La Presse Anarchiste

Aux hasards du chemin

Renaissance française

Salle du Tro­cadéro, le dernier ora­teur abor­de la tribune.

L’o­ra­teur. — Cama­rades, mes­dames et messieurs,

C’est au triple titre de mem­bre du C.N.R., de la C.G.T., et du P.C. que j’ai l’hon­neur de…

Une voix. — À bas les trusts !

L’o­ra­teur, applaud­is­sant fréné­tique­ment l’in­ter­rup­teur. — Je dis­ais donc que puisque nous sommes aux États généraux, je vais vous par­ler de l’é­tat général de la patrie. Hélas ! notre ami Her­riot par­lerait de la mère malade ; moi, je dis que le pays…est en marme­lade ! C’est pourquoi, cama­rades et citoyens, il nous faut lui porter remède. (Applaud­isse­ments.) Tout d’abord, ce qu’il nous faut, c’est une véri­ta­ble démoc­ra­tie, une vraie, qui soit souveraine…

Le délégué des concierges, inter­rompant. ― Pas de sou­veraine, à bas les tyrans !

L’o­ra­teur. — Et ensuite nous pour­rons recon­stru­ire le pays, faire quelque chose de neuf. Quelque chose qui soit vrai­ment fait par le peu­ple et pour lui. Par exem­ple, puisque nous aurons à rebâtir des villes entières, jurons de n’éd­i­fi­er que des maisons en bois, démonta­bles, de façon que dès la prochaine guerre on puisse les cacher avec les œuvres d’art pour les sous­traire à la bar­barie teu­tonne. Vous objecterez que la prochaine guerre ne se fera pas for­cé­ment con­tre les Teu­tons ; n’im­porte, il y aura bar­barie quand même.

Main­tenant, pas­sons à l’ar­mée. Nous sommes tous d’ac­cord pour que le pays ait une armée forte, qui soit vrai­ment une armée pop­u­laire ; c’est pourquoi je pro­pose qu’on y incor­pore les femmes et les enfants. Même avec ces effec­tifs, elle pour­rait encore s’avér­er insuff­isante. À ce pro­pos, sig­nalons qu’au cours de la pre­mière guerre mon­di­ale, l’é­tat-major s’é­tait livré à une expéri­ence intéres­sante qui hante encore quelques mémoires : le fameux « Debout ! les morts de Ver­dun ! ». Évidem­ment, le capit­u­lard Pétain s’est refusé à renou­vel­er ces mesures à une heure où la France avait besoin de tous ses enfants, passés, présents et futurs. Nous nous déclarons aus­si, cama­rades, pour une poli­tique hardie de la natal­ité et nous dis­ons même que, puisqu’il nous faut des enfants et que c’est pour les faire tuer, les bonnes citoyennes qui fer­ont d’une pierre deux coups et accoucheront d’en­fants morts-nés devraient avoir droit à une prime supplémentaire.

Quant à l’u­nité de la nation française et l’ac­cord avec nos grands alliés, d’un seul cœur nous les voulons, et c’est pourquoi, cama­rades, citoyens et messieurs, nous ter­mi­nons au cri de « Pro­lé­taires de tous les pays, unis­sez-vous à vos patrons ! »

(Ova­tion inde­scriptible et « Marseillaise ».)

[|― O ―|]

L’explosion de Dunkerque

La guerre tue tou­jours, elle tuera encore, nous aurons trop sou­vent l’oc­ca­sion d’y revenir. Dans la vague de haine déchaînée, espérons que ce court entre­filet per­me­t­tra de réfléchir. Il n’y a peut-être pas de bonne Alle­magne, nous n’en savons rien, mais il y a encore quelques hommes, rien que des hommes, et pas plus ; il en existe encore en Alle­magne ou en France sous l’u­ni­forme de pris­on­nier. Faisons comme le bon Dieu : recon­nais­sons les nôtres.

« Les sauveteurs, sol­dats et pom­piers, ont fait preuve d’un courage remar­quable, accom­plis­sant leur tâche au milieu des explo­sions. On sig­nale égale­ment la con­duite d’une équipe de démineurs alle­mands qui réus­sit à sauver plusieurs sol­dats évanouis et pris sous un camion. » (« Com­bat » du 11 juil­let 1945.)

