La Presse Anarchiste

Atrocités nazies

Les jour­naux sont actuel­le­ment rem­plis des récits des atro­ci­tés com­mises dans les camps de repré­sailles nazis.

Nous n’ou­blions pas la bar­ba­rie cruelle entre toutes qui condam­nait toute une col­lec­ti­vi­té à l’ex­ter­mi­na­tion pour le simple fait qu’elle était d’o­ri­gine juive. Cet anti­sé­mi­tisme exa­cer­bé n’é­par­gnait pas plus les enfants que les femmes ou les vieillards. Et nous n’a­vons pas atten­du cette guerre pour le combattre.

Nous autres liber­taires, qui sommes les éter­nelles vic­times de l’op­pres­sion, ne pour­rions que nous féli­ci­ter si la cam­pagne orches­trée avait pour but de châ­tier des cou­pables, mais il semble bien plu­tôt que l’on cherche à semer la haine entre les peuples comme si l’on redou­tait qu’il puisse s’é­ta­blir une paix durable. Car enfin, ce n’est pas la pre­mière fois que l’on parle d’a­tro­ci­tés en temps de guerre (et il y a tout un numé­ro spé­cial du « Cra­pouillot » qui montre que les armées bal­ka­niques y avaient atteint une rare maî­trise), mais c’est la pre­mière fois que l’on cherche à rendre tout un peuple res­pon­sable du sys­tème oppres­sif dont il est lui-même la pre­mière victime.

Si l’on part de ce prin­cipe, quel peuple ne serait pas à condam­ner ? Nos bons alliés n’aiment pas beau­coup que l’on rap­pelle la manière dont les Anglais se com­por­tèrent avec les femmes boers ou com­ment ils s’y entendent pour mater une grève aux Indes. Les Amé­ri­cains, nous apprennent les sta­tis­tiques, se conten­taient de lyn­cher 300 nègres par an, dont une bonne dizaine brû­lés vifs. Quant aux Russes, pour ne pas avoir à prendre par­ti dans une cam­pagne de calom­nies où sont invo­qués les témoi­gnages de nos pri­son­niers rapa­triés, conten­tons-nous de noter que la presse anglaise accueille avec beau­coup de libé­ra­li­té les récits de ses rapa­triés par la Rus­sie : ils se plaignent d’a­voir été moles­tés, pour ne pas dire plus, par ceux qu’ils consi­dé­raient comme leurs libé­ra­teurs. C’est une cam­pagne poli­tique, direz-vous. Peut-être, et que cela vous rende pru­dents pour ce que nous lisons dans nos jour­naux. Et dans ce débal­lage des hor­reurs natio­nales aucun État n’est épar­gné. On s’é­tait jus­qu’i­ci lais­sé dire que la Suisse était un pays paci­fique et hos­pi­ta­lier, lisez plu­tôt ce qu’é­crivent les « Iszes­tia » du 15 avril sur les mau­vais trai­te­ments dont ont été vic­times les pri­son­niers sovié­tiques en Suisse :

« Le 23 février 1944, pour la fête de l’Ar­mée rouge, au camp de Waver­limes, les pri­son­niers s’é­taient réunis et chan­taient. Le com­man­dant du camp, un cer­tain capi­taine Ber­gen, lâcha les chiens et fit tirer. Il y eut 8 bles­sés dont un mou­rut. Las­sés de cette exis­tence « pire qu’en pri­son », cer­tains éva­dés ten­tèrent de gagner la France où ils savaient qu’il y avait des par­ti­sans. Ceux qui furent repris eurent à subir des peines de pri­son dans des condi­tions effrayantes : cel­lules étri­quées où il fal­lait péda­ler sans arrêt pour évi­ter que l’eau ne les inonde, ou cel­lules à paroi mobile, gar­nie de clous, qu’il fal­lait repous­ser à la main pour évi­ter d’être écra­sé. Qui sait com­bien de citoyens sovié­tiques périrent dans les chambres de tor­ture des pays neutres. »

Alors la Suisse aus­si au ban des nations civilisées ? 

