La Presse Anarchiste

Dans le livre parisien

Après la pré­ten­due « libé­ra­tion », les ouvriers du Livre, ain­si que l’en­semble de la classe ouvrière fran­çaise, avaient salué avec enthou­siasme la fin du long cau­che­mar qu’a­vaient été l’oc­cu­pa­tion et le régime vichys­sois. Des pro­messes, solen­nelles comme tou­jours, n’a­vaient-elles pas été faites ? La C.G.T. et les Syn­di­cats recons­ti­tués, les libertés (

Lors de la libé­ra­tion, dans le Livre, à Paris, les salaires sont fixés à 21 francs de l’heure à la suite de l’aug­men­ta­tion géné­rale accor­dée par le gou­ver­ne­ment. Mais les prix des sub­sis­tances aug­mentent tou­jours. Les Syn­di­cats demandent l’ap­pli­ca­tion des indices tels qu’ils ont été fixés à la der­nière réunion de la com­mis­sion (mai 1944 ; or, nous sommes à la fin de l’an­née et les prix ont déjà fait un bond énorme ; les ouvriers font donc une très grosse conces­sion). Ceci don­ne­rait 31 fr. de l’heure. Menace de grève. Les patrons, qui résis­taient (pro­fit d’a­bord : nous sommes donc tou­jours en régime capi­ta­liste?), cèdent et acceptent l’aug­men­ta­tion par paliers : 26 fr. d’a­bord (début 1945); les 31 fr. aux… calendes grecques. Les ouvriers s’impatientent.

Mer­cre­di 28 février, les délé­gués, assem­blés, rap­portent les déci­sions prises dans les boîtes. C’est la grève pour le lendemain.

Mais les tra­vailleurs ont comp­té sans les direc­tions de la C.G.T. et de l’U­nion des Syn­di­cats, qui entrent en fureur et prennent à par­tie les diri­geants du Livre. Il ne faut de grève à aucun prix ! Là-des­sus, délé­ga­tion auprès du ministre du Tra­vail, Paro­di. Celui-ci com­mence par dire qu’il y a des salaires trop éle­vés (dans les jour­naux notam­ment). La délé­ga­tion, Hénaff, secré­taire de l’U.D., et Ehni, secré­taire fédé­ral, en tête, insiste mol­le­ment. Le ministre se décide à accor­der… l’aug­men­ta­tion, naïfs que vous êtes ? Non : à accor­der sa parole que la com­mis­sion des salaires, réunie d’ur­gence, don­ne­ra sous huit jours sa réponse. Et c’est tout… sauf que, pour se moquer des ouvriers, on leur garan­tit la rétro­ac­ti­vi­té au 15 février. Rétro­ac­ti­vi­té de quoi ? On se le demande. Car, au 20 mars, le Livre n’a pas encore la réponse pro­mise. C’est avec cela, c’est-à-dire les mains vides, que les diri­geants osent se pré­sen­ter devant l’as­sem­blée des gré­vistes du 3 mars. Après les expli­ca­tions assez piteuses de Ehni et Lar­gen­tier, Hénaff com­mence une besogne de divi­sion. Il prend pré­texte d’un tract « trots­kiste » dif­fu­sé à l’en­trée, tract invi­tant à pour­suivre la grève, pour atta­quer vio­lem­ment les mécon­tents, c’est-à-dire la majo­ri­té de la salle. Tous les slo­gans de la déma­go­gie sta­li­nienne y passent : guerre à outrance, hit­lé­risme, cin­quième colonne, etc. Tan­tôt il menace, tan­tôt il adjure les ouvriers de ren­trer lun­di 5 mars.

La réac­tion ne se fait pas attendre. De nom­breux copains pro­testent contre un tel dégon­flage après deux jours de grève una­nime. Hélas ! Hénaff a réus­si à divi­ser la salle et à semer le décou­ra­ge­ment. Les ouvriers ne rentrent tout de même pas le lun­di. L’a­près-midi de ce jour, les délé­gués rap­portent les résul­tats des réunions de boîtes du matin. C’est la ren­trée, tête basse. C’est la défaite consa­crée par l’é­chec d’une nou­velle entre­vue au minis­tère le jeu­di 8, où le ministre avait agi­té le spectre de la réqui­si­tion, par les Amé­ri­cains, des boîtes et des ouvriers impri­mant pour eux des cartes de la région du Rhin.

Les com­mu­nistes, qui jadis déclen­chaient grève sur grève pour un oui ou un non, ont pro­mis au gou­ver­ne­ment la paix sociale. On sait bien que de Gaulle, repré­sen­tant la France bour­geoise à Mos­cou lors du pacte, a obte­nu cer­taines conces­sions tou­chant la poli­tique inté­rieure du pays. Les com­mu­nistes ont reçu des ordres. À la veille de la grève, on pou­vait les entendre ânon­ner la leçon apprise à la cel­lule (pas de grève, cela pour­rait dres­ser l’o­pi­nion — bour­geoise sans doute ? — contre les ouvriers, etc.).

« L’Hu­ma­ni­té » a fait sur la grève le silence le plus com­plet, le plus har­gneux et hos­tile ; elle n’en a par­lé qu’a­près la ren­trée hon­teuse… pour célé­brer sa triste vic­toire, sans doute…

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