La Presse Anarchiste

Dans le Bâtiment

« Esprit de La Tour du Pin, es-tu là ? » se sont deman­dé les membres du conseil natio­nal de la Fédé­ra­tion du bâti­ment avant d’a­dop­ter une réso­lu­tion dont nous don­nons plus loin quelques passages.

Autres temps, autres mœurs. Si cette réso­lu­tion eût été publiée au len­de­main de la pre­mière guerre mon­diale, elle eût valu à ses auteurs des épi­thètes dont le moindre et le plus poli eût été : « Ven­dus au patro­nat ! » Tan­dis qu’au­jourd’­hui on peut tout se per­mettre avec les syn­di­qués. La puis­sante fédé­ra­tion du bâti­ment n’a jamais mani­fes­té une grande acti­vi­té depuis sa résur­rec­tion. Hélas ! pour­quoi faut-il qu’elle inter­rompe le som­meil du juste ? Mal éveillée, elle n’a plus l’air de bien savoir au ser­vice de qui elle se trouve. Est-ce des patrons?, Est-ce des ouvriers ? Oh ! mys­tère inson­dable de l’âme des fédé­rés bâti­men­teux ! Ils semblent avoir tout oublié, et la lutte des classes, et le capi­ta­lisme, et les buts de la C.G.T.: abo­li­tion du sala­riat et du patro­nat et sup­pres­sion de l’ex­ploi­ta­tion de l’homme par l’homme. Ce qui importe, semble-t-il, ce sont les réa­li­tés concrètes, les suites de cette guerre que nos syn­di­ca­listes patrio­tards entendent bien faire payer aux ouvriers. Oyez plutôt :

Cita­tions à l’ar­ticle BÂTIMENT.

Le C.N. décide d’ap­pe­ler les tra­vailleurs œuvrant pour la recons­truc­tion à redou­bler d’ef­forts et d’i­ni­tia­tive et d’at­teindre les plus hauts ren­de­ments dont les sinis­trés ont besoin par les moyens suivants :

a. Accen­tua­tion de la pro­pa­gande auprès des ouvriers tech­ni­ciens et cadres pour faire com­prendre la néces­si­té d’ob­te­nir des ren­de­ments plus éle­vés, tant pour accé­lé­rer la réfec­tion et la recons­truc­tion immé­diates en faveur des sinis­trés que pour abais­ser le prix de revient de la construc­tion, dans le res­pect des droits et avan­tages acquis par les travailleurs ;

Créa­tion de comi­tés patrio­tiques d’en­tre­prises grou­pant les repré­sen­tants de tous ceux inté­res­sés à la bonne marche et au ren­de­ment éle­vé des chan­tiers, ate­liers, usines, et n’ayant pas agi contre l’in­té­rêt de la patrie pen­dant la guerre ; 

Attri­bu­tion de primes aux meilleurs ouvriers col­lec­ti­ve­ment ou indi­vi­duel­le­ment selon les cas dans les formes pré­vues par les syn­di­cats ouvriers et sous leur contrôle afin de récom­pen­ser la bonne qua­li­té et les meilleurs ren­de­ments dans le travail.

Le C.N. décide de réa­li­ser la coopé­ra­tion dans la réfec­tion et la recons­truc­tion de la France avec les petits et moyens entrepreneurs :

a. En fai­sant appel à ceux-ci pour une coopé­ra­tion franche et loyale dans le tra­vail, tout en réser­vant les droits et pré­ro­ga­tives de chacun ;

b. En tenant compte des grou­pe­ments par­ti­cu­liers des petits et moyens entre­pre­neurs exis­tant déjà ou pou­vant se créer et en les aidant à se défendre contre les grandes entre­prises et les trusts dont ils sont vic­times comme les tra­vailleurs salariés ;

c. En garan­tis­sant le capi­tal des petites et moyennes entre­prises et en lui assu­rant une ren­ta­bi­li­té normale.

Cama­rades du bâti­ment, les patrons, d’ha­bi­tude, savent s’y prendre au sujet du ren­de­ment : c’est leur rôle et leur inté­rêt. Le nôtre, croyez-le, est quelque peu différent.

En atten­dant, pour recons­truire, pour refaire la patrie, vous êtes loin de votre foyer, vous faites dix et onze heures de tra­vail, vous cou­chez sans draps, col­lec­ti­ve­ment, comme des sol­dats ou des for­çats, vous man­gez de l’à-peu-près rata­touille, dans des can­tines bien sou­vent sales. Vos patrons, grands, moyens et petits, vivent chez eux, comme il leur plaît, et les maigres béné­fices qu’ils ont réa­li­sés au cours de cette guerre et qu’ils réa­lisent encore sur votre dos leur per­mettent sans doute l’ac­cès au mar­ché noir. Alors, ne vous atten­dris­sez pas trop sur la ren­ta­bi­li­té des entreprises.

Les patrons ne se sont jamais fait de mau­vais sang sur la ren­ta­bi­li­té que vous assu­raient vos bras livrés à leur seul bon cœur, le sort de la classe ouvrière serait : Tra­vaille et crève !

Et ils sont tel­le­ment ingrats, ces petits et moyens entre­pre­neurs, qu’ils ne remer­cie­ront sans doute pas la Fédé­ra­tion du bâti­ment, qui pour­tant le mérite bien.

Et nous nous per­met­trons d’in­di­quer à ces mes­sieurs Arra­chart, Labrousse et Cie une méthode pour faire bais­ser les prix de la bâtisse : que sur chaque chan­tier un contrôle ouvrier soit exer­cé sur les comptes et fac­tures des entre­pre­neurs, des archi­tectes ; ça pour­rait empê­cher déjà quelques tra­fics, quelques pots-de-vin dans le genre de ceux qu’on a connus dans les régions dévas­tées après 1918 où des trains de mar­chan­dises entiers étaient payés trois ou quatre fois et où de nom­breux tra­vaux étaient payés de la même façon.

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