Mais il ne faut pas mon­trer les défauts des autres avec un doigt sale, dit un pro­verbe ita­lien. Je n’ai pas besoin de deman­der à André Gide de nous rap­pe­ler com­ment les Fran­çais se conduisent en Afrique avec les peuples qu’ils civi­lisent, ni d’in­vo­quer les vieilles his­toires de Biri­bi. Tata­houine, la cra­pau­dine, les enter­rés vivants et tous les sup­plices des Bat’ d’Af’. Je racon­te­rai seule­ment ce que j’ai vu à Clair­vaux. En février 1940 arrive à la cen­trale un auto­no­miste ukrai­nien condam­né à quatre ans de pri­son pour pro­pos défai­tistes (il avait dit qu’il était heu­reux que la Pologne soit vain­cue et qu’­Hit­ler libé­re­rait les Ukrai­niens). Com­pre­nant assez mal le fran­çais, le mal­heu­reux est arrê­té et mis au cachot pour indis­ci­pline. Là, il est roué de coups par les gar­diens qui le frappent sur la tête, lui occa­sion­nant une frac­ture du crâne. Toute la nuit il hur­la sa souf­france aux échos du quar­tier cel­lu­laire et à l’aube il mou­rut. À Buchen­wald, les actes de décès men­tionnent « fai­blesse du cœur », à Clair­vaux « ménin­gite cérébrale ».

Par­mi les puni­tions, une des plus cou­rantes est la cami­sole de force : le pri­son­nier est ligo­té à l’in­té­rieur, on lui attache les deux mains aux che­villes, der­rière le dos, et on le laisse ain­si age­nouillé sur le ciment de sa cel­lule pen­dant vingt-quatre heures. S’il crie sa révolte, on jette sur lui deux ou trois seaux d’eau, la toile de la cami­sole se res­serre jus­qu’à désar­ti­cu­ler les omo­plates. Cela se pas­sait sous Dala­dier ; qui peut affir­mer que nos mœurs péni­ten­tiaires se sont huma­ni­sées main­te­nant ? En tout cas, le sinistre Bar­bi­cane qui pré­si­dait à ces sup­plices et qui main­te­nant jouit pai­si­ble­ment d’une retraite payée par le gou­ver­ne­ment fran­çais doit bien rire lors­qu’on parle des châ­ti­ments des crimes de guerre. On voit donc que le gou­ver­ne­ment fran­çais et sa presse sont assez mal pla­cés pour se poser en accu­sa­teurs. Je pense que c’est non seule­ment le droit, mais aus­si le devoir des res­ca­pés des camps d’ex­ter­mi­na­tion nazis de dire ce qu’ils ont vu et ce qu’ont subi leurs cama­rades. Par contre, il faut dénon­cer comme une basse besogne des diri­geants pour exci­ter les peuples les uns contre les autres, cette cam­pagne des cor­res­pon­dants de guerre et des pisse-copies qui vont visi­ter ces camps en tou­ristes et y faire un repor­tage, alors qu’il n’y a plus aucun dan­ger à y courir.

Si, à notre connais­sance, l’as­sas­si­nat n’a pas été pra­ti­qué dans des pro­por­tions aus­si grandes que celles atteintes par les nazis, ne per­dons pas de vue que ceux-ci ne furent pas les seuls à en user pour impo­ser leur dictature.

Dans cette période d’ef­fon­dre­ment des valeurs et de désar­roi moral, il faut tou­jours reve­nir aux idées simples. Haine = guerre ; amour = paix. Ce n’est pas notre Mou­ve­ment qui a lan­cé ce mot d’ordre ; pour­tant, les liber­taires s’y ral­lient sans dif­fi­cul­té, car per­sonne plus qu’eux ne s’est éle­vé contre les fer­ments de haine semés par les gou­ver­nants entre les peuples. 

Quand il s’a­git de faire connaître les réa­li­sa­tions géné­reuses de peuples étran­gers, la presse fran­çaise est moins loquace.

Cama­rades. veillez à ce que ce chan­tage aux sen­ti­ments ne soit pas géné­ra­teur de nou­velles hécatombes.

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