Écho

« Pain et cirque » dis­aient les anciens qui igno­raient la carte d’al­i­men­ta­tion et les 350gr alloués par per­son­ne et par jour.

Il est vrai qu’il nous reste le cirque, et pour cela nous sommes gâtés.

En ce 14 juil­let, on a fait mon­tre d’une prodi­gal­ité à laque­lle nous ne sommes pas habitués sur tout autre chapitre.

L’essence dont l’ab­sence inter­dit les trans­ports et nous plonge dans le marasme devait ce jour-là couler à flots, car les avions ne se sont pas privés d’en consommer.

[|… … … … … …|]

Bals de nuit : le peu­ple a dan­sé ; il danse, donc il paiera.

Mal­adroit, cepen­dant, ces coups de canon. ça rap­pelle mal­gré soi des sou­venirs qui sont encore un peu proches.

Tiens ! Tiens !

On sig­nale des trou­bles sérieux en Angleterre, trou­bles créés par les sol­dats cana­di­ens, esti­mant que la démo­bil­i­sa­tion n’al­lait pas assez vite ; ces héros d’hi­er nous font l’ef­fet d’a­gents hitlériens ou de ban­dits fas­cistes, comme dirait l’autre.

Chine, Chine, Chine, viens voir comme en Chine

Tout le monde s’in­téresse à la Chine. Les ban­quiers améri­cains, le maréchal Staline et même ici on flirte volon­tiers avec les fils du ciel. En 1937, le 7 juil­let, per­son­ne ne s’est aperçu de l’a­gres­sion japon­aise ou tout au moins on a lais­sé les choses en état ; aujour­d’hui il est temps de se grouiller si l’on veut arriv­er à l’heure pour le dessert avant qu’il ne reste plus que des miettes.

Ma radio

Enten­du au cours de la dif­fu­sion des fêtes de la Vic­toire : « Voici le général de Gaulle, leur chef… « notre » chef à tous ! Un seul chef, une seule patrie, un seul par­ti ! » Ça ne vous rap­pelle rien ? Et tout cela fera d’ex­cel­lents démocrates.

Problème constitutionnel

Pen­dant des années on nous a cassé la tête avec la Con­sti­tu­tion de 1875, anti­dé­moc­ra­tique, inspirée du cen­tral­isme napoléonien et, dans le fond, ouvrant la porte à une restau­ra­tion des quar­ante rois qui, etc., etc. Que ce soit de Lon­dres, d’Al­ger ou de Paris, les nou­veaux messieurs pré­tendaient avoir sa peau. Les voilà au pied du mur. Com­mu­nistes, social­istes, répub­li­cains pop­u­laires sont intran­sigeants et tout d’un coup ces messieurs se dégon­flent lam­en­ta­ble­ment pour des révo­lu­tion­naires. C’est plutôt piteux, j’ou­blie de vous dire que tous ces braves gens déti­en­nent les pédales, et quand on en a goûté on ne peut plus s’en pass­er, et avec la vieille Con­sti­tu­tion de 1875 tous les espoirs sont permis.

Charbon et serpent de mer

Nous n’avons pas eu de char­bon l’hiv­er dernier. Because ? Les poteaux de mine, les canaux non nav­i­ga­bles, la neige, les gelées, les inon­da­tions. Nous n’en aurons sans doute pas cet hiv­er. Et pourquoi ? Manque de main-d’œu­vre mal­gré les salaires somp­tu­aires payés aux mineurs (on dit ça), absen­téisme représen­tant 25 % de la présence nor­male, impos­si­bil­ité d’im­por­ta­tion, enfin tout cela pour nous con­va­in­cre que nous avons bonne mine. Ne dés­espérons pas toute­fois ; les pris­on­niers retour d’Alle­magne nous ont mon­tré com­ment on doit s’y pren­dre pour avoir de quoi se vêtir. La même méth­ode doit per­me­t­tre de résoudre le prob­lème du chauffage.

Bernard Shaw se déclare communiste

Lon­dres, 30 juin. — Bernard Shaw vient d’adress­er une let­tre à M. Palme Dutt, vice-prési­dent du par­ti com­mu­niste et can­di­dat aux élec­tions à Birm­ing­ham, dans laque­lle le célèbre humoriste se déclare com­mu­niste convaincu.

