La Presse Anarchiste

Défendons le ciméma

La J.O.C. (Jeunesse Ouvrière Chré­ti­enne) appose sur les murs des papil­lons com­por­tant le texte suiv­ant : « Un pern­od de temps à autre, à la rigueur, d’ac­cord ; un film empoi­son­né, jamais. » Et de citer « Le Puri­tain » et « Pépé le Moko ».

Est-ce que ces moral­istes de pres­bytère vont con­tin­uer longtemps à emmerder le monde avec leur puri­tanisme ? Il est pos­si­ble que les dirigeants de la J.O.C. craig­nent que quelques images réal­istes ne vien­nent réveiller les sens endormis ou refoulés de leurs jeunes mil­i­tants, et qu’ils per­dent ain­si tout le béné­fice des mor­ti­fi­ca­tions et des mess­es domini­cales. En fait, ces deux films, s’ils ne sont pas des chefs-d’œu­vre, comptent mal­gré tout par­mi ceux très hon­or­ables de la pro­duc­tion française et méri­tent d’être défendus par tous les esprits férus de liberté.

Rien de pornographique ni de mau­vais goût n’en­tache ces films. La calotte, bas les pattes devant eux !

Et comme en province l’on a déjà ten­té de boy­cotter des films dénon­cés par la paroisse locale, nous invi­tons nos lecteurs qui se trou­veraient dans des salles où des man­i­fes­ta­tions du même ordre se pro­duiraient, de pass­er à l’ac­tion directe con­tre ces évangélistes du ciné­ma, pour leur faire sen­tir comme il con­vient que le peu­ple n’est pas mûr pour l’ob­scu­ran­tisme des Jésuites.

Le ciné­ma, qui nous a don­né « On lui don­na un fusil », « Quels seront les cinq ? », « Le jour se lève », et com­bi­en d’autres pro­duc­tions sociales et humaines, se doit d’être pro­tégé con­tre les empris­es des croy­ants de toute obédience.

L’Arc-en-ciel

Film sovié­tique tourné en Ukraine en 1945

Ce beau titre cou­vre un film aux images banales et sert une lourde pro­pa­gande. Sovié­tique ? Non ! De la haine anti­boche et l’ex­al­ta­tion de l’héroïsme dans le sen­ti­ment patri­o­tique russe.

Il s’ag­it d’un vil­lage ukrainien occupé par les Alle­mands, puis repris par les par­ti­sans. Tous les habi­tants font de la résis­tance pas­sive (non-livrai­son du blé) ou active (sab­o­tage, ter­ror­isme), col­lec­tive (le vil­lage entier porte sec­ours à un con­voi de pris­on­niers russ­es) ou indi­vidu­elle (un enfant porte du pain à une femme incar­cérée). Seuls un homme et une femme « col­la­borent » avec l’oc­cu­pant, et par un procédé prim­i­tif leur igno­minie éclate sur leurs vis­ages, ici sous les traits du traître clas­sique et de l’in­ter­na­tionale putain. Tous deux sont plate­ment bêtes et sans allure. Les Alle­mands sont leurs maîtres grotesques (car­i­ca­ture de leur sil­hou­ette, leur accent, leur goin­frerie) et bar­bares. Tous les thèmes sont accu­mulés pour mon­tr­er la sauvagerie de ces brutes épaiss­es, et c’est une suc­ces­sion des atroc­ités alle­man­des bien con­nues (pas de dis­tinc­tion entre nazis et les autres ; il s’ag­it unique­ment ici de la Wehrma­cht): bébés fusil­lés, enfants éven­trés, femme enceinte traitée comme un chien, prise d’o­tages, fusil­lades, pendaisons. Tous, officiers et sol­dats, pil­lent, volent, bat­tent, tor­turent, rica­nent. Jusqu’à la libéra­tion du vil­lage où ils se révè­lent lâch­es devant le dan­ger et la mort.

