé­pen­dante. Évo­quant l’économie russe d’avant la révo­lu­tion, Trots­ky disait que « l’industrie russe, par sa tech­nique et sa struc­ture capi­ta­liste, se trou­vait au niveau des pays avan­cés, et même, sous cer­tains rap­ports, les devan­çait » (His­toire de la révo­lu­tion russe).

La qua­li­fi­ca­tion de la Rus­sie comme régime capi­ta­liste d’État aura pu sur­prendre. Il n’est pas de notre pro­pos de déve­lop­per dans le cadre de cet article une théo­rie appro­fon­die de la révo­lu­tion russe. Celle-ci fut effec­ti­ve­ment une révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne dans la pre­mière phase de son déve­lop­pe­ment. Mais dès la fin de la pre­mière année com­men­ça une autre-révo­lu­tion de carac­tère capi­ta­liste d’État [[On peut suivre les prin­ci­paux évé­ne­ments qui ont mar­qué cette contre-révo­lu­tion étatique :

  • Décembre 1917-jan­vier 1918 : sub­sti­tu­tion, dans les syn­di­cats, des élé­ments élus par des élé­ments direc­te­ment nom­més par le par­ti ; liqui­da­tion des comi­tés d’usine ;
  • Mars 1918-août 1918 : désar­me­ment des milices des soviets (gardes rouges) par l’armée rouge ; retrait de tout pou­voir aux soviets locaux ; répres­sion contre les socia­listes-révo­lu­tion­naires de gauche et les anar­chistes et sup­pres­sion de leurs journaux. 
  • Jan­vier 1919 : au 2e Congrès Pan­russe des syn­di­cats, un délé­gué, Chir­kin, déclare : « Quand il y a des élec­tions et que les indi­vi­dus ne plaisent pas au conseil cen­tral ou aux pou­voirs locaux, les élec­tions sont annu­lées très faci­le­ment et les élus rem­pla­cés par d’autres indi­vi­dus, plus dociles. » Un autre délé­gué, Per­kin, dit : « Le pro­lé­ta­riat a juste le droit de se rendre ridi­cule. Il a le droit bien sûr d’élire ses repré­sen­tants, mais le pou­voir d’État, avec son droit de rati­fier ou non les élec­tions, agit comme il lui plaît avec nos repré­sen­tants. » (Rap­port sté­no­gra­phié du 2e Congrès Pan­russe des syn­di­cats, Mos­cou, Edi­tions Syn­di­cales Cen­trales, 1919, I, 34.) 
  • Mars 1921 : Au Xe Congrès du par­ti bol­che­vik, sup­pres­sion du droit de ten­dance dans le par­ti ; répres­sion de l’insurrection de Crons­tadt, dont les marins et ouvriers récla­maient principalement : 
    • élec­tion des soviets au bul­le­tin secret et liber­té de parole pour les orga­ni­sa­tions révolutionnaires ;
    • liber­té de réunion aux syn­di­cats ouvriers et orga­ni­sa­tions paysannes ;
    • éga­li­té des rations ali­men­taires entre com­mu­nistes et non communistes ;
    • sup­pres­sion de la police poli­tique dans les usines. 

Décla­ra­tion de Trots­ky au Xe Congrès : « Le par­ti est obli­gé de main­te­nir sa dic­ta­ture (…) quelles que soient les hési­ta­tions tem­po­raires de la classe ouvrière (….) La dic­ta­ture n’est pas fon­dée à chaque ins­tant sur le prin­cipe for­mel de la démo­cra­tie ouvrière. » 

On voit donc que dès la fin de 1918 (et ce avant le début de la guerre civile, – 25 mai 1918 – la classe ouvrière n’a plus aucun pou­voir. Elle est dépos­sé­dée de son arme­ment ; elle est dépos­sé­dée de son droit de déci­sion dans ses orga­ni­sa­tions.]]. Les causes en reviennent d’abord et au pre­mier chef à la défec­tion du pro­lé­ta­riat euro­péen dont le sou­tien était une ques­tion de vie ou de mort pour la révo­lu­tion russe. Mais cette défec­tion don­née, l’orientation capi­ta­liste d’État a été consciem­ment menée par le par­ti bol­che­vik, dont le diri­geant Lénine pen­sait que « le capi­ta­lisme d’État serait un pas en avant par rap­port à l’état actuel des choses dans notre Répu­blique des Soviets. Si dans six mois par exemple, nous avions ins­tau­ré chez nous le capi­ta­lisme d’État, ce serait un immense suc­cès et la plus sûre garan­tie qu’un an plus tard, dans notre pays, le socia­lisme serait défi­ni­ti­ve­ment assis et invin­cible ». (« Sur l’infantilisme de gauche ») [[Voir à ce sujet les textes de Lénine : « Com­ment orga­ni­ser l’émulation ? » et « Les tâches immé­diates du pou­voir des soviets ».]]. 

