La Presse Anarchiste

Réalités et mensonges

Nous voulons vivre dans le réel. 

Nous voulons vivre pour le réel.

Et ce qui est humain, ce qui grandit l’homme, ce qui le libère est le réel. Nous devons vivre au milieu de leurs con­traires, de leur néga­tion : men­songes, calom­nies, appétits sor­dides, ambi­tions mépris­ables, des­seins igno­bles. Aus­si ne vous éton­nez pas de nous voir vivre pour le réel et com­bat­tre vos faux-semblants.

Mais ce réel, tel que nous le voyons actuelle­ment, peut paraître unique­ment négatif, plus sujet de lutte que lutte réelle ; il n’est actuelle­ment, et nous devons le dire, qu’e­spoir, raidisse­ment, com­bat pure­ment reven­di­catif. Il fait plus appel à la volon­té d’ac­tion qu’à l’ac­tion elle-même. En lui coïn­ci­dent seule­ment nos sou­venirs, notre vision du présent, nos espoirs, et cela est con­tenu en deux mots : notre idéal.

Les dif­fi­cultés à vain­cre pour que ce réel devi­enne réal­ité pour tous, sont énormes. Après sept ans, les don­nées si sim­ples et si famil­ières à tout mil­i­tant sincère de la révo­lu­tion sociale, de l’é­man­ci­pa­tion du pro­lé­tari­at par lui-même, la lutte de class­es, l’in­ter­na­tion­al­isme pro­lé­tarien ont dis­paru aux yeux des mass­es qui s’en récla­maient encore en 1938. La défaite des répub­li­cains espag­nols et leur interne­ment, en France, dans des con­di­tions affreuses où l’ig­no­ble ne le cédait en rien au trag­ique hal­lu­ci­nant de cette fin de lutte, qui n’avaient provo­qué ici que des réflex­es de colère vite étouf­fés par les manoeu­vres politi­ci­ennes et par la capo­ral­i­sa­tion et la mobil­i­sa­tion dal­adiéristes, furent les pre­miers symp­tômes de l’a­ban­don des posi­tions pris­es par la classe ouvrière et par ceux pour qui le pro­grès social est lié à son éman­ci­pa­tion totale. Ces aban­dons, nous les avons vus se for­mer, se pro­duire et se suc­céder ensuite à un rythme tel que les notions essen­tielles que nous rap­pe­lions et qui sont la con­créti­sa­tion de la prise de con­science du pro­lé­tari­at par lui-même, sa charte d’ex­is­tence, ont été emportées, bal­ayées comme fétus dans l’oura­gan de la guerre.

Tout le prob­lème de notre lutte est là : c’est celui de la lutte pro­lé­tari­enne, et nous l’avons exposé avec net­teté dans le dernier numéro sous le titre : l’Or­dre et l’U­nité. Si nous le reprenons aujour­d’hui, c’est qu’il faut y revenir sans cesse. Certes, il y a des îlots où la con­fu­sion ne règne pas : notre regroupe­ment en donne une preuve. Il en est d’autres exem­ples : ceux qui, aujour­d’hui, revi­en­nent des camps où ils ont médité, repen­sé, sans obsta­cle, les événe­ments de 1936 à 1939, ceux-là revi­en­nent avec leur foi pure.

Mais devons-nous, devant ces obsta­cles, devant cette perte de con­science qu’en­tre­ti­en­nent dis­coureurs de la plume, de la tri­bune, de l’éther, et fan­fares pré-tri­om­phales, devant ces aban­dons qu’on nous affirme être plus appar­ents que réels : gages four­nis à une sit­u­a­tion don­née, posi­tion stratégique, néces­sités du « réal­isme poli­tique », devons-nous nous dés­espér­er, nous aban­don­ner, dans l’at­tente de mots d’or­dre ou de cette lev­ée de la masse de com­bat, de la révolte spon­tanée du peu­ple excédé ? Non ! L’an­niver­saire du 18 mars 71 est là pour nous redonner l’e­spoir, pour nous con­firmer que notre réel est le Vrai. Certes, dans deux mois, nous rap­pellerons le sou­venir de la « troisième défaite du pro­lé­tari­at français », qui en a subi d’autres depuis ; mais, aujour­d’hui, sou­venons-nous seule­ment de la révolte, de l’af­fir­ma­tion de son exis­tence par le peu­ple lui-même, de sa volon­té de lutte con­tre l’op­pres­sion étrangère, con­tre sa bour­geoisie fuyarde et vile, con­tre l’É­tat. C’est de ce jour seul, le 18 mars, dont nous devons nous sou­venir aujour­d’hui. Espoir et volon­té de vain­cre, mêlés.

C’est là, dans cette volon­té et dans cette cer­ti­tude, qu’est le réel. Pas ailleurs.


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