La Presse Anarchiste

Aux hasards du chemin

On ferme

Enfin, ça y est, il est ter­miné ce drame que d’au­cuns s’ac­corderont à trou­ver un peu long. Si long même que bien des acteurs prin­ci­paux ont jugé bon de quit­ter la scène avant la fin du dernier acte, sans atten­dre la baisse du rideau ni les applaudissements.

C’est ain­si que le dernier « Romain », fatigué de porter le plumet, essayait sub­rep­tice­ment de par­tir sous des cieux meilleurs, quoique à vrai dire tout aus­si infestés d’anges para­chutés et motorisés.

On con­naît l’his­toire. Une fois n’est pas cou­tume. « César » était mod­este. Vêtu en sim­ple sol­dat, il devait se dire : « Pour être heureux, vivons cachés. »

Dire que c’é­tait cela qui fai­sait trem­bler Rome !

Et le grandil­o­quent dic­ta­teur au verbe sali­vant prési­da à titre posthume un défilé sur lequel nous n’in­sis­tons pas.

Quant au grand pre­mier rôle, il est, lui aus­si, disparu.

Est-ce dans un fra­cas wag­nérien de bombes et d’obus ? Est-ce par le heurt en son crâne de deux idées baro­ques ? Mystère !

Mais si nous en croyons la ver­sion offi­cielle, il est mort et, avant de mourir, il était devenu fou.

Il voulait, l’in­sen­sé, con­vo­quer Tru­man et Churchill pour faire une Europe nou­velle, faute de quoi il allait se faire tuer à la tête de ses troupes.

Com­plète­ment idiot, n’est-ce pas ?

Car pour l’Eu­rope nou­velle les alliés n’ont pas besoin d’Hitler.

Ils nous pré­par­ent quelque chose de ridicule ; on ne vous dit que ça. Et le fait de vouloir mourir à la tête de ses troupes mon­tre bien qu’il ne con­nais­sait pas les règles du jeu ; car évidem­ment ce n’est pas l’usage. Est-ce que son prédécesseur Guil­laume ne dis­ait pas, sur la route de Hol­lande : « L’heure des folies héroïques est passée. »

Et ces messieurs Rey­naud et Dal­adier ? Se sont-ils fait tuer à la tête de leurs troupes ? Non ! Ils se sont con­tentés de nous crier : « Tenez bon ; faites-vous tuer sur place, on en est au dernier quart d’heure. » Pen­dant ce temps, héroïque­ment, l’un s’en­gageait dans la marine à bord du « Massi­na » et l’autre, tout aus­si héroïque, réal­i­sait son compte en banque : un nom­bre respectable de mil­lions en francs-or. « Et allez donc ! » devait-il penser. « C’est tou­jours autant qui les boches n’au­ront pas ! »

Ceci leur per­me­t­tra sans doute d’as­sur­er bien­tôt l’honor­able société d’électeurs et d’élec­tri­ces de la hau­teur de leur sen­ti­ment patri­o­tique. Non, décidé­ment, Duce et Fuehrer étaient de forts ténors, mais ils igno­raient l’art si déli­cat de par­tir sur la pointe des pieds. Acta est fab­u­la. On ferme ! Mais était-ce une tragédie ? Non, plutôt un mau­vais mélo. Le traître est châtié, le fou dis­paru une his­toire morale, quoi !

Quant au reste, les 40 mil­lions de fig­u­rants exter­minés, aucune impor­tance, n’est-ce pas ?

Les belles Affiches

Vous avez tous admiré cette affiche apposée sur les murs de Paris en faveur de l’emprunt.

Son orig­i­nal­ité n’a pu man­quer de vous séduire, mais ce qui a pu échap­per au pub­lic — et peut-être même à son auteur — c’est le côté sym­bol­ique qu’elle revêt.

Sous un bon­net phry­gien, l’om­bre d’une liasse de bil­lets de banque pro­file une Marianne.

Cela en amèn­era-t-il cer­tains à penser que sous le cou­vert de la haute banque nous n’avons jamais eu qu’une ombre de république ?

Autre affiche

À régime nou­veau, for­mule originale.

Sur les murs de Paris une affiche annonce un gala sportif. En biais, le nom de l’as­so­ci­a­tion « Effort et Joie »

Et pourquoi pas la « Kraft durch Freude » la Force par la Joie ?

Ponctualité opportune

Au jour V, à l’heure H, les sirènes ont retenti.

Comme vous le voyez, nous nageons dans l’im­prévu et la spontanéité.