Lais­sons à Lénine la res­pon­sa­bi­li­té de ses pré­vi­sions opti­mistes… Il demeure que le capi­ta­lisme d’État est quelque chose que les diri­geants bol­che­viks avaient sérieu­se­ment envi­sa­gé comme un moindre mal par rap­port au chaos dans lequel se trou­vait alors la Rus­sie. Il n’y a donc là rien de nou­veau. Alors qu’il vou­lait construire le socia­lisme, Lénine se trouve dans une situa­tion où il est obli­gé d’appliquer un pro­gramme qui est en retrait par rap­port à celui qu’il vou­lait mettre en œuvre. 

Curieu­se­ment, Engels avait pré­vu une telle situa­tion. Dans La guerre des pay­sans en Alle­magne, il évoque la situa­tion de Tho­mas Mün­zer en 1525, qui est très exac­te­ment com­pa­rable à celle de Lénine en 1917 : 

« C’est le pire qui puisse arri­ver au chef d’un par­ti extrême que d’être obli­gé d’assumer le pou­voir à une époque où le mou­ve­ment n’est pas encore mûr pour la domi­na­tion de la classe qu’il repré­sente et pour l’application des mesures qu’exige la domi­na­tion de cette classe. Ce qu’il peut faire ne dépend pas de sa volon­té mais du stade où en est arri­vé l’antagonisme des dif­fé­rentes classes et du degré de déve­lop­pe­ment des condi­tions d’existence maté­rielles et des rap­ports de pro­duc­tion et d’échange, qui déter­minent, à chaque moment don­né, le degré de déve­lop­pe­ment des oppo­si­tions de classes. Ce qu’il doit faire, ce que son propre par­ti exige de lui, ne dépend pas non plus de lui, pas plus que du degré de déve­lop­pe­ment de la lutte de classe et de ses condi­tions. Il est lié aux doc­trines qu’il a ensei­gnées et aux reven­di­ca­tions qu’il a posées jusque là, doc­trines et reven­di­ca­tions qui ne sont pas issues de la posi­tion momen­ta­née des classes sociales en pré­sence et de l’état momen­ta­né, plus ou moins contin­gent, des rap­ports de pro­duc­tion et d’échange, mais de sa com­pré­hen­sion plus ou moins grande des résul­tats géné­raux du mou­ve­ment social et poli­tique. Il se trouve ain­si néces­sai­re­ment pla­cé devant un dilemme inso­luble : ce qu’il peut faire contre­dit toute son action pas­sée, ses prin­cipes et les inté­rêts immé­diats de son par­ti, et ce qu’il doit faire est irréa­li­sable. En un mot, il est obli­gé de ne pas repré­sen­ter son par­ti, sa classe, mais la classe pour la domi­na­tion de laquelle le mou­ve­ment est pré­ci­sé­ment mûr. Il est obli­gé, dans l’intérêt de tout le mou­ve­ment, de réa­li­ser les inté­rêts d’une classe qui lui est étran­gère et de payer sa propre classe de phrases, de pro­messes et de l’assurance que les inté­rêts de cette classe étran­gère sont ses propres inté­rêts. Qui­conque tombe dans cette situa­tion fausse est irré­mé­dia­ble­ment perdu. »

Lénine – et le par­ti bol­che­vik – se sont trou­vés dans une situa­tion ana­logue. Dans l’impossibilité de réa­li­ser le socia­lisme dans les condi­tions de la Rus­sie de l’époque, ils ont construit un capi­ta­lisme d’État en le pré­sen­tant comme le socia­lisme. Le pro­blème de savoir si mal­gré tout, le socia­lisme aurait été pos­sible, reste du domaine de la poli­tique-fic­tion. De notre point de vue, la ques­tion revient à se deman­der pour­quoi les liber­taires n’étaient pas plus forts et mieux orga­ni­sés… [[Sur le rôle de l’idéologie bol­che­vik, voir Mau­rice Brin­ton, dans « Auto­ges­tion et socia­lisme » n° 24 – 25 et Castoriadis.]]

Toute expli­ca­tion sub­jec­tive ou affec­tive des évé­ne­ments doit être consi­dé­rée avec beau­coup de pré­cau­tion. Les com­mu­nistes russes n’étaient pas des « méchants » qui vou­laient « trom­per les tra­vailleurs ». Mais, cela dit, l’analyse de l’histoire du par­ti bol­che­vik, de ses théo­ries et de son mode d’organisation, de la com­po­si­tion sociale de ses diri­geants montre qu’il était pré­dis­po­sé à accom­plir le rôle qui lui a fina­le­ment échu. 

