La Presse Anarchiste

Nécessité et condition d’une médecine sociale

problemes.pngCes der­niers mois, hygié­nistes, corps médi­cal, pou­voirs publics se sont pen­chés sur les pro­blèmes sani­taires. Il faut bien remar­quer que c’est seule­ment à la veillé de la guerre, et devant le pro­blème de la baisse de la nata­li­té, que les dif­fé­rents orga­nismes offi­ciels se sont vio­lem­ment émus. En effet, ceux-ci en font avant tout un pro­blème natio­nal, se réjouis­sant devant une aug­men­ta­tion de mor­ta­li­té dans le pays voi­sin, se déses­pé­rant d’une aug­men­ta­tion de la mor­ta­li­té dans le leur, car ain­si dimi­nue le nombre d’hommes dis­po­nibles des­ti­nés à for­mer la masse de com­bat pour la « pro­chaine guerre ».

Et il est assez curieux de remar­quer aus­si tous ces gens qui s’in­té­ressent soi-disant à la vie humaine, aux drames des foyers où la tuber­cu­lose fait des ravages, acceptent froi­de­ment les grands cata­clysmes qui font mou­rir des mil­lions d’hommes.

Il y a aus­si des phi­lan­thropes sin­cères qui font de la méde­cine sociale une des nom­breuses formes de la cha­ri­té, cette cha­ri­té si détes­table qui fait que l’on donne en cadeau aux êtres humains ce qui repré­sente un de leurs droits les plus élé­men­taires. Et c’est pour nous oppo­ser a ces points de vue, c’est aus­si parce que dans l’œuvre de créa­tion d’une vie sociale nou­velle plus sou­cieuse de per­mettre le déve­lop­pe­ment de tous les indi­vi­dus, la méde­cine a un grand rôle à jouer, que nous devons dès main­te­nant, dans le cadre de la socié­té actuelle, nous inté­res­ser aux pro­blèmes que pose une méde­cine sociale et essayer de sub­sti­tuer à l’i­dée de la san­té publique fran­çaise l’i­dée de la san­té de l’in­di­vi­du être humain.

Constatations

Un bilan rapide de ces der­nières années montre que les cir­cons­tances maté­rielles influent cer­tai­ne­ment sur l’é­tat de san­té. C’est ain­si qu’en 1941, année la plus dure, il y eut une aug­men­ta­tion de 28 % de la tuber­cu­lose. Dans les années sui­vantes, l’aug­men­ta­tion est moins nette, bien que la mor­ta­li­té infan­tile demeure éle­vée (elle l’a été par­ti­cu­liè­re­ment cet hiver).

C’est éga­le­ment les quar­tiers les plus popu­leux, les moins aérés, les plus pauvres, qui apportent le plus large tri­but à la tuber­cu­lose ; c’est le quar­tier de Sainte Mer­ri qui vient en tête avec une mor­ta­li­té cinq fois supé­rieure à celle des 8e et 16e arrondissements.

De même les sta­tis­tiques faites en Angle­terre (en France on ne s’est jamais inté­res­sé à cette ques­tion) montrent les dif­fé­rences de mor­ta­li­tés sui­vant les pro­fes­sions. Ain­si il est cer­tain que la sous-ali­men­ta­tion, l’ha­bi­ta­tion mal­saine, la fatigue jouent un rôle impor­tant dans la mor­ta­li­té. C’est en pre­mier lieu à ces fac­teurs qu’il fau­drait pal­lier en s’in­té­res­sant aux pro­blèmes urbains, à ceux du tra­vail dans de bonnes condi­tions, du déve­lop­pe­ment phy­sique de l’in­di­vi­du et tout par­ti­cu­liè­re­ment de l’enfant.

Prophylaxie et éducation

Les efforts faits au point de vue pro­phy­laxie anti­tu­ber­cu­leuse, anti­sy­phi­li­tique, à celui de la pué­ri­cul­ture, etc., avec des moyens indignes du niveau des décou­vertes scien­ti­fiques et d’un pays civi­li­sé, montrent néan­moins leur effi­ca­ci­té. Mais ils devraient être déve­lop­pés à. un point que ne per­met guère la socié­té actuelle, et toute méde­cine pré­ven­tive est indis­so­ciable d’un bou­le­ver­se­ment social.