De l’autre côté, de la finesse (les numéros sont-ils aus­si pour la vache?), du courage tran­quille, de l’in­cor­rupt­ibil­ité (l’in­sti­tutrice), de l’héroïsme. Enfin, au-dessus de tout cela, la reli­gion du Par­ti (Es-tu du Par­ti ? demande l’of­fici­er alle­mand à l’héroïne arrêtée pour sab­o­tage. — Non, dit-elle, je n’en suis pas encore digne!) et le sen­ti­ment patri­o­tique russe sous sa forme anti-alle­mande. Dieu lui-même est présent dans cette juste cause (signes de croix et invo­ca­tions) et le vil­lage est repris, les deux traîtres mis à mort (jus­tice du peu­ple et celle du mari), les Alle­mands sur­vivants sont prisonniers.

Dernière cri­tique : le bon ciné­ma se passe de com­men­taires. Mais comme il ne s’ag­it ici que de pro­pa­gande, nous avons droit à un dis­cours final. Au moment où les femmes, armées de fourch­es, de bâtons, se ruent sur eux pour les étriper, une matrone imposante s’in­ter­pose, arrête la meute et se met à prêch­er. Les Eryn­nies dis­parais­sent alors de l’écran et les spec­ta­teurs, hyp­no­tisés par une énorme image, enten­dent le plus igno­ble appel à la vengeance raf­finée que pro­pa­gande publique se soit permise.

Il y a bien quelques belles images, per­les dans le fumi­er. Mais où est le grand ciné­ma sovié­tique des années 1920 ? Où est le respect du pub­lic ? Où est l’e­sprit révo­lu­tion­naire ? Tombés aus­si bas sans doute que dans les livres d’Ilya Ehrem­bourge ? « L’Arc-en-ciel », bon présage pour le vil­lage, dit l’héroïne ; mau­vais signe pour l’U­nion des Républiques Social­istes Sovié­tiques, dirons-nous.

La déca­dence de l’art accom­pa­gne ici la dégra­da­tion de la poli­tique et de la morale révolutionnaires.

[|― O ―|]

Un film que vous ne regret­terez pas d’avoir vu. C’est l’his­toire d’un pro­fesseur de col­lège qui con­sacre toute sa vie à l’é­d­u­ca­tion de jeunes garçons ; tour à tour, plusieurs généra­tions vont défil­er sous ses yeux. Un film plein de psy­cholo­gie où la finesse des boutades le dis­pute aux moments pathétiques.

Vous assis­tez à la vie de ce pro­fesseur, faite d’ab­né­ga­tion et de foi, mal­gré les lour­des décep­tions qu’il ren­con­tre au cours de sa longue car­rière. Jeune débu­tant fraîche­ment sor­ti des écoles supérieures, il arrive plein d’en­t­hou­si­asme au col­lège, où l’at­tend une classe d’élèves tur­bu­lents qui, voy­ant sa timid­ité, font de lui leur tête de turc pro­pre à subir leurs espiè­g­leries. Au moment de sa mort, il sur­prend une con­ver­sa­tion entre ses col­lègues debout à son chevet, où ceux-ci font ressor­tir com­bi­en sa vie sans enfant avait dû lui paraître douloureuse, et s’écrie dans une dernière pro­fes­sion de foi : « Mais, des enfants, j’en ai eu des milliers ! »

Tout dans ce film est une par­faite réus­site au point de vue tech­nique et au point de vue de l’art dramatique.

Le pas­sage sen­ti­men­tal, mal­gré la naïveté touchante de l’idylle, est mesuré et joué avec un souci d’ob­ser­va­tion poussé à la per­fec­tion. L’épouse que Mr Ships ramène de ses vacances va faire admet­tre au pro­fesseur une nou­velle psy­cholo­gie con­cer­nant ses rap­ports avec ses élèves, qual­i­fiée par lui-même de révo­lu­tion­naire. De ces nou­velles con­cep­tions va naître entre eux une com­mu­nion d’e­sprit qui restera légendaire au collège.

Même le pas­sage situé pen­dant la guerre de 1914 ne choque pas trop nos con­vic­tions, car il reste très nuancé.

Robert Don­nat, incar­nant Mr Ships dans sa jeunesse et sa vieil­lesse, reste le comé­di­en sobre et puis­sant que nous con­nais­sons déjà.

Du même acteur, vous pou­vez aller voir, s’il passe dans votre quarti­er, le vieux film « La Citadelle ».


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