Cin­quante ans d’histoire du mou­ve­ment ouvrier mon­dial ont été déter­mi­nés par la confu­sion exis­tant dans les esprits entre capi­ta­lisme d’État et socia­lisme, par l’assimilation de la Rus­sie avec un régime socia­liste. Pour que la révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne puisse de nou­veau aller de l’avant il faut que les tra­vailleurs prennent conscience que le socia­lisme ne se réduit pas à la pro­prié­té éta­tique et là la direc­tion éta­tique des moyens de pro­duc­tion, il faut que les tra­vailleurs prennent conscience que l’État, en aucun cas, n’est une struc­ture de classe du prolétariat. 

Seule la des­truc­tion révo­lu­tion­naire de l’État, et la mise en place d’organismes éma­nant direc­te­ment et contrô­lés direc­te­ment par la classe ouvrière peut ouvrir la voie au socialisme. 

Que ce soit dans les pays indus­triels déve­lop­pés ou dans les pays domi­nés par l’impérialisme, la ten­dance au contrôle éta­tique de la pro­duc­tion est une constante. Dans l’un et dans l’autre cas cepen­dant, cette ten­dance ne répond pas au même besoin. Dans le pre­mier cas, le capi­ta­lisme d’État répond à la dif­fi­cul­té crois­sante d’assurer des pro­fits et de main­te­nir des rap­ports d’exploitation dans le cadre d’une éco­no­mie de plus en plus en crise. Les frac­tions domi­nantes de la bour­geoi­sie des pays indus­triels déve­lop­pés sont fon­da­men­ta­le­ment oppo­sées à l’accroissement du contrôle éta­tique de la pro­duc­tion, qui pro­voque d’importantes modi­fi­ca­tions dans la struc­ture interne de ces couches. La bour­geoi­sie de ces pays ne s’y résigne que contrainte, et n’admet l’accroissement du rôle de l’État que dans les limites stric­te­ment nécessaires. 

Dans les pays domi­nés, la ten­dance au contrôle éta­tique répond au besoin d’assurer le déve­lop­pe­ment du capi­tal sur des bases nationales. 

Le prin­ci­pal anta­go­nisme interne du capi­ta­lisme, aujourd’hui, est celui qui oppose la ten­dance mono­po­liste à la ten­dance éta­tique. Ce sont deux sys­tèmes qui pré­sentent une struc­ture dif­fé­rente, qui repré­sentent des niveaux dif­fé­rents de concen­tra­tion des forces pro­duc­tives et dont la coexis­tence est impossible. 

Cette oppo­si­tion a des fon­de­ments maté­riels. En déve­lop­pant le capi­tal sur des bases natio­nales et en fer­mant les fron­tières au capi­tal étran­ger, les pays qui s’orientent vers la voie du capi­ta­lisme d’État réduisent le champ d’action des mono­poles impé­ria­listes. Or, ceux-ci ont besoin d’étendre sans cesse leur mar­ché et leurs sources d’approvisionnement en matières pre­mières. Ils se voient donc pro­gres­si­ve­ment asphyxiés. 

Quant aux pays qui ont réus­si à créer une éco­no­mie sur des bases éta­tiques, leurs pos­si­bi­li­tés de déve­lop­pe­ment sont frei­nées par deux phénomènes :

  1. La néces­si­té de vivre en autar­cie les pousse à fabri­quer eux-mêmes des pro­duits qui leur sont beau­coup plus coû­teux que s’ils se les pro­cu­raient par l’échange ;
  2. L’antagonisme des sys­tèmes éco­no­miques les oblige à ren­for­cer leur éco­no­mie mili­taire, une des prin­ci­pales sources de gas­pillage improductif.

Mais, sur­tout, un pays iso­lé, aus­si riche soit-il, ne peut pas pro­cu­rer l’abondance à ses habi­tants. Aus­si, les pays qui ont réus­si a s’orienter vers la voie capi­ta­liste d’État ne peuvent main­te­nir ce sys­tème qu’en accrois­sant le taux d’exploitation de la classe ouvrière, en déve­lop­pant un appa­reil de répres­sion poli­tique et éco­no­mique, en créant un appa­reil idéo­lo­gique qui dif­fuse la pro­pa­gande pro­duc­ti­viste, etc. 

Dans tous les cas, la logique interne du déve­lop­pe­ment de ces deux sys­tèmes les pousse vers l’expansion, vers le déve­lop­pe­ment tou­jours crois­sant de leur modèle de socié­té à d’autres pays. La guerre, sous quelque forme que ce soit, est une pers­pec­tive natu­relle, ins­crite dans la logique de l’antagonisme de ces deux sys­tèmes. La solu­tion ne consiste pas à choi­sir entre l’un ou l’autre ; la prise en main par le pro­lé­ta­riat mon­dial de son propre des­tin consti­tue la seule issue possible.

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