Elle devra d’ailleurs s’ac­com­pa­gner aus­si d’une œuvre édu­ca­tive extrê­me­ment impor­tante. Car il ne suf­fit pas que toute l’or­ga­ni­sa­tion sociale veuille pro­té­ger la san­té de l’in­di­vi­du, il faut encore que celui-ci aide la socié­té en se pro­té­geant lui-même. Or, nom­breux sont les indi­vi­dus qui, incons­cients, igno­rants ou rebelles vis-à-vis du méde­cin qui y gagne trop sou­vent la répu­ta­tion de char­la­tan. Il fau­drait des méde­cins par­ti­cu­liè­re­ment doués pour entre­prendre cette œuvre édu­ca­tive, en tenant compte des fac­teurs psy­cho­lo­giques com­plexes qui éloignent tant de sujets de tout contrôle sanitaire.

Dès l’é­cole il fau­dra don­ner aux enfants des don­nées pré­cises et simples et aus­si le culte de leur corps, de leur san­té ; leur faire sen­tir, par la vie même qu’ils mène­ront, que le bien-être phy­sique est une base indis­pen­sable à tout équilibre.

Mal­heu­reu­se­ment nous sommes encore au stade où la méde­cine cura­tive a encore tout son rôle et on ne peut qu’être tris­te­ment écœu­ré en voyant quelle catas­trophe c’est de tom­ber malade dans la socié­té actuelle quand on n’est pas très riche et que le tra­vailleur, par exemple, n’a que le pour­cen­tage insuf­fi­sant accor­dé aux coti­sants par les Assu­rances sociales.

Nous savons tous quoi pen­ser des Assu­rances sociales et de l’as­sis­tance médi­cale gra­tuite qui obligent sou­vent le malade et sa famille à une vie de misère. Nous avons tous connu des tuber­cu­leux obli­gés de tra­vailler pour pou­voir vivre. Ou qui n’ar­ri­vaient pas à quit­ter leur foyer puis­qu’il y a en France dix tuber­cu­leux pour un lit.

Il y aurait beau­coup à dire sur les sana­to­ria, où on ne peut entrer sans un ser­re­ment de cœur, car rien n’est orga­ni­sé pour que ces malades y oublient leur mal ; des hôpi­taux, sou­vent vieux et sales, tristes eux aus­si, avec un per­son­nel infir­mier si mal payé que l’on ne sau­rait être exi­geant ; sur les asiles d’a­lié­nés où tout res­pire l’in­dif­fé­rence et où la notion d’hu­ma­ni­té semble avoir été oubliée sur le pas de la porte.

Enfin, il faut bien avouer que l’im­puis­sance de la méde­cine, dans des cas, hélas ! trop nom­breux, joue certes un grand rôle dans la méfiance du malade. Et, dans ce domaine, il fau­drait ver­ser de larges cré­dits à la recherche scien­ti­fique qui amène seule un pro­grès réel tant dans la méde­cine pré­ven­tive que dans la méde­cine curative.

Le personnel médical

Et si nous avons par­lé de l’é­du­ca­tion des sujets, non moins indis­pen­sable est celle du méde­cin. Celui-ci devra avoir à cœur de faire son tra­vail avec un maxi­mum de conscience et d’hon­nê­te­té. Sans aucune consi­dé­ra­tion pour les longues années d’é­tudes au nom des­quelles il s’at­tri­bue sou­vent trop de faci­li­tés, il doit faire son tra­vail avec amour, en consi­dé­rant que ses malades attendent tout de lui et qu’il leur doit tout. Il devra s’en­tou­rer d’as­sis­tantes sociales, de visi­teuses qu’il for­me­ra non dans l’es­prit d’une Armée du Salut ou de ces dames de la Croix Rouge, mais dans un esprit de lutte sociale, de lutte pour que l’homme trouve son équi­libre vital et la joie de vivre, pour qu’il s’é­pa­nouisse intel­lec­tuel­le­ment et mora­le­ment dans de bonnes condi­tions phy­siques. Lutte aus­si contre tout ce qui est contraire à la san­té humaine et, au pre­mier rang, un pro­duc­ti­visme qui ne consi­dère que les forces de l’argent.

Si le méde­cin rem­plis­sait ce rôle, il gagne­rait aus­si la confiance du malade. Son œuvre édu­ca­tive n’en serait que plus facile.

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