La Presse Anarchiste

Après les élections

Grande vic­toire de la démo­cra­tie ! crie-t-on gauche. Confu­sion et tru­quage ! hurle-t-on à droite. Comme si après cinq ans de nazisme il fal­lait s’at­tendre à autre chose qu’à une pous­sée vers les par­tis repré­sen­tant la soi-disant démo­cra­tie, comme si le tru­quage n’a pas été, avec la confu­sion, le bagage de toute élec­tion qui se res­pecte. En 1936, après le vote, le « Popu », l’«Huma » et l’«Œuvre », organes des par­tis vain­queurs, por­taient en « cha­peau » : « Le Peuple a par­lé ! Il doit être obéi ! » Comme on peut le voir en étu­diant sans par­ti-pris les éga­re­ments poli­tiques de ces dix der­nières années, le peuple a été par­fai­te­ment obéi… Il vou­lait la guerre, la famine, la misère, la lâche­té et toute la pour­ri­ture, qui d’ailleurs conti­nue, car nous cre­vons du men­songe et de la « lutte des places ».

La vic­toire des gauches devrait, du point de vue orien­ta­tion de la volon­té popu­laire, même si cette volon­té n’est pas res­pec­tée, nous satis­faire en tant que l’af­flux de ceux qui se rangent dans les par­tis du mou­ve­ment de révo­lu­tion, nous prouvent que l’é­vo­lu­tion pour­suit son che­min inexo­rable. Mais atten­tion ! Si dans la masse les non-ini­tiés croient encore à la posi­tion révo­lu­tion­naire des par­tis ouvriers, pour nous il y a beau temps que nous n’y croyons plus. Le suc­cès à gauche et à l’ex­trême-gauche est sur­tout dû au fait que les par­tis de tra­di­tions révo­lu­tion­naires, en fai­sant un très fort glis­se­ment à droite ont don­né confiance à ceux qui ne voyaient dans les socia­listes et les com­mu­nistes que des anti­mi­li­ta­ristes, des inter­na­tio­na­listes qui met­taient l’Hu­ma­ni­té au-des­sus de la Patrie. Les natio­na­li­sa­tions ne sont pas des socia­li­sa­tions, loin de là, et les petits bour­geois, dépos­sé­dés par les grands gang­sters du capi­ta­lisme, sont trop stu­pides pour se croire tou­chés par les natio­na­li­sa­tions ; on peut dire qu’ayant don­né des gages à la classe moyenne par un super patrio­tisme de fraîche date, par un répu­bli­ca­nisme pure­ment démo­cra­tique, par le pres­tige que les armées rouges ont conquis dans la fin de la guerre, les par­tis ouvriers ont mis la révo­lu­tion dans leur poche, au béné­fice d’une place dans le conser­va­tisme social. Les par­tis étant allés au com­bat, d’une part, avec leur dra­peau dans les listes homo­gènes ont dou­blé leurs chances par la consti­tu­tion de listes de coa­li­tion aux­quelles les élec­teurs et élec­trices ne voyaient que la lutte anti­fas­ciste, le main­tien de la répu­blique et l’ac­quit d’un patrio­tisme très opportuniste.

Quant à la droite, elle a été jouée après avoir orga­ni­sé elle-même la dupe­rie dont elle a été vic­time ; ne plai­gnons pas ces réac­tion­naires qui d’ailleurs ont d’autres cordes à leur arc que le bul­le­tin de vote. Tou­te­fois, de quoi peuvent se plaindre ces imbé­ciles ? Ont-ils été d’ac­cord pour la can­di­da­ture offi­cielle ? Ont-ils admis l’ap­pro­ba­tion des can­di­da­tures par le C.N.R.? Alors ! En sup­pri­mant les par­tis tra­di­tion­nels de droite, ces gros malins se figu­raient bien que tous les fas­cistes ou fas­ci­sants, repen­tis ou en puis­sance, se por­te­raient sur les listes M.R.P. au pre­mier tour. C’est ce qui s’est pro­duit, mais la sup­pres­sion d’un par­ti n’est pas la sup­pres­sion des par­ti­sans ; il fal­lait bien que ces gens-là se retrouvent quelque part et le croc en jambe fait au M.R.P. par le par­ti com­mu­niste au second tour est une opé­ra­tion élec­to­rale très régu­lière ; on va au com­bat avec toutes les pos­si­bi­li­tés de vaincre, l’en­nui c’est que le M.R.P. com­prend des résis­tants qui ont un pedi­gree anté­rieur au 20 juin 1941, aus­si il y a eu des dif­fi­cul­tés. En tout cas, comme toutes les for­ma­tions d’u­nion contre un dan­ger pré­cis mais momen­ta­né, les vain­queurs d’eux-mêmes vont reprendre leur liber­té, quitte à se com­battre entre eux dans des temps qui ne seront pas si éloignés.

Si cet exemple ne s’ar­rê­tait qu’à une ques­tion de places dans la « lutte des crabes », on en sou­ri­rait : mal­heu­reu­se­ment, trop de points noirs s’é­lèvent à l’ho­ri­zon pour que nous nous dés­in­té­res­sions com­plè­te­ment de ces pali­no­dies. Après le vote, mal­gré les gauches au pou­voir, muni­ci­pales s’en­tend, car pour les élec­tions consti­tuantes on va prendre un peu plus de pré­cau­tions, un fait reste clair et de ce fait nous n’a­vons jamais dou­té : y a‑t-il une pous­sée révo­lu­tion­naire sociale ? Non ! Il y a une accep­ta­tion d’un pro­gramme écha­fau­dé sur tout ce qui peut mettre en som­meil la révo­lu­tion, la vraie révo­lu­tion, celle que le peuple espère, attend, mais qu’il n’a­per­çoit pas, étant encore trop enclin à croire que sa seule action pour la révo­lu­tion c’est le bul­le­tin de vote.

Il y a eu des abs­ten­tions, beau­coup d’abs­ten­tions dans cer­taines muni­ci­pa­li­tés du Mor­bi­han et de l’I­sère ; il y a eu la grève des élec­teurs ; on cite même des muni­ci­pa­li­tés où il y eut grève des can­di­dats. Nous pour­rions en tirer des conclu­sions avan­ta­geuses si nous étions sûrs que ceux qui ont déser­té n’ont pas été que des indif­fé­rents mais des aver­tis qui refusent à tous les bate­leurs et mar­chands de vent le droit de trom­per le peuple.

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