La Presse Anarchiste

Pensée, formes et sons

Sons…

L’As­so­cia­tion des Concerts Colonne a ter­mi­né le 17 mars le cycle des dix concerts sym­pho­niques qu’elle avait consa­crés aux œuvres de Beethoven.

Les neuf sym­pho­nies y furent exé­cu­tées à rai­son de une par séance, les pro­grammes étant com­plé­tés par des concer­tos ou des ouver­tures. À la dixième séance fut don­née la messe en ré.

La réus­site des deux pre­miers concerts fut sérieu­se­ment com­pro­mise par le froid, qui incom­mo­dait les exé­cu­tants, et par les pannes d’élec­tri­ci­té, qui ne sont pas faites pour faci­li­ter l’exé­cu­tion, impo­sant des arrêts aus­si inat­ten­dus que néfastes à la bonne inter­pré­ta­tion. C’est ain­si que la pre­mière et la deuxième sym­pho­nies, pleines de nuances, per­dirent beau­coup du charme qui leur est propre. La troi­sième, l’«Héroïque », déjà plus forte comme com­po­si­tion, en souf­frit moins. La qua­trième, qui est l’ex­pres­sion même de la musique pure, béné­fi­cia néan­moins d’une très bonne exécution.

Nous devons rete­nir par­ti­cu­liè­re­ment l’exé­cu­tion remar­quable de la Cin­quième et féli­ci­ter M. Jean Four­net pour la maî­trise dont il fit montre en diri­geant l’or­chestre. Rare­ment cette œuvre de pre­mier choix fut exé­cu­tée avec tant d’ac­cent et de gran­deur. La « Pas­to­rale » fut jouée, elle aus­si, avec tout l’art qu’elle mérite.

Les concerts pour pia­no eurent des exé­cu­tants de grande classe : notam­ment Ginette Doyen dont le jeu est sobre et sans hési­ta­tion. Mme Des­lau­rier, dont nous ne vou­lons pas dimi­nuer les mérites, gagne­rait à ges­ti­cu­ler un peu moins quand elle est devant le clavier.

Le « Concer­to pour vio­lon » fut fort bien joué par M. Hen­ri Mer­ckel. Nous savons le tour de force que repré­sente l’exé­cu­tion impec­cable d’un sem­blable ouvrage, mais notons en pas­sant que M. Mer­ckel, véri­table vir­tuose, s’en acquit­ta par­fois beau­coup mieux.

Il est très bien de jouer, de faire connaître les œuvres de Bee­tho­ven. Nul mieux que lui n’a su tra­duire, par des ensembles musi­caux savam­ment orches­trés, les divers états d’es­prit que peut connaître la per­sonne humaine.

Cepen­dant nous déplo­rons que pour faire entendre ses œuvres, on pro­cède comme on l’a fait pour ce « cycle» ; que l’on y consacre entiè­re­ment dix séances suc­ces­sives pour les­quelles les billets ne sont ven­dus qu’en gros, c’est-à-dire pour les dix séances à la fois (sys­tème de l’a­bon­ne­ment). De tels pro­cé­dés ne manquent pas d’être mer­can­tiles et tout le monde n’a pas les moyens de faire une aus­si forte dépense.

Nous repro­chons aus­si à ces « cycles Bee­tho­ven », si chers aux Concerts Colonne, d’en­cou­ra­ger le sno­bisme, de dimi­nuer, chez l’au­di­teur, la satis­fac­tion réelle qu’il trou­ve­ra en allant écou­ter, chaque semaine, à la même heure, pen­dant deux mois et demi, toute une suc­ces­sion d’œuvres du même auteur, ça fait un peu tra­vail à la chaîne. Et Bee­tho­ven mérite mieux que cela.

Formes…

Les peintres du dimanche

L’art ne doit plus être l’a­pa­nage des peintres bour­geois. L’art doit être acces­sible à tous. Faut-il rap­pe­ler les noms de Van Gogh, Sou­tine, Utrillo pour s’en convaincre ?

L’art aca­dé­mique qui pour­rit dans les musées, voi­là le bilan de la pein­ture bour­geoise. Que reste-t-il de Bou­gue­reau ? Qui parle de Bon­nat et de tous les pon­tifes qui ont tué l’art avec leurs règles absurdes ?

Si, de nos jours, l’art est en prin­cipe ouvert à tous, la concur­rence bour­geoise n’en est pas moins sérieuse.

Toi, le peintre du dimanche qui ne connais per­sonne par­mi les pla­ciers du Salon des Indé­pen­dants pour te réser­ver un centre de pan­neau, ou même une place au jour, tu seras voué à l’ombre. Tu seras voué à l’a­no­ny­mat éter­nel si tu ne com­prends pas qu’il faut que tu te groupes, que tu mani­festes avec tes amis, que tu reven­diques les mêmes droits que tous ces fils à papa, pour qui l’a­mour de l’art s’est mué en amour de l’argent.

Toi, tu n’as pas col­la­bo­ré, tu n’as pas cher­ché un mar­chand pour t’ex­ploi­ter et te lan­cer pen­dant les années qui sui­virent la « drôle de guerre ». Tu as conti­nué de tra­vailler avec amour, pour toi, pour ton plai­sir, pour celui d’un ami, avec sin­cé­ri­té, avec joie.

Il en est sor­ti une œuvre d’art. Que vaut-elle ? Si elle est une inter­pré­ta­tion du monde tel que tu sou­hai­te­rais qu’il fût, c’est par­fait. Si elle n’est qu’une pâle imi­ta­tion du monde qui t’en­toure et que tu hais, pour­quoi te don­ner tant de peine ? Les pho­tos en cou­leurs sont aus­si bien.

L’art est encore dans une mani­fes­ta­tion, une révolte, une révolte contre les concep­tions bour­geoises de la vie de chien que tu dois mener. Si tu sens ta voca­tion, romps les chaînes qui t’at­tachent à la niche du sala­rié. Tu n’en pein­dras qu’a­vec plus de fougue ta palette se colo­re­ra des cou­leurs de la révolte elle-même. Tu triom­phe­ras dans la mesure où tu auras bri­sé le plus d’i­mages conven­tion­nelles, où tu auras construit un monde qui sent la sueur de la liber­té. Dans l’ef­fort inhu­main qu’il te fau­dra four­nir, tu trou­ve­ras ce levain de gloire : la joie incom­men­su­rable de ceux qui créent un monde meilleur.

Et si le suc­cès t’as­sure une maté­rielle hono­rable, ne suc­combe jamais à la ten­ta­tion de la facilité.

La Presse Anarchiste