La Presse Anarchiste

Que nous réserve demain ?

La guerre va bien­tôt être ter­mi­née, du moins nous l’espérons.

Ensuite ce sera sans doute « les len­de­mains qui chantent », n’est-ce pas ? Tout ren­tre­ra dans un ordre nor­mal et le pays meur­tri mais vic­to­rieux, à force de tra­vail, relè­ve­ra ses ruines et ses habi­tants cou­le­ront des jours heu­reux ! Est-ce bien sûr ? La situa­tion sera peut-être plus dif­fi­cile que cer­tains ne pensent. 

En effet, si aujourd’­hui la France, grâce aux accords prêt et bail, peut faire la guerre à cré­dit demain il fau­dra rem­bour­ser. Et avec quoi ? Il faut bien com­prendre que demain presque tous les États du monde seront débi­teurs des États-Unis. Com­ment ceux-ci vont-ils concré­ti­ser leur vic­toire éco­no­mique ? En tout cas, la France se trou­ve­ra com­plè­te­ment à leur mer­ci. Elle se trou­ve­ra avec une éco­no­mie dés­équi­li­brée, ses ports, ses villes, son sys­tème fer­ro­viaire, sa marine mar­chande détruits, son stock d’or disparu.

Que lui res­te­ra-t-il ? Ses colo­nies ? Oui ! Seule­ment il est pro­bable qu’elle ne les aura plus qu’en titre, car ces colo­nies pour­raient bien consti­tuer d’une façon dégui­sée le gage de la dette française.

Déjà « on cause ». L’A­mé­rique ne tient pas au renou­vel­le­ment du man­dat fran­çais en Syrie et au Liban. Quant à l’In­do­chine, qui jus­te­ment détient les seules choses qui manquent aux U.S.A., il est bien impro­bable que ceux-ci s’en dés­in­té­ressent Dakar, lui, consti­tue un excellent relais aéro­na­val et Mada­gas­car n’est pas à dédai­gner. Et comme les deux grands blocs éco­no­miques U.R.S.S.-U.S.A„ cha­cun tirant dans son sillage un groupe de nations satel­lites, se trou­ve­ront fata­le­ment aux prises.

Les États-Unis, d’ailleurs, dont l’in­dus­trie est capable d’a­li­men­ter le monde entier ne s’as­su­re­ront sans doute des matières pre­mières colo­niales que pour en détruire une par­tie, car ils ont peur de l’a­bon­dance qui créa chez eux, plus encore qu’ailleurs, le chaos et le chômage.

Est-ce que la France, pri­vée d’une par­tie de son empire colo­nial, pour­ra se rele­ver aisé­ment ? Gageons que non et qu’elle sera ame­née à pra­ti­quer une pauvre poli­tique d’é­co­no­mie fer­mée n’ayant plus les moyens d’a­che­ter à l’é­tran­ger, le franc cou­rant vers la faillite à une vitesse accélérée.

Autre­ment dit, la France sera ame­née à aban­don­ner com­plè­te­ment le libé­ra­lisme éco­no­mique pour l’au­tar­cie et les « ersatz », ses alliés actuels ayant tout inté­rêt à gêner son relè­ve­ment industriel.

Au temps de l’oc­cu­pa­tion, la pro­pa­gande alle­mande pré­ve­nait les Fran­çais qu’en fai­sant le jeu des alliés, ils per­draient leurs colo­nies. S’ils avaient fait le jeu de l’Al­le­magne, ils les auraient d’ailleurs per­dues aus­si, car le Reich avait bien trop besoin de matières pre­mières pour ne pas se les approprier.

Dans tous les cas, par suite de cette guerre l’É­tat fran­çais sera cer­tai­ne­ment appe­lé à prendre éco­no­mi­que­ment place avec les pays dits pro­lé­taires et sa classe labo­rieuse sera ame­née tôt ou tard à choi­sir entre un dic­ta­teur et des solu­tions révo­lu­tion­naires, avec sans doute l’ap­pui des classes ouvrières alle­mande, ita­lienne et espagnole.

C’est dans ce sens seule­ment que le pro­blème colo­nial nous intéresse.

La Presse Anarchiste