La Presse Anarchiste

Dans le bâtiment

Toutes les réunions, qu’elles soient géné­rales, de quar­tier ou inter­syn­di­cales, débutent inva­ria­ble­ment par un hymne à la pro­duc­tion. La France, le relè­ve­ment du pays, la résis­tance, etc.

Ensuite on parle de choses sérieuses ; car il ne faut tout de même pas lais­ser aux syn­di­qués l’im­pres­sion qu’on les a fait déran­ger pour des bali­vernes. Alors là le ton baisse un peu, c’est qu’on n’est pas trop fier du tra­vail accompli.

On com­mence par décla­rer aux gars que la C.G.T. n’é­tant pas d’ac­cord avec le patro­nat et le gou­ver­ne­ment, n’est pas res­pon­sable de la façon dont sont réajus­tés les salaires. Pour­tant, elle a appo­sé sa signa­ture sans mettre la base en garde, et voi­ci ce qu’elle a accep­té : gar­çon de relais, 20 fr. de l’heure ; gar­çon débu­tant, 23 fr.; gar­çon 6 mois, 27 fr.; com­pa­gnon A‑1, 30 fr. 50 ; com­pa­gnon A‑2, 32 fr. 50 ; com­pa­gnon qua­li­fié, 33 fr. 60 ; com­pa­gnon très qua­li­fié, 35 fr. 10.

En 39, les contrats col­lec­tifs recon­nais­saient deux caté­go­ries d’ou­vriers com­pa­gnons et gar­çons dont les tarifs étaient 9 fr. 62 et 10 fr. 82. On voit donc que le tarif du gar­çon de relais, compte tenu des nou­veaux impôts cédu­laires, est à peine dou­blé, tan­dis que celui des trois der­nières caté­go­ries de com­pa­gnons est tri­plé. Dans l’en­semble, les gar­çons sont désa­van­ta­gés. Quant aux com­pa­gnons, nombre d’entre eux vont avoir de rudes démê­lés avec les patrons qui vont pia­no­ter la gamme des tarifs.

Il est vrai que la direc­tion syn­di­cale a don­né un conseil fameux pour parer le coup. « Si votre patron ne vous place pas dans la caté­go­rie à laquelle vous pen­sez appar­te­nir, tâchez de for­cer un peu les cama­rades pour lui prou­ver votre capa­ci­té. » Autre conseil encore : « Si vous n’êtes pas contents de votre paye, n’hé­si­tez pas à taper le patron jus­qu’à ce qu’il vous rallonge. »

Voi­là au moins de l’ac­tion directe autant qu’in­di­vi­duelle. Gageons que l’i­nac­tion col­lec­tive don­ne­rait de meilleurs résul­tats. Seule­ment, pour la grève, il n’y faut point comp­ter, les diri­geants du syn­di­cat s’y opposent.

Voi­là où nous en sommes dans le bâti­ment neuf ans après juin 36. Et les patrons vont finir d’ex­ter­mi­ner les qua­rante heures et la jour­née de huit heures dont on était si fier autre­fois, en pro­po­sant le tra­vail aux pièces et les heures sup­plé­men­taires aux ouvriers qui trou­ve­ront la paye trop faible. Ce que la C.G.T. accep­te­ra sans doute « pour la patrie, etc. ».

Cepen­dant la C.G.T. numé­ri­que­ment est plus forte que jamais : 5 mil­lions d’adhé­rents et bien des pri­son­niers repren­dront leur carte. Que signi­fie un tel afflux à une époque où les masses ne sont pas, comme en juin 36, accu­lées par le chô­mage, mais où elles ont au contraire des pers­pec­tives de tra­vail consi­dé­rables, à une époque où la C.G.T. ne fait nul bat­tage pour les adhé­sions, où elle ne pré­sente aucun plan pour le mieux-être des tra­vailleurs ? Il n’y a pas d’en­thou­siasme, aucune pres­sion, on ne se syn­dique pas pour avoir la paix, pour suivre la mode, et cepen­dant les masses adhèrent.

Cela signi­fie que, d’une façon sub­cons­ciente peut-être, les ouvriers viennent prendre leur place de com­bat, qu’ils res­sentent que dans les temps à venir il leur fau­dra, pas­ser à l’ac­tion. Seront-ils encore une fois trahis ?

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