« J’e­spère, dit-il, que les électeurs auront assez de bon sens pour voir que vos pro­jets tombent sous le sens com­mun. Ce que Churchill en dit est un non-sens fla­grant, surtout lorsqu’il proteste con­tre nos « vio­lences », lui qui a dépen­sé 12 mil­lions de livres chaque jour pen­dant cinq ans dans la plus ter­ri­ble forme de vio­lence qu’ait con­nue l’humanité. »

M. Bernard Shaw devien­dra cer­taine­ment un célèbre com­mu­niste, car c’est déjà, comme on le voit, un humoriste convaincu.

Général, nous voilà !

On peut bien le dire entre nous, les lib­er­taires n’ont jamais fait preuve d’une grande ten­dresse envers les mil­i­taires. Que voulez-vous ? Si le soleil brille pour tout le monde, il a bien du mal à percer jusqu’au bas de l’échelle sociale. Alors, quand les gens passent leurs jours dans des usines noires ou dans des bureaux som­bres, et leurs nuits dans des taud­is, ils sont bien excus­ables d’avoir mal aux yeux lorsqu’ils les por­tent sur l’or des galons ou sur l’aci­er des baïonnettes.

Foin du pres­tige, même pour des hommes bien nés ; il n’est pas tou­jours bon de se tenir trop près des tra­vailleurs du képi.

« J’ai suivi le maréchal » se sont écriés ou s’écrieront encore toute une rib­am­belle d’aimables per­son­nal­ités, de Georges Claude à Hérold Paquis, en pas­sant par Hen­ri Béraud, Jean Luchaire et autres Lousteau. Pau­vre France ! Et ces gens-là se pré­tendaient l’élite, l’in­tel­li­gence. Pensez donc, des savants, des lit­téra­teurs, de grands journalistes !

Il est trop tard pour qu’ils regret­tent, eux qui fai­saient pro­fes­sion d’in­stru­ire les autres, ils auraient dû savoir que le rôle de tout maréchal qui se respecte est de faire décimer ses troupes. Dans bien des cas, d’ailleurs, les troupes ne suiv­ent pas, elles précè­dent le maréchal, comme à Ver­dun. Peut-être que dans le châ­ti­ment elles précéderont aussi.

Et les gens d’en face donc ! Ont-ils été assez mal inspirés ! Ils se sont con­tentés de suiv­re un capo­ral, grade mod­este. Eh bien ! c’é­tait encore trop.

Enfin, ça y est, c’est ter­miné. Plus de maréchal, plus de capo­ral, et vive la paix !

Vive la paix et garde à vous ! V’là, le général ! En rang par trois et suiv­ez le guide !

C’est un général, bien sûr, mais démoc­rate, ne dites pas non, même s’il veut refaire la France et nous don­ner une bonne Con­sti­tu­tion, une Con­sti­tu­tion assez robuste pour qu’on soit encore bons pour le service.

Préparation militaire

D’après les experts améri­cains, en cinq mois on instru­it un sol­dat. Chez nous, comme on s’y prend d’a­vance, on se demande pourquoi on par­le de garder les jeunes gens deux ans sous les dra­peaux, d’au­tant plus que d’après les experts écon­o­mistes nous allons vers une crise de main-d’oeu­vre. Alors, qu’on nous explique ce slo­gan : Pro­duire ! Pro­duire ! Pro­duire, et en con­trepar­tie une armée forte avec de nom­breuses divi­sions ! Si on fait des sol­dats, on dimin­ue la pro­duc­tion ; si on en fait des ouvri­ers, on a une armée de sous-pro­duits. Cru­elle énigme !

Règlement de comptes entre gens du milieu

En Thuringe, la bande Oncle Sam a mis la main sur un tré­sor de 6 mil­liards que des ban­dits du Grand Frisé avaient eux-mêmes escro­qué à une bande de voy­ous français, la « bande à Pétain ». On soupçonne que ces derniers se seraient lais­sé faire une douce vio­lence, le tré­sor ne leur appar­tenant pas, mais étant la pro­priété d’un autre gars du milieu, « Jef le Bel­gi­co », lequel l’au­rait escro­qué au bon pop­u­lo belge, ce qui n’empêchera pas ce bon pop­u­lo français de pay­er la note. La police inter­na­tionale ne sem­ble pas avoir été alertée par cet inci­dent, qu’elle con­sid­ère nor­mal dans les milieux intéressés.


Publié

dans

par

Étiquettes :