Après cela, qui oserait dire que la guerre est une chose mûrie d’a­vance, que les grands de ce monde déclenchent et font cess­er selon leur bon plaisir ?

Grave question

Hitler est-il mort, ou est-il tou­jours de ce monde ? Grave prob­lème, dont la Con­férence de la Paix ne devra à aucun prix aban­don­ner la solu­tion. Nous exi­geons la lumière, toute la lumière !

Sou­venons-nous qu’en 1918 le crâne de Makaana a fait l’ob­jet de dis­cus­sions laborieuses, et, en tout bien tout hon­neur, Makaana était tout de même moins con­nu qu’Hitler. Pen­dant que le brave pop­u­lo dis­cute sur cette ques­tion, qui ne chang­era rien à son avenir, il oublie que le mort récal­ci­trant a été mis au monde et util­isé par le gros cap­i­tal­isme inter­na­tion­al, lequel, tout compte fait, ne se porte pas plus mal que cela avec ou sans Adolphe.

Curieux hasard

Le bureau de la C.G.T., ayant à sa tête les dirigeants de l’U­nité, s’est ren­du à plusieurs repris­es devant Par­o­di et Pleven à pro­pos de la base min­i­mum des salaires et pour obtenir sa fix­a­tion. Le cab­i­net s’est réu­ni pour stat­uer sur cette demande. Deux min­istres, out­re Bidault, étaient absents : Bil­loux, qui voy­age en ce moment, et Tillon, malade. Coïncidence…

Proverbe

Pen­dant qua­tre ans l’«Ordre » a préféré le silence au men­songe. On aurait préféré qu’il gueule la vérité, car, si l’on en croit le vieux proverbe : Qui ne dit mot consent.

À propos de Pétain

Que l’on n’e­spère pas nous voir mêler notre voix ven­ger­esse aux clameurs féro­ces qui sont poussées con­tre Pétain.

Nous n’avons pas atten­du ce jour pour savoir que penser du personnage.

Pour nous, il est autre chose que le capit­u­lard, que l’homme à tout faire de l’hitlérisme ; pour nous, il est d’abord un mil­i­taire, un enne­mi du peu­ple (que son auréole. de Ver­dun ne parvient qu’à nous ren­dre plus odieux); il est l’am­bas­sadeur que la France déléguait à Bur­gos pour ter­min­er l’as­sas­si­nat de la révo­lu­tion d’Es­pagne, et, lorsque Fran­co fai­sait faire anticham­bre au « grand sol­dat » (« Human­ité » 1939 dix­it), cela ne par­ve­nait pas à nous arracher des pleurs.

Nous n’en avions pas de reste dans ce temps où les avions civil­isa­teurs des fas­cismes — patron­nés par le cap­i­tal­isme libéral — jon­chaient le sol de la pénin­sule du cadavre des hommes, des femmes et des goss­es, le tout orchestré par la grande presse qui tarti­nait de la pitié sur com­mande et ver­sait des larmes de crocodile.

Non, si nous n’a­jou­tons pas les nôtres aux huées qui s’élèvent aujour­d’hui con­tre Pétain, ce n’est pas sen­ti­men­tal­isme de notre part : les qua­tre-vingt-neuf ans du vieux jésuite ne nous atten­dris­sent pas pour un sou déval­orisé, et ceux qui sont morts de son fait avaient plus de droit et de rai­son de vivre que cette baderne constellée.

Un vouloir plus pro­fond nous éloigne de la meute et de ses hurlements. Ni nos principes, ni nos goûts ne nous incli­nent à nous faire les pour­voyeurs d’une jus­tice que nous avons tou­jours dénon­cée comme une par­o­die de « la jus­tice », une jus­tice qui a frap­pé féro­ce­ment tant des nôtres. Par ailleurs, nous savons où nous con­duira cet appétit de vin­dicte : der­rière la charogne de deux ou trois boucs émis­saires, jetés en pâture à la pop­u­lace, les respon­s­abil­ités de la guerre auront beau jeu de se camoufler.

Mus­soli­ni tué, Hitler disparu (

« Au tra­vail ! » nous criera-t-on. « Assez joué comme cela ! Il y a des ruines à relever ! » Des ruines qui ont enrichi des marchands de canons pour les met­tre à terre et qui enrichi­ront des marchands de béton pour les remet­tre debout, « Que par­lez-vous de chercher des coupables ? »

Or, nous sommes de ceux qui pensent qu’il y avait d’autres meneurs du jeu que Mus­soli­ni, Hitler ou Pétain, et même que Pétain, Hitler ou Mus­soli­ni n’ont été que des mar­i­on­nettes entre leurs mains.


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