Pendant que les armées alliées, en un « rush » puissant et qui parait devoir être impitoyable, donnent l’impression de vouloir en finir à tout prix et tout de suite, que les remous divers provoqués par la conférence de Yalta sont à peine dissipés déjà, les commentaires provoqués par la réunion mondiale de San Francisco vont leur train. En même temps, les Américains vérifient leur position d’après les résultats de l’assemblée des nations sud-américaines, tenue récemment à Mexico. Mais, d’ores et déjà, un résultat s’avère acquis : la politique de puissance primera la politique de prestige. Et bien peu d’États ne pourront se dire les satellites des « quatre invitants » qui seront, en fait, les responsables de la paix future.
En Angleterre. Retenons du discours prononcé au congrès du parti conservateur par Churchill que la France, pourvue d’une armée forte, sera nécessaire si elle veut avoir une place prépondérante dans le nouvel organisme, mais que celui-ci ne saurait reposer sur une dictature des grandes puissances. Pas un mot du territoire westphalo-rhénan, ni des problèmes suscités par le proche-Orient. Cependant, la presse anglaise est très divisée sur la partie du discours relative à la ligne Curzon. Signalons seulement que le « Daily Herald » reproche à Churchill de ne pas s’être prononcé nettement sur la question de savoir si à une unité politique doit correspondre l’unité économique par la coopération internationale ; ce journal constate encore que l’avenir de la Pologne, tel qu’il est défini et connu actuellement, est en contradiction avec la Charte de l’Atlantique et il s’élève aussi contre le fait que le gouvernement polonais ne sera effectivement reconnu qu’après acceptation par lui des modifications de frontières décidées à Yalta.
Aux U.S.A., Roosevelt, au Congrès, a étonné en ne parlant que de la suppression des fabrications d’armement dans l’Allemagne conquise, alors que le communiqué visait la suppression de toutes les industries pouvant être utilisées à des fins militaires (et quelle est donc l’industrie qui, dans un pays en guerre, ne travaille pas pour cette dernière?). Autre étonnement : alors que Churchill semble considérer comme définitive la question des frontières polonaises, le Président déclare que la position prise ne constitue qu’un compromis. La presse américaine, et notamment le « New York Times », constate que la Méditerranée reste aujourd’hui, comme hier, la plaque tournante des communications mondiales. D’où une prise de position plus nette de la part des États-Unis dans la question du proche-Orient dont le pétrole les attire… Signalons encore la création envisagée par l’Association des banquiers de New York dans sa conférence de Bretton Woods d’une banque internationale dont seraient exclues les nations qui n’auraient pas effectué le règlement de leurs dettes de guerre, et dont le comité comprendrait, avec les membres du gouvernement, les principaux banquiers de Wall Street. Enfin, le Département économique étudie un plan d’industrialisation de la Chine, ce qui donnera aux habitants de ce pays de connaître, après la guerre dont ils font les frais depuis tant d’années, les bienfaits de la « civilisation » moderne et de la taylorisation.
À Mexico, on a cherché à établir un accord d’assistance faisant pendant à celui de Dumbarton Oaks, créant ainsi un bloc américain réaffirmant la doctrine de Monroë et écartant toute ingérence non américaine dans les affaires du continent, le Canada excepté. Comme suite immédiate de la conférence, mentionnons la déclaration de guerre de l’Argentine aux puissances de l’Axe, ce qui lui permettra entre autres choses de participer à la conférence de la paix.
En France, la position prise par le gouvernement en vue de San Francisco a fait couler beaucoup d’encre, car, après la satisfaction unanimement marquée de la conclusion du pacte franco-soviétique, les résultats connus de Yalta avaient « durci » l’opinion contre les « trois grands ». Mais transformée, par sa volonté, de puissance invitante en puissance invitée, la France s’est retournée vers la Belgique, la Hollande et le Luxembourg et a engagé des conversations dont le résultat sera soumis, en fait cependant, à l’avis des « trois grands ». Le resserrement s’affirme également avec l’Italie par la reprise des relations diplomatiques avec ce pays.
Nous assistons donc, dans ce secteur comme dans les autres, à la persistance de groupes d’influences dont la fin annoncée n’est pas cependant pour demain, le capitalisme et les impérialismes étant toujours solides, sauf erreur.
Terminons ce rapide tour d’horizon par l’Europe centrale.
Le cabinet roumain exigé par les Soviets n’a pas le préjugé favorable de New York et de Londres. Leurs presses déclarent que l’U.R.S.S. Ne « joue pas le jeu » et que sa politique secrète n’est pas en harmonie avec les décisions de Yalta au sujet des pays libérés. Une chose nous intéresse dans les événements dans cette partie du monde : la Roumanie, après la Pologne, a distribué les grandes propriétés foncières entre les mains des paysans exploitants eux-mêmes. Sans anticiper sur son résultat, nous devons considérer comme intéressante cette mesure que regardent d’un œil inquiet les adversaires des réformes véritables de structure : grands propriétaires, financiers, lords et autres gentlemen-farmers.
Le bruit fait autour des tentatives d’armistice qu’aurait faites l’Allemagne s’est éteint. C’est la ruée. Les propos sont remplis de : « C’est la fin » — « Dans quinze jours…». Que faut-il donc aux dirigeants allemands pour faire cesser immédiatement cette lutte sans merci et sans autres solutions que la mort dans l’immédiat et une misère sans précédent pour les rescapés ? Car la Paix, fondée sur la force, telle qu’elle est considérée dans toutes les conférences, d’où le mot « désarmement » est absent, ainsi que ceux de « contrôle international des richesses pouvant servir essentiellement à la guerre » sera « leur » paix et non la « nôtre », comme la guerre est leur guerre.