La Presse Anarchiste

À quand l’amnistie ?

Les pou­voirs publics fêtent le pre­mier anni­ver­saire de ce qu’ils appellent la « Libé­ra­tion ». Les peuples, à dates pério­diques, des­cendent dans les rues pour exté­rio­ri­ser leur joie de voir enfin ter­mi­née cette période de cau­che­mar, de boue, de sang. Ceux que les puis­sants du jour consi­dèrent comme les seuls res­pon­sables des assas­si­nats col­lec­tifs de ces années ter­ribles com­pa­raissent devant des tri­bu­naux char­gés d’ap­pré­cier leur degré de res­pon­sa­bi­li­té. Des peines capi­tales qui frappent ces fri­pouillards, aucune n’est appli­quée. Les res­pon­sa­bi­li­tés sont tel­le­ment enche­vê­trées, les dif­fé­rences d’a­gis­se­ment entre juges et incul­pés dans cette période de chaos sont tel­le­ment minimes que les défen­seurs de ce qu’il convient d’ap­pe­ler « La Loi » reculent devant les sanc­tions qui pour­raient un jour leur être appliquées.

De ces vrais faux ser­ments et de ces faux vrais ser­ments, que reste-t-il ? Le spec­tacle d’une classe diri­geante, d’une armée, d’une magis­tra­ture pour­ries pour les­quelles les concep­tions morales ne sont plus que des méthodes d’op­pres­sion à l’u­sage des humbles et qui n’ont gar­dé de vita­li­té que pour la répres­sion féroce de ceux qui veulent s’ar­ra­cher de la ser­vi­tude universelle.

Par­tout l’on annonce un renou­veau dans l’é­vo­lu­tion des valeurs jus­qu’i­ci consi­dé­rées comme intan­gibles. Une chose pour­tant demeure. Par­ti­cu­la­ri­té qui situe net­te­ment la pré­ten­due évo­lu­tion du moment. Les tri­bu­naux mili­taires avec leurs péni­ten­ciers de cau­che­mar sub­sistent, pour la plus grande honte de ceux qui ont la pré­ten­tion de repré­sen­ter seuls les aspi­ra­tions popu­laires, et plus tard cette chose paraî­tra incroyable à ceux qui étu­die­ront l’his­toire du mou­ve­ment ouvrier.

Deux par­tis qui se disent pro­lé­ta­riens, deux par­tis qui se réclament du socia­lisme et de l’in­ter­na­tio­na­lisme, le P.S. et le P.C., viennent de tenir leur congrès. Trois jours de dis­cus­sions, trois jours durant les­quels les pages de l’«Humanité » comme celles du « Popu­laire » ont été dou­blées et pas un mot n’a été pro­non­cé, et pas une ligne sur les six pages n’a été écrite pour faire cette tra­di­tion­nelle pro­tes­ta­tion de tous les congrès ouvriers : « Ouvrez les bagnes mili­taires ! Amnis­tie pour les vic­times des Conseils de guerre ! » Les Mar­ty et les Tillon ont oublié que seul l’ef­fort des tra­vailleurs les ont arra­chés de ce Clair­vaux où pour­rissent encore des mili­taires de la guerre de 1940. Les Blum et les Brach ont oublié ce que fut tou­jours la pré­oc­cu­pa­tion des congrès socia­listes. La guerre est finie, les hommes ont ces­sé la bou­che­rie, mais la guerre conti­nue pour ceux qui n’ont pas vou­lu de ce crime contre l’hu­ma­ni­té. On s’ap­prête à déi­fier les inven­teurs de la bombe ato­mique et les « paci­fistes » et les « insou­mis » sont tou­jours en pri­son. Les mili­taires de toutes caté­go­ries attendent encore une amnis­tie que les pires régimes d’op­pres­sion avaient l’ha­bi­tude de ne pas mar­chan­der, dans la crainte d’un sur­saut de conscience popu­laire défen­dant les siens.

Les poli­ti­ciens songent à leur pro­chaine com­bi­nai­son élec­to­rale. Les sectes reli­gieuses plient devant le pou­voir pour essayer de sau­ver par leur pla­ti­tude le maxi­mum de leur tem­po­rel. L’É­tat, machine tou­jours plus oppres­sive, ne déploie de vita­li­té que pour cour­ber sous son joug les consciences vrai­ment libres. Les par­tis, en par­ti­cu­lier ceux de gauche, deve­nus le ras­sem­ble­ment de tous les appé­tits, aban­donnent à des com­pro­mis­sions sus­pectes ce qui a fait la vita­li­té de leur jeu­nesse : l’antimilitarisme.

Devant ces capi­tu­la­tions, c’est aux hommes que nous nous adres­sons, à tous ceux qui ont été mili­taires, à tous ceux qui — et c’est le plus grand nombre — enfon­çant pro­fon­dé­ment les poings dans leurs poches, ont sen­ti bouillir leur colère devant le cré­ti­nisme du sous-off’ de car­rière, à tous ceux-là nous disons : « Les liber­taires vont tenir, eux aus­si, leur congrès. On y par­le­ra de Clairvaux,
de Eysses, de Mont­luc. On y par­le­ra de tous les oppri­més. On y pro­tes­te­ra contre le main­tien en pri­son des mili­taires condam­nés en 1939. On y pro­tes­te­ra contre le main­tien en pri­son des insou­mis et des déser­teurs. On y pro­tes­te­ra contre le main­tien en pri­son de ceux qui, tels les mutins de Van­cia, ont vou­lu prendre part à la résis­tance sous des mots d’ordre dif­fé­rents de ceux de la Résis­tance offi­cielle. On y pro­tes­te­ra contre la condam­na­tion par des tri­bu­naux mili­taires de colo­niaux lut­tant contre l’op­pres­sion et pour leur indépendance.

Cette pro­tes­ta­tion ne sera effi­cace que si elle touche le plus grand nombre pos­sible de tra­vailleurs et si notre Mou­ve­ment liber­taire qui la for­mu­le­ra est appuyé par l’ac­tion effi­cace de ces tra­vailleurs. Contrai­re­ment à ce que pro­clament les capi­tu­lards de la Sociale, c’est par la lutte de tous les ins­tants que nous arra­che­rons les nôtres aux griffes des vieilles barbes ani­mées par une pas­sion sénile